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Je ne suis pas si sur que les LUmières aient été aussi hostiles à l'abolition de l'esclavage aux EU qu'on ne le dit, dans les idées toutefois.
En effet quand Jefferson rédige la déclaration d'indépendance, qui prévoit l'égalité des hommes nés libres et égaux, il prévoit la condamnation de la traite.
Comme beaucoup de gens en France, vous confondez:
- condamnation de la traite et condamnation de l'esclavage: un assez grand nombre de citoyens américains éclairés rejetaient le principe de l'esclavage pour des raisons morales au moment de la Révolution mais cette condamnation, vague et théorique, est loin de l'abolition effective.
Tout au plus envisageaient-ils l'extinction "naturelle" et très progressive de l'esclavage avec le temps. Sans qu'aucune action concrète ne soit mise en oeuvre pour amener cette disparition, qui devait mystérieusement se produire d'elle même.
Et surtout l'abolition de la traite n'entraîne pas nécessairement l'abolition de l'esclavage, l'un pouvant fort bien subsister sans l'autre, vu la réussite démographique des esclaves africains aux UE.
- et ne pas confondre abolitionnisme et antiracisme: la quasi-totalité des abolitionnistes étaient persuadés de l'infériorité naturelle des noirs.
- enfin, de nombreux abolitionnistes voulaient que les noirs libérés soient renvoyés en Afrique.
Sur l'esclavage, Jefferson est un noeud de contradictions.
Il était convaincu que les noirs étaient inférieurs aux autres "races", et le contraire aurait été étonnant, vu qu'il est né dans une famille de planteurs, milieu d'où provenait également sa femme.
Très jeune, il s'est trouvé ainsi à la tête de vastes terres et d'un "cheptel' d'environ 200 esclaves. Il n'en a libéré aucun, sauf les enfants qu'il a eus de la métisse Sally Hemmings, (qui était la fille du père de sa femme), et encore certaines de ces libérations ont eu lieu après sa mort, car figurant dans ses dispositions testamentaires.
En 1769, alors qu'il siégeait à la législature de Virginie, il a proposé une loi interdisant aux noirs émancipés de rester dans l'état.
Cette proposition de loi justifiée par le fait que Jefferson pensait que les noirs étaient incapables d'assurer leur subsistance eux mêmes et qu'ils ne pouvaient vivre que de mendicité et de chapardages une fois libérés--et être ainsi d'une façon ou d'une autre à la charge des citoyens de l'état de Virginie.
Il considérait également que les noirs émancipés, ex-esclaves, représentaient un danger pour leurs anciens maîtres, dont ils pourraient vouloir se venger par des émeutes, sabotages et agressions.
iL voulait donc renvoyer tous les noirs émancipés en Afrique, continent dont il anticipait la colonisation progressive par des "freedmen".
Il a également proposé une loi condamnant à l'exil toute femme blanche ayant eu des relations sexuelles avec un noir. Ces lois , considérées comme trop strictes, n'ont pas été passées.
Une fois au Congrès des EU, il a refusé de soutenir un plan d'émancipation graduelle des esclaves et même une loi permettant aux propriétaires d'émanciper leurs esclaves par simple décision individuelle.
Plus tard, il a un peu évolué et soutenu une proposition d'émancipation--il est vrai très restrictive: émanciper seulement les esclaves éduqués (comment? Les Codes noirs interdisaient d'apprendre à lire et écrire aux esclaves) et âgés de 45 ans, c'est à dire vieux (pour l'époque et leurs conditions de vie) et devenus sans grande utilité pour les maîtres comme force de travail. Evidemment, seuls les esclaves devenus peu rentables pour leur maître étaient concernés par cette loi.
Et dans cette proposition, tous les esclaves libérés devaient être renvoyés en Afrique.
Après son retour de Paris, il ne s'exprime plus sur l'esclavage ("un immense silence" écrit l'historien américain David Brion Davis)--jusqu'à son accession à la présidence.
Et en effet, dans sa version de la Déclaration d'indépendance, il propose bien l'interdiction de la traite. Mais comme je le répète, l'abolition de la traite n'entraîne en aucun cas l'abolition de l'esclavage. En fait, l'abolition de la traite visait surtout à ses yeux à rendre l'esclavage plus secure pour les planteurs: les esclaves fraichement arrivés d'Afrique n'étaient pas encore "domestiqués", ils ne parlaient pas anglais, ne comprenaient pas bien ce que l'on attendait d'eux, ils travaillaient moins bien, étaient moins dociles et étaient réputés se rebeller plus facilement que les esclaves créolisés (américanisés).
Ils étaient moins rentables et représentaient un risque et une source de désordre social. iL était plus avantageux à tous les points de vue de faire tourner les plantations avec des esclaves créolisés.
De plus, la traite ne profitait qu'au trafiquants d'esclaves; une fois la traite internationale abolie, le commerce (et le profit du commerce) des esclaves devenait le domaine exclusif des planteurs, qui pouvaient "produire" des esclaves en quantité sur leurs plantations.
Et donc c'est bien sous la présidence de Jefferson que la traite a été abolie fédéralement--même si cela n'a rien à voir avec une quelconque position abolitionniste.
Mais quand une révolte noire a éclaté à St Domingue en 1807, alors que Jefferson était président, il a soutenu les planteurs français contre leurs esclaves révoltés en leur envoyant des fonds (40 000 $) et des armes en grand nombre. Et il a refusé de reconnaître la jeune République de Haiti.
Jefferson n'est donc en rien abolitionniste, ceux ci n'ayant été avant la guerre qu'une minorité agissante et "vocale", il est vrai croissante
mais seulement dans le Nord.
Dans le Sud, les abolitionnistes étaient pourchassés et honnis, et leurs écrits étaient interdits.
Citer :
au Congrès les Sudistes ont supprimé ce passage du texte.
Jefferson était un Sudiste, membre de l'aristocratie des planteurs, producteur de tabac sur sa vaste plantation, descendant d'une des familles les plus riches et illustres de Virginie, les Randolph. C'est le pouvoir politique considérable des planteurs Sudistes qui l'a porté au Congrès puis à la présidence.
Qu'un homme avec un tel background ait pu être abolitionniste est donc à peu près aussi probable qu'un héritier Rockfeller ait été marxiste
.