Squalll a écrit :
Puisque les pays d'Asie de l'est, profondément marqués par le confucianisme (Chine, Corée, Japon et Vietnam) ont connu, ou connaissent, un développement économique assez impressionnant, je me demande dans quelle mesure ces succès peuvent être attribués à la pensée chinoise.
Vu les trajectoires historiques et économiques différentes qu'ont connu ces 4 pays, je me demande si vous n'êtes pas en train de chercher un lien de parenté entre les poules et les lapins.
(Et au passage, vous ne parlez que de la moitié de la Corée...)
Le Japon, typiquement, est une grande puissance économique depuis longtemps, et plus que dans la pensée chinoise, j'irais plutôt chercher sa modernisation à marche forcée dans le fait qu'il s'agissait d'une civilisation ancienne, insulaire et très indépendante, centralisée, avec une tradition guerrière solide, qui n'a pas mis cent ans avant de comprendre que les armes occidentales étaient supérieures aux siennes, et donc qu'une mise à niveau était indispensable s'ils entendaient rester un peuple indépendant.
Cette explication par "la fière insularité" en vaut bien d'autres, sachant que les trois autres pays eux, ont été colonisés. (Quel est le sociologue qui a écrit "le portrait du colonisateur", très apprécié dans le Tiers-Monde, avant d'écrire "Le portrait du colonisé", nettement moins apprécié, où il affirmait entre autres cette évidence que "si des pays ont été colonisés, c'est qu'ils étaient colonisables" ? J'étais tombé sur lui au détour d'un article, sans creuser davantage, j'espère ne pas trop m'aventurer.) En tous cas, seul parmi les quatre, le Japon n'était pas colonisable.
Si on veut leur trouver des points communs, je noterais volontiers :
- Que dans ces quatre pays, à un moment de leur histoire, il y a eu une dictature (militaire en Corée, communiste en Chine et au Vietnam, ou au moins un pouvoir fort, au Japon) qui a décidé de mettre le pays sur les rails du développement économique à l'occidentale et d'en payer le prix - ou plutôt de le faire payer au peuple - pendant le temps qu'il faudrait. (Au Japon, pendant l'ère Meiji, le sort des ouvrières du textile était proche de l'esclavage - avec des suicides fréquents - et on ne sache pas que les usines chinoises des années 80 aient été des camps de vacances.)
- Qu'ils disposent tous les quatre d'une façade maritime propice au commerce. (Je ne sais pas si le Laos, par exemple, est confucianiste, mais je sais qu'il est enclavé.)
- Qu'ils ont tous les quatre adopté la stratégie d'imiter l'occident. On peut chercher un booster confucéen au développement économique, il n'en reste pas moins que la révolution industrielle est née en Europe.
A noter aussi que mis à part le Japon, décidément atypique, ils ont suivi cette stratégie d'imitation en sachant qu'elle fonctionnerait, d'une part (sans parler de l'exemple du Japon, où l'ère Meiji remonte au 19e siècle, ils pouvaient s'appuyer dans la région sur l'exemple plus récent de Hong-Kong, Taïwan et Singapour - "les trois dragons" - sortis assez rapidement du sous-développement en se mettant au travail) et d'autre part en se plaçant d'entrée dans la position de sous-traitant à bas prix.
Position que la Corée, puis la Chine ont adopté assez tôt, (le Vietnam plus tardivement) en tous cas avant la chute du Rideau de Fer, qui a fait apparaître, ailleurs qu'en Asie du Sud-Est, et à distance de transport plus raisonnable, des concurrents se positionnant exactement de la même façon, comme sous-traitants, donc, au service des industries occidentales.
La République Tchèque, la Slovaquie, la Pologne ont suivi la même trajectoire, avec des résultats économiques dont on parle peu dans nos médias (c'est incroyable, je me souviens d'une discussion avec mon épouse en 78, où on remarquait conjointement que tout se passait comme si ces pays n'existaient pas, et il semble que rien n'ait changé) mais qui sont également spectaculaires.
En fait le moteur essentiel de tous ces développements impressionnants (mais guère plus impressionnants, finalement, que ce que nous avons vécu pendant les Trente Glorieuses) n'est pas à chercher d'abord dans la culture de ces pays, mais dans le fait que les pays riches occidentaux ont laissé le jeu de la concurrence capitaliste se développer jusqu'au stade où leurs usines ont déménagé. Que les pays d'accueil les aient reçu à bras ouvert peut difficilement passer pour un tour de force économique. (Sachant que nul ne les accuse d'être idiots, que la matière grise existe partout, et que tous ces pays n'allaient pas en rester là.)
Bref, j'accueille avec un scepticisme évident la réflexion sur les bases culturelles du développement des pays asiatiques, même si je n'irais pas nier que cet aspect culturel puisse être contributif.
A la limite, on aurait même une preuve par l'absurde de l'importance du fait culturel, à travers ce parfait contre-exemple que constitue la relative stagnation de l'Inde (en comparaison) qui avait sur le papier les mêmes atouts, mais dont le fonctionnement économique est entravé - à mon avis - par son épouvantable système de castes. A moins qu'on impute la lenteur relative de son démarrage au fait (je l'ai souligné pour les autres grands pays asiatiques) que l'Inde n'a jamais été une dictature, capable de fouetter son peuple pendant 20 ans ? Je laisse ce point ouvert à la réflexion.
Une remarque de modération :Ce sujet est (encore) un sujet où la limite chronologique de 1991 n'est pas tenable. La modération se montrera donc assez élastique sur ce point, à deux conditions toutefois :
- que le débat ne devienne pas un débat d'actualité, qui aurait davantage sa place sur le Salon Géopolitique. Si on en arrive là, soit les contributions trop actuelles seront supprimées, soit on fermera et ça fera un beau sujet pour le SG.
- et bien sûr, qu'il ne dévie pas sur des polémiques politiques, qui seront... férocement réprimées.