Nous sommes en présence de deux textes rédigées par deux personnalités éminentes dont les analyses sont très divergentes.
Jacques Gernet est un spécialiste de la civilisation chinoise.
Angus Maddison est un économiste qui s'est plongé dans l'histoire de l'économie. Que connaît-il de la Chine ? Quelles sont ses sources ? Que connaît-il des sciences et des techniques ? Il calcule des PIB, des volumes d'échanges, compare des niveaux de vie, pour cela on peut lui faire confiance. Pour le reste, je crois que c'est plus douteux. Le constat qu'entre 1750 et 1850 l'Europe et son appendice les Etats-Unis d'Amérique aient fait de considérables progrès dans les sciences pures, dans les techniques ainsi que dans les sciences humaines (sciences politiques, droit, économie notamment), que sa puissance économique se soit durant cette période considérablement accrue tandis que la Chine stagnait dans tous ces domaines est indéniable. Reste à expliquer pourquoi et Angus Maddison laisse perplexe sur bien des points.
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le système bureaucratique a empêché l’émergence d’une bourgeoisie commerciale et industrielle indépendante comme ce fut le cas en Europe.
En 1850, y avait-il une bourgeoisie en Chine ? Au Japon, oui, il y en avait une, très dynamique. Elle se trouvait à peu près dans la situation de la bourgeoisie commerçante ou industrielle française sous l'Ancien Régime méprisée par la noblesse et lourdement imposée mais pouvant malgré tout prospérer.
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L’activité entrepreneuriale était précaire dans un cadre où la protection de l’activité privée était si mal assurée.
En quoi une activité entrepreneuriale était-elle précaire ?
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Parmi les grandes entreprises, il n’y avait que des monopoles publics ou des monopoles agréés par l’État.
En France, les premières grandes entreprises ont été créées par Colbert. Jusqu'à la Révolution, on ne comptait guère comme grandes entreprises que les arsenaux d'Etat et les manufactures royales.
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Les marchands, les banquiers et les négociants ne bénéficiaient pas des chartes et de la protection juridique qui étaient accordées aux marchands des villes européennes
Chartes utiles à certains égards mais malgré tout si contraignantes qu'on y a mis fin sous la Révolution par la loi Le Chapelier.
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L’élément le plus fondamental était la reconnaissance du fait que l’homme pouvait transformer les forces de la nature par l’étude rationnelle et l’expérience.
La méthode scientifique a attendu le 19 ème siècle pour être appliquée de façon utile dans l'industrie. On n'avait pas attendu Bernouilli et ses recherches sur la mécanique des fluides pour fournir à Christophe Colomb des navires capables de traverser l'Atlantique et de remonter le vent. On n'avait pas attendu Poisson et son traité de mécanique pour édifier, sans grands calculs, le dôme de la basilique Saint-Pierre à Rome. Toutes les prouesses techniques antérieures au 19 ème siècle sont dues à des savoir-faire acquis et lentement améliorés sans processus rationnels élaborés.
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Avec la Renaissance et le siècle des Lumières, les élites occidentales ont progressivement abandonné les superstitions, la magie et la soumission à l’autorité religieuse
Chinois et Japonais restent très superstitieux. Cela ne semble pas être un frein à leur créativité. Sait-on que Newton s'est plongé dans l'alchimie après avoir accompli les travaux pour lesquels il s'est rendu célèbre ? L'autorité religieuse n'a jamais entravé le progrès technique ni les échanges commerciaux. Elle s'est seulement opposée à certaines théories scientifiques sans portée pratique. Du reste, il n'y avait pas en Chine de vérités révélées et donc pas d'autorités religieuses chargées de les défendre.
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La tradition scientifique occidentale qui sous–tend l’attitude de l’homme moderne à l’égard du progrès technique et de l’innovation remonte clairement au XVIIe siècle, où elle a commencé à imprégner le système éducatif
Le système éducatif jusqu'à la fin du 18ème siècle ne s'intéressait qu'aux matières littéraires, à l'histoire, au droit, à la théologie et un peu aux mathématiques (algèbre élémentaire et géométrie d'Euclide). Un enseignement plus technique n'était diffusé que dans les écoles militaires pour les besoins de la marine et de l'artillerie. Les savoir-faire étaient transmis de maître à apprenti.
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L’Europe reposait sur un système d’États–nations qui avaient de grandes affinités. Ces nations étaient tournées vers l’extérieur, elles entretenaient des liens commerciaux importants et les échanges intellectuels étaient relativement faciles. Tout cela stimulait la concurrence et l’innovation.
Elles avaient de grandes affinités mais ne cessaient de se faire la guerre. Cela n'empêchait cependant pas les échanges. Mais sur quel rayon ? La superficie de la Chine est celui de toute l'Europe. Il faudrait, pour que la comparaison ait un sens, ne tenir compte que des échanges de l'Europe avec le reste du monde.
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l’accumulation systématique de données scientifiques ouvertement publiées
C'est un fait qu'en Chine et au Japon la recherche mathématiques ne faisait l'objet que d'échanges très restreints. Les différentes écoles gardaient jalousement leurs secrets.
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Nous attachons peu de prix aux objets bizarres ou ingénieux, et nous n’avons pas besoin non plus d’autres objets fabriqués dans votre pays » (Teng, Fairbank et al. , 1954). Cette mentalité profondément ancrée contribua à empêcher la Chine de s’engager dans la voie du développement protocapitaliste empruntée par l’Occident de 1500 à 1800, et de participer par la suite à des processus de croissance économique beaucoup plus dynamique "
C'était l'attitude du moment. Peut-on dire qu'il s'agissait d'une mentalité profondément ancrée ? Au Japon, où le système de pensée était similaire, les
études hollandaises étaient suivies avec intérêt.