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Message Publié : 19 Jan 2014 16:31 
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Salluste
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Aïe, si j'ai pu laisser entendre dans mes messages qu'il y avait pas eu de changement culturel en Chine ou au Japon, alors le quiproquo est encore plus grand que vous ne le pensez :mrgreen: En fait, je crois que nous n'avons pas vraiment abordé ce point, très intéressant effectivement. J'aborderai ce point plus bas.


Barbetorte a écrit :
A vrai dire, nous ne parlons pas exactement de la même chose et nous ne sommes pas loin du quiproquo. L'eurocentrisme vous agace et vous fait réagir à juste titre. Il ne faudrait cependant pas ignorer certains faits et faire dire à vos interlocuteurs ou aux auteurs qu'ils citent ce qu'il n'ont pas dit. Quand Vandermeersch dit que le monde sinisé s'est occidentalisé, il ne prétend pas qu'on a produit les petits Chinois et les petits Japonais à la chaîne dans des usines telles que les imaginait Aldous Huxley avec des cerveaux formatés à l'américaine. C'est quand même un peu plus subtil et ses considérations sur le système d'écriture le montrent bien. Et je n'ai pas cité les passages de son ouvrage (de 1986 pendant l’ère Reagan) où il distingue d'un côté individualisme et de l'autre esprit communautaire. En deux mots, il voit les sociétés occidentales comme un ensemble organisé d'individus et les individus des sociétés sinisées comme des éléments qui se définissent par leur appartenance à une communauté et la place qu'ils occupent dans celle-ci. En espérant ne pas les dénaturer, je traduirais ses propos en faisant appel à des notions juridiques : les sociétés occidentales sont des sociétés de droit, les sociétés sinisées sont des sociétés de devoir.
C'est une évidence, et ça conditionne un comportement social et, par contrecoup, privé (car le privé est souvent l'antithèse du public) absolument différent de ce qui existe en Occident. Ne serait-ce que sur ce point fondamental, on ne peut pas dire que la Chine ou le Japon (mais je connais beaucoup moins bien le Japon) se soient occidentalisés.

En public, il y a l'obsession de se définir par rapport au groupe, groupe qui peut changer selon les circonstance, donc le comportement public change avec lui : une personne pourra vous dire quelque chose et son contraire cinq minutes après si l'environnement a changé entretemps ; ça choquera votre raison mais pas du tout la sienne ("puisque le groupe a changé, mon discours a changé avec, c'est normal". Voici typiquement un exemple de logique chinoise qui fait s'arracher les cheveux des étrangers qui vivent en Chine lol )

Le maintien de la face est une priorité absolue : prestige social, argent, travail, mariage... A propos de ce dernier, comme le dit un proverbe chinois : "ce ne sont pas deux individus qui se marient mais deux familles". Ne pas être marié après l'âge de trente ans est une perte de face considérable pour la famille. Mes étudiantes me racontaient les invraisemblables combines de leur famille pour leur trouver un mari, les grands-mères qui vont au "marché au mariage" (sur plusieurs places, des fiches de célibataires accrochées aux arbres avec 1. salaire, 2. âge, 3. profession), la mère qui emmène sa fille chez le psychologue pour vérifier qu'elle n'est pas lesbienne et trouvera bien un mari, les dîners arrangés par les amis... L'une des fêtes les plus importantes en Chine, quoique pas officielle, est la Fête des célibataires, le 11 novembre (car II.II) où des dizaines de millions de Chinois se rencontrent chaque année puis se marient. Mariage collectif bien sûr, c'est la mode, 50 couples se marient en même temps (encore un truc qui paraîtrait invraisemblable en Occident).
Petite anecdote : savez-vous quelle est la profession qui monte en Chine? Le/la petit(e) ami(e) de location. Prenons le cas d'une jeune fille. Elle veut rassurer ses parents désespérés par son célibat et le fait qu'elle n'ait pas de petit copain, alors elle appelle une agence qui loue des jeunes garçons pour la journée. Le garçon joue le rôle du petit copain, les deux rendent visite aux parents et la jeune fille est tranquille pour quelques mois. lol Vous vous rendez compte jusqu'à quel point ça va? Alors qu'en France, on veut parfois cacher son/sa petit(e) ami(e) à ses parents, en Chine c'est le contraire, il faut absolument le montrer voire l'inventer ! Ce sont pleins de petits détails comme ça qui montrent à quel point la société chinoise est radicalement différente de la société occidentale, à quel point la vision du monde est autre...
Toujours à propos du mariage - mais il y a tellement de faits culturels, je ne peux pas parler de tout, d'ailleurs je commence à me rendre compte que je jette des information en vrac :oops: - le rapport de face entre l'homme et la femme exige que l'homme gagne plus que la femme. Ainsi, dans ce pays où le déséquilibre des naissances entraîne une pénurie de femmes et où la gent masculine est de plus en plus désespérée de trouver une épouse (d'où une suractivité dans les études : il faut absolument avoir le meilleur diplôme et le plus haut salaire pour pouvoir trouver la future mère de son enfant), dans ce pays, donc, existent des millions de femmes riches... et célibataires, que personne ne veut épouser ! 8-| Une femme riche, chef d'entreprise par exemple, est une femme qui trouvera très difficilement un mari alors que des millions d'hommes ne trouvent pas de femme. Tout ça à cause d'une question de face. Ca nous paraît invraisemblable, c'est pourtant un fait très réel...
Les mariages d'amour sont évidemment rares (ça, c'était la même chose en Europe au XIXème siècle), et ils se font de plus en plus rares, contrairement à ce qu'on pourrait penser (car politique de l'enfant unique).

Bon, il y aurait encore des tonnes de trucs à dire sur la face publique... En privé, relâchement complet de cette pression sociale, sorte de "vengeance" vis-à-vis des proches, des intimes. Bon bref, je ne m'étends pas là-dessus d'autant que je crois en avoir déjà un peu parlé (dragons femelles :P )

Donc oui, ne serait-ce que ce positionnement par rapport au groupe qui conditionne à peu près tous les comportements est une différence fondamentale entre la Chine et l'Occident.

Citer :
Mais ce n'est pas parce que les ressorts sont différents qu'ils n'impulsent pas des mouvements pouvant aller dans le même sens et je ne souscris absolument pas à ce que disait Cush dans un précédent message : Les libertés individuelles? Je ne sais même pas si on peut transcrire cette expression en Japonais tant elle semblerait incongrue!. Non seulement, cette expression existe en japonais (on peut tout traduire en kanji et peut-être plus facilement que dans les langues latines) mais encore elle n'est pas incongrue dans le sens où les libertés individuelles sont aussi bien respectées au Japon qu'en Europe de l'ouest ou aux Etats-Unis. Ce qui paraît incongru à un Japonais, c'est de brandir à tout instant la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ou le xième amendement sur les prétextes les plus futiles. C'est tout.
D'accord, mais quels sont les exemples d'occidentalisation que donne Vandermeersch ? Je n'ai pas lu son Monde sinisé.

Citer :
Vous faites état de profondes différences dans les comportements et les mentalités entre Chinois et Occidentaux. On ne peut sérieusement le nier. Mais vous en déduisez qu’il n’y a pas eu de réelle mutation culturelle et là, je ne vous suis pas. Alors que la Chine et le Japon ont été secoués par des évènements culturellement plus violents encore que la Révolution ne l’a été pour la France, on ne peut n’y voir que des péripéties n’ayant pas plus marqué les peuples que l’eau glissant sur la plume du canard.
Non, non, non, quiproquo... et laissons ce pauvre canard :mrgreen: Il y a bien sûr eu d'énormes changements culturels. En Chine, c'est flagrant sur les deux derniers siècles. Mais deux choses :
- ces changements culturels ont très souvent eu lieu selon une logique locale qui n'a rien à voir avec une supposée occidentalisation (changement ne veut pas dire occidentalisation !) La politique de l'enfant unique par exemple a entraîné des comportements radicalement nouveaux (enfant-empereur gâté, parents qui poussent à l'excellence etc.) sans que l'influence occidentale y soit pour quelque chose.
- et on se rend finalement compte au bout de quelques années que plus ça change, moins ça change... Alors pour ça, il faudrait entrer profondément dans la doctrine taoïste, dans le Livre des mutations (le livre le plus fondamental de l'histoire chinoise, qui a profondément influencé la société pendant 3 000 ans), et c'est un domaine que je ne connais pas très bien. En gros, c'est l'éternel recommencement, le changement qui ne change pas (oui je sais, c'est bizarre)...
Pour prendre un exemple historique (clin d'oeil flatteur au gentil modérateur qui tolère mes divagations personnelles :wink: ), regardez la Révolution culturelle. En Europe, particulièrement en France, personne n'a compris ce qu'était réellement la Révolution culturelle, à savoir un coup d'Etat qui n'avait rien de révolutionnaire ni rien de culturel comme le montre très bien Simon Leys dans Les habits neufs du Président Mao (un livre à lire absolument si l'on veut comprendre la Chine du XXème siècle).

L'expérience du Grand Bond, voulu par Mao, s'est révélée catastrophique (40 millions de morts) et le Parti communiste a mis le Grand timonier sur la touche, ni plus ni moins (on dit parfois qu'il s'est lui-même retiré sur l'Aventin). Pendant quelques années, la Chine a été dirigée par ceux du courant pragmatique (Liu Shaoqi, Deng Xiaoping etc.), Mao gardant un rôle honorifique. Nous sommes au début des années 60.
Dans l'entourage du maire de Pékin, des intellectuels critiquent le Grand Bond en avant et la politique catastrophique de Mao, dans une pièce de théâtre intitulée La destitution de Hai Rui. Le temps est à l'ouverture (toute relative) tandis que Mao fait les cent bonds... heu... pas ( :mrgreen: )
Pour revenir au pouvoir, il ne peut compter ni sur les cadres du Parti (acquis au camp pragmatique) ni sur les intellectuels (qui le détestent après la Campagne des cent fleurs) ni sur la majorité de l'armée (qui lui est défavorable après les purges du Grand Bond en avant). Il ne peut mobiliser que la jeunesse (ceux qui deviendront les futurs Gardes rouges) et une minorité de l'armée aux ordres de son fidèle Lin Biao. Et c'est ce coup d'Etat de Mao qu'on appelle Révolution culturelle, ce que certains imbéciles de mai 68 n'ont pas compris. On la nomme "culturelle" parce que le prétexte initial était culturel : la critique de la pièce de théâtre dont j'ai parlé, qui moquait Mao, a été le premier pas vers le retour au pouvoir du Grand timonier. Et celui-ci s'est fait grâce à un putsch militaire de l'armée du nord aux ordres de Lin Biao qui marche sur Pékin et grâce aux jeunes Gardes rouges fanatisés que Mao lance contre les cadres du parti favorables au camp pragmatique. Cette Révolution culturelle est donc une contre-attaque de Mao contre le Parti qui l'avait viré.

Eh bien, comment ne pas voir dans ce théâtre d'ombre les éternelles intrigues du pouvoir que connaissait la Chine depuis depuis toujours ? Des dirigeants au sommet qui se font la guerre à fleurets mouchetés, ne s'affrontant pas directement mais utilisant les ressources que leur offre le pays (jeunesse, armée, Parti, intellectuels...) dans leur lutte. Le communisme et particulièrement le maoïsme a été une nouveauté à bien des égards, mais quand on gratte un peu, on retrouve des pratique de pouvoir multimillénaires.

Citer :
Il serait intéressant de prendre connaissance des programmes scolaires dans les enseignements primaires et secondaires et plus encore ce qu’on enseigne dans les universités de lettres et de sciences humaines. Quelle place réserve-t-on respectivement à Confucius et à Platon ?
Platon? 8-| 8-| Aucune place ! La Chine se fiche éperdument de Platon...

Citer :
En matière de musique, quel est l’instrument le plus joué ? Le violon ou le shamisen ?
En Chine, le er-huo, mais aussi le violon.

Citer :
Vous dites, ce qui compte, c’est la face, et vous en donnez pour preuve que lorsqu’on a réussi socialement il faut montrer sa richesse. Mais est-bien dans la tradition confucéenne ? Cette tradition ne devrait-elle pas enseigner au contraire la mesure et la sobriété ? Pour montrer quelle est sa position, si tant est qu’il y ait dans la tradition confucéenne obligation de s’afficher, il y a tout de même des moyens plus discrets qu’une ostentation de nouveau riche. Un lettré de la Chine des Qing ne trouverait-il pas affreusement barbare le comportement de la nouvelle bourgeoisie chinoise ?
Bien sûr que le lettré de l'époque qing trouverait barbare la nouvelle classe moyenne chinoise (et pas que le lettré d'ailleurs, c'est parfois pénible à vivre au quotidien lol ). Sur le fond, j'ai répondu plus haut : il y a eu des changements radicaux mais internes, sans influence occidentale. N'oubliez pas le taoïsme, dont l'influence a été presque plus importante que le confucianisme dans l'histoire chinoise ! Enfin, comme chez tout "croyant", il y a la doctrine et la réalité, les bons sentiments théoriques et la vie quotidienne. Même le plus confucéen des confucéens ne peut manquer de donner de l'importance à la face, véritable alpha et oméga de la vie en Chine.
Une petite anecdote pour finir, qui dépasse d'ailleurs largement la Chine. Bon, vous savez que le principal critère de beauté en extrême-Orient a de tous temps été la blancheur de la peau. Pas par goût esthétique et encore moins par imitation des Occidentaux comme on l'entend parfois, mais tout simplement parce que la blancheur de peau était l'apanage des gens riches qui vivaient à l'abri du soleil tandis que les pauvres trimaient au soleil et bronzaient. Du coup, une confusion, que l'on retrouve aussi bien en Chine qu'en Thaïlande ou au Vietnam, est apparue entre la richesse et la beauté. Un riche est forcément beau et un beau est forcément riche ! :rool: Cette confusion existe jusque dans le langage puisque, s'il y a deux mots différents, un certain nombre de personnes font, sans s'en rendre compte, la confusion entre les deux quand ils parlent. "Elle est riche... heu... belle" lol Je mentirais si je disais que la majorité des gens font cette confusion mais c'est quelque chose qu'on entend régulièrement.

Bien à vous et désolé si tout est un peu en vrac...


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Message Publié : 19 Jan 2014 18:47 
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Altai Khan a écrit :
Désolé, mais le dialogue de sourd devient pénible et frustrant, j'ai l'impression de me cogner la tête à un mur... (et en lisant d'anciens fils, je constate que je ne suis pas le seul dans ce cas)

Ne faites pas cela, malheureux ! Et si quelqu'un allait relire les vôtres ? Alain est volontiers attaché à ses idées, mais j'attends encore de voir un sujet dans lequel vous changez d'avis pour vous ranger à celui de votre interlocuteur.

Alain.g a écrit :
Altai Khan a écrit :
Enfin bon, je vois qu'on ne répond toujours pas aux centaines et centaines de lignes que j'ai écrit pour rien...
J'ai bien lu vos messages mais sur un forum je vais à l'essentiel pour éviter l'effet ping pong qui n'a aucun intérêt en dehors des protagonistes et ai relevé ce qui comptait. On n'est pas obligé de se répondre sans cesse à l'infini à toutes les remarques. Rien de personnel!

Sans compter qu'un ping-pong implacable finirait par lasser la modération, laquelle est parfaitement capable de fermer un sujet qui tourne en rond, d'une part, et a déjà noté avec lassitude votre tendance conjointe au ping-pong, d'autre part.

Ici on n'a certes pas un ping-pong, mais par contre on a un parfait dialogue de sourds, ce qui ne vaut guère mieux.

Il serait bon que vous sortiez l'un et l'autre de ce dialogue de sourds. Je suis un peu surpris que les citations et les remarques de Barbetorte ne soient pas davantage prises en compte.

Merci de ne pas commenter ces remarques, mais d'en tenir compte.

Pour parler de ce que je connais, il me paraît incontestable que l'Europe a radicalement changé depuis 1789. Comment prétendre qu'il n'en a pas été de même pour la Chine ? J'ai été frappé par cette citation, de mémoire : " On tolère en Chine une réunion consacrée à la pensée confucéenne, parce que le risque d'un retour en arrière n'existe plus. Le monde a trop changé."

En France, il faut aller chercher un sociologue pour mettre en évidence la permanence d'un comportement culturel qui relève de l'ancien régime, ce qui signifie que ça ne saute pas si facilement aux yeux.

Je fais allusion aux travaux du sociologue Philippe d'Iribarne sur "La logique de l'honneur". (C'est le titre de l'ouvrage.) C'est parti d'un étude de cas passionnante : un grand groupe américain, disposant de trois unités de fabrication identiques, combinant chacune un phase de fonderie (process continu) et une phase d'usinage final (process discontinu : l'association des deux pose toujours des problèmes industriels non triviaux) s'est émue du fait que dans son unité française on semblait ne tenir aucun compte des procédures en vigueur. De même les processus de décision dans l'unité néerlandaise laissaient perplexe la direction américaine, qui a donc demandé à ce sociologue une évaluation comparative des pratiques réelles sur ces trois unités.
La synthèse des interviews françaises, dont il donne quelques échantillons très parlants, fait apparaître un phénomène intéressant : tout se discute et se négocie non pas en référence aux procédures (qui ne couvrent d'ailleurs jamais tous les cas de dysfonctionnements possibles) mais en référence à l'idée que chacun se fait de son rôle, avec le souci de ne pas déchoir. Chacun à une représentation de la noblesse de sa mission, et n'entend pas être considéré comme au service d'un autre service ou atelier. Chacun considère certaines tâches comme nobles et d'autres comme inférieures à son rang.

Pour illustrer le propos, voici par exemple le service maintenance. La production se plaint de sa mauvaise prise en compte de ses problèmes réels et de sa difficulté à le faire bouger. A l'inverse, les techniciens du service maintenance se plaignent que la production les prend pour des larbins et ne reconnaît pas leur expertise technique. Après analyse, on constate que pour un technicien de maintenance son rôle est d'intervenir en cas de panne pour sauver la situation. Il ne saurait être question de participer à des tâches "inférieures" de production, comme le fait de changer des consommables, des outils, ou d'effectuer la maintenance premier niveau : graissage, réglages de base... quand bien même ce savoir-faire serait mal maîtrisé par les opérateurs de production. Le périmètre d'activité de chacun est donc l'objet d'un compromis négocié entre "féodaux" c'est à dire entre les responsables des deux services.

Ce fonctionnement présente des inconvénients, mais également des avantages : lorsque l'honneur est en cause, c'est à dire lorsqu'on parle des tâche considérées comme nobles, tout sera mis en oeuvre pour assurer la mission. Il n'y a que dans l'unité française qu'on voit des techniciens rester au travail jusqu'à minuit et au delà pour résoudre une panne bloquante pour la production. Là il n'est pas question de conventions syndicales : l'honneur est en jeu.

Autre exemple : un technicien de production n'hésitera pas à stopper toute la production, même si ça ne fait théoriquement pas partie de ses attributions, s'il estime ou constate qu'il y a une dérive de qualité : l'honneur de la production est de sortir des pièces dans les tolérances. L'honneur est en cause et il estime que ça fait partie de sa mission en cas de dérive. (D'où ce décalage très français entre hiérarchie formelle et hiérarchie réelle.) Et ce n'est pas négociable, il est prêt à mettre sa démission dans la balance.

Philippe d'Iribarne en conclut que l'entreprise française fonctionne selon une logique de rang héritée de l'ancien régime. (Le vocabulaire employé dans les interviews est frappant.) On négocie entre pairs, les procédures n'ont qu'un rôle indicatif, ce qui compte c'est la représentation que chacun se fait de son rôle, et plus particulièrement de ce qu'il considère comme noble ou pas. (Au passage, on pourrait comparer avec le souci chinois de ne pas perdre la face, mais en réalité le ressort est spécifiquement français : il remonte à l'époque où la société se structurait implacablement par niveaux, la notion de rang existant même à l'intérieur du Tiers-Etat, par exemple à travers la hiérarchie dans les corporations.)

Ce fonctionnement est totalement déroutant pour un Américain. Philippe d'Iribarne a mis en évidence que les deux autres unités, américaine et néerlandaise, ont également une logique nationale.

Aux Etats-Unis, les rapports s'établissent sur une base contractuelle entre individus considérés comme libres. On fera tout ce qui est prévu dans la description de poste et dans les procédures. Par contre, reprocher à un cadre de n'avoir pas pris une initiative non répertoriée serait considéré comme "unfair", c. à d. en rupture de la relation contractuelle établie. "fair" et "unfair" sont les maîtres mots qui fixent les limites de l'activité de chacun, selon un contrat préétabli. (D'où l'accent sur les procédures, qu'un français a tendance à juger comme inutilement tatillonnes et paperassières - pour l'avoir vu fonctionner en France, je confirme que cette obsession américaine nous semble ahurissante et même singulièrement pesante.)

L'usine hollandaise fonctionne selon une logique de consensus de groupe. On y met le temps qu'il faut, mais on finit sur un compromis commun, qui ne sera plus remis en cause, sauf évènement extérieur. En apparence plus rassurant, ce fonctionnement a aussi ses limites : il est contraignant pour le individus qui sont en désaccord - et parfois pour de bonnes raisons. L'attitude d'un français qui campe sur ses positions en estimant qu'il y va de l'intérêt général - selon son opinion - y serait vue comme déviante au delà d'un certain stade.

Au total on constate au quotidien que dans chaque pays joue un trait culturel lié à des conditions historiques lointaines, et que sa prise en compte est indispensable sous peine de déclencher de graves conflits internes.

Pour revenir au sujet, je me demande si le cas de la Chine ou du Japon est du même ordre, c'est à dire gérable avec un peu d'attention, ou si il y a un gouffre culturel qui les rendraient définitivement trop éloignés de nos propres traits culturels.

J'ai tendance à partager l'opinion de Barbetorte et à privilégier la première hypothèse : il y a un socle commun et des traits spécifiques.

Le "management multiculturel" est un thème sur lequel des consultants travaillent depuis une vingtaine d'années, preuve que faire cohabiter ces cultures nationales dans une structure commune (bureau d'études, centre de développement logiciel,...) ne va pas de soi, mais preuve aussi que c'est possible.

J'aimerais que cette discussion s'oriente davantage sur l'analyse des points communs et des différences, plutôt que sur une opposition caricaturale entre "tous identiques" et "non, la Chine c'est l'ailleurs absolu."

Pour moi il y a déjà un universel : la révolution industrielle est passée partout, avec son cortège de standardisation des fonctionnements et de culture technique partagée (ce qui remonte loin dans le système scolaire) il serait illusoire de considérer qu'elle n'a touché que l'écume des choses. De même, sur le plan politique, la Chine comme le Japon ont éprouvé un (voire plusieurs) choc culturel aussi décisif que la révolution pour nous. "Le monde a trop changé, on ne reviendra pas à la tradition" me semble un constat de bons sens.

En clair, je pense que la convergence des cultures n'est pas qu'un effet de surface. (On trouverait sans doute davantage de traits distinctifs en observant un pays africain : là il n'y a pas eu révolution industrielle et adaptation forcée et partagée comme en Chine et au Japon.)

EDIT : @Altai Khan : ne vous excusez pas de livrer le choses en vrac, au contraire les exemples quotidiens que vous donnez sont intéressants. En même temps on se dit que malgré l'aspect exotique pour nous de certains comportements le fossé n'est pas infranchissable.

Une amie qui est en train d'ouvrir une implantation chinoise pour le master "Management de projets internationaux" de son école d'ingénieur me disait sous une autre forme ce que vous dites de l'adhésion obligatoire à l'opinion du groupe : "ils bossent dur, ils ont une mémoire à toute épreuve, mais par contre ils n'ont aucun sens critique, et c'est tout un travail que de leur apprendre cet état d'esprit." Au passage, on voit que la convergence ne se limite pas à partager des connaissances techniques, mais à adopter des démarches de pensée compatibles. Ce n'est pas tant qu'un français juge ce trait culturel de façon très négative - nous sommes les champions de l'esprit critique - que le fait qu'il est impossible de faire fonctionner une organisation ou de mener à bien un projet si personne ne s'exprime sur ce qui ne fonctionne pas.

Mais bon, pour l'entreprise chinoise comme pour l'entreprise française, malgré le poids de la culture nationale, on constate que "pourtant elle tourne." Il y a donc forcément des modes de régulation des problèmes.

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Les raisonnables ont duré, les passionnés ont vécu. (Chamfort)


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Message Publié : 20 Jan 2014 0:37 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

Inscription : 27 Déc 2013 0:09
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Tout cela est très instructif. L'étude menée dans les trois entreprises montre bien combien deux pays pourtant géographiquement proches peuvent différer par maints aspects et donc combien il faut rester prudent en parlant d'Occident.

Quand je parlais de quiproquo, c'est au sujet de la notion de culture, terme qui peut être chargé de divers sens. Ce peut être simplement, pour reprendre l'expression d'Edouard Herriot, ce qui reste quand on a tout oublié mais aussi l'ensemble des traditions, des conditionnements et des moeurs. Pour ce qui est des savoirs et des règles sociales explicites, je pense qu'on peut parler d'occidentalisation de la Chine et plus encore du Japon depuis la fin du dix-neuvième siècle. Le reste, implicite ou inconscient, la réalité profonde, a, il est vrai, été peu touché ou, s'il l'a été, c'était plus par évolution naturelle que par attraction d'un type de société sur un autre.

Dans Le nouveau monde sinisé, Léon Vandermeersch ne donne pas d'exemple précis d'occidentalisation et ne dit rien sur les moeurs. C'est plus un ouvrage de géographie que de sociologie. La partie la plus originale et la moins caduque est celle portant sur le système d'écriture dans lequel il voit un précieux conservateur d'identité et un précieux outil cognitif.

L'usage de louer les services d'un petit ami temporaire est intéressant à relever. Il y a cinquante ans, une jeune fille chinoise, que ce soit sur le continent ou à Taïwan, n'avait pas de petit ami, ou, sinon, comme ailleurs, à l'insu de ses parents. C'est que les moeurs changent. Faut-il y voir une occidentalisation ? L'effet de pouvoir disposer de moyens de contraception ? Ou d'autres raisons encore ? Le fait est que certains comportements ont évolué de façon similaire et en Chine et dans les pays occidentaux.

Quant à Platon, si la Chine s'en moque éperdument, sans prétendre que ce soit la lecture favorite des Japonais, je suis persuadé qu'en cherchant dans une bonne librairie d'une grande ville japonaise, on doit pouvoir le trouver tout comme en France pour le tao ou confucius, et ce non seulement dans les librairies spécialisées.

En ce qui concerne la Révolution culturelle, qu'elle qu'en soit la raison politique, elle a bien eu un effet culturel en privant d'une instruction digne de ce nom toute une génération.


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Message Publié : 20 Jan 2014 9:38 
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Salluste
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Inscription : 16 Déc 2013 13:24
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Pierma a écrit :
Une amie qui est en train d'ouvrir une implantation chinoise pour le master "Management de projets internationaux" de son école d'ingénieur me disait sous une autre forme ce que vous dites de l'adhésion obligatoire à l'opinion du groupe : "ils bossent dur, ils ont une mémoire à toute épreuve, mais par contre ils n'ont aucun sens critique, et c'est tout un travail que de leur apprendre cet état d'esprit."
lol Oui, c'est effectivement l'un des premiers problèmes qui se posent à tout étranger faisant un travail pédagogique en Chine. C'est ce qu'on appelle l'interculturel ; passionnant mais parfois un peu épuisant.

Mais en fait, la différence dépasse largement cette seule question de penser par le groupe ou d'esprit critique, c'est quelque chose de beaucoup plus fondamental. Le mode de pensée est totalement différent, je veux dire les relations logiques, les relations de cause à effet. Ce que je vais dire n'a rien d'historique et va même peut-être paraître condescendant vis-à-vis de la culture chinoise, ce qui n'est vraiment pas le but recherché, mais oui, on a l'impression que dans l'esprit chinois, les choses sont séparées, sans lien entre elles. Là où un Indien, un Occidental, un Thaïlandais, un Nigérian ou un Brésilien verra immédiatement une relation logique - que ce soit la cause-conséquence, l'opposition etc. -, le Chinois ne la voit absolument pas.
Alors, réfléchissant pendant des années sur cela, j'ai fini par avoir une hypothèse. Bon, elle n'a rien de scientifique et je ne peux absolument pas la prouver. Il me semble que cela vient de la langue. On sait tous que la langue est une structuration de la pensée, que sans langue il ne peut y avoir de pensée. Or le chinois est la seule langue du monde totalement idéographique. Même le japonais (par le biais des katakanas et de sa grammaire compliquée) ou le coréen sont combinatoires. Les langues alphabétiques, elles, sont totalement combinatoires et leurs locuteurs apprennent donc instinctivement les relations logiques de cause-conséquence (ces deux lettres ensemble forment tel son...) Rien de tel pour le chinois qui est totalement idéographique. L'apprentissage des caractères se fait par coeur, pas couches successives. Il me semble qu'un tel apprentissage structure le cerveau et donc la pensée de manière bien différente : apprentissage par coeur, passivité et attente de ce qu'on reçoit, absence de réflexion personnelle, et surtout logique et façon de penser radicalement différentes...
Entre parenthèses, je crois d'ailleurs (mais je peux me tromper) que les neurologues ont conduit des expériences qui ont conclu que la lecture du chinois entraîne un processus cognitif différent : alors que les écritures alphabétiques font travailler l'hémisphère gauche du cerveau, la lecture des idéogrammes concernent l’hémisphère droit, dont les fonctions relèvent plus de l’espace et des images. Bon, je ne suis pas spécialiste, mais ce qui est sûr, c'est que dans la culture chinoise, un idéogramme est d'abord perçu comme une image qui engendre souvenirs ou réflexions, qui fait voguer l'esprit vers des lieux lointains, incompréhensibles pour un locuteur d'une langue alphabétique pour qui une lettre est une lettre et point. C'est d'ailleurs pour cela que la calligraphie est un art à part entière en Chine, peut-être le plus important, une véritable poésie. Un caractère n'est pas qu'un mot, c'est tout un univers mental imagé qui entraîne un mode de pensée totalement différent.
Bon, cette explication vaut ce qu'elle vaut... Peut-être est-ce la bonne pour expliquer cette sensation immédiate d'être sur une autre planète mentale quand on vit en Chine.

Il faut noter que les voisins asiatiques de la Chine eux-mêmes ne comprennent pas plus "l'esprit chinois" que les Occidentaux. Les Japonais, Coréens, Vietnamiens, Philippins, Thaïlandais etc. qui y vivent sont complètement perdus dès qu'il s'agit de comprendre comment "fonctionne" le mode de pensée chinois, alors qu'ils s'entendent (au premier sens du terme) relativement bien entre eux ou avec d'autres étrangers. Quand des gens de nationalités pourtant très différentes - asiatiques, européennes, africaines, américaines - se retrouvent, ils sentent entre eux un "tronc commun" du mode de pensée, malgré les différences culturelles qui peuvent exister. Et partout la même conclusion : le seul pays qui n'appartient pas à ce tronc commun est la Chine... C'est une autre planète mentale. Une civilisation très estimable, admirable à bien des égards, mais radicalement différente. Pas seulement différente de l'Occident : différente du monde entier et, au premier chef, de ses voisins asiatiques.

Alors vous comprenez, quand j'entends dire que la Chine est occidentalisée, ça me fait doucement rire... Il n'y a pas de pays sur terre qui représente une altérité aussi totale que la Chine. Oh bien sûr, pas dans les objets qu'on voit en surface : il y a des voitures, des trains, des pantalons, des chaussures... Non, je veux dire dans l'esprit, dans la pensée. Une autre planète mentale.

Et une planète mentale qui a pris place dans une civilisation qui s'est construite et développée à l'écart du monde pendant 4 000 ans. L'Eurasie, le Moyen-orient, l'Europe, l'Amérique plus tard, ont connu bouleversements, invasions, mélange des populations et des idées... pas la Chine. Les quelques invasions qu'elle a connues (Mongols, Mandchous, Occidentaux au XIXème siècle) ne l'ont touchée qu'en surface, de manière marginale. Les envahisseurs étaient bien trop peu nombreux pour bouleverser démographiquement ou culturellement la Chine. Cette civilisation a choisi sa voie il y a 4 000 ans et, depuis, suit son bonhomme de chemin en restant profondément, fondamentalement "intacte" malgré les bouleversements qu'elle a connus en surface, bouleversements qui étaient de toute façon internes pour la plupart. Un mur de certitudes et de logique propre, vieux de 4 000 ans...


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Message Publié : 20 Jan 2014 11:08 
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Barbetorte a écrit :
Pour ce qui est des savoirs et des règles sociales explicites, je pense qu'on peut parler d'occidentalisation de la Chine
8-| En quoi?

Citer :
L'usage de louer les services d'un petit ami temporaire est intéressant à relever. Il y a cinquante ans, une jeune fille chinoise, que ce soit sur le continent ou à Taïwan, n'avait pas de petit ami, ou, sinon, comme ailleurs, à l'insu de ses parents. C'est que les moeurs changent. Faut-il y voir une occidentalisation ? L'effet de pouvoir disposer de moyens de contraception ? Ou d'autres raisons encore ? Le fait est que certains comportements ont évolué de façon similaire et en Chine et dans les pays occidentaux.
Mais... comment dire... en quoi le changement doit-il être forcément considéré comme occidental ? Je ne m'adresse pas directement à vous, mais c'est un discours lancinant et assez pernicieux qu'on entend ou lit dans beaucoup de médias occidentaux. Le changement dans le monde ou la modernité seraient forcément d'obédience occidentale. 8-| Je n'arrive pas à comprendre ce discours néo-colonialiste qui, en gros, laisse le choix entre :
- des pays ou peuples qui évoluent donc, forcément, s'occidentalisent,
- des pays ou peuples qui restent eux-mêmes et donc forcément sont des attardés ancrés dans le passé, des bêtes sauvages en quelque sorte.

- hum hum, mon cher major, ces sauvages sont d'un pittoresque...
- oui my dear, nous sommes là pour civiliser le pays mais nous laissons certains conserver leurs traditions. Regardez d'ailleurs ce guerrier avec sa peau de léopard...

:rool:

L'Occident n'est pas Dieu ou Superman, il doit accepter l'idée que des pays puissent évoluer ou changer sans qu'il y soit pour quelque chose. Il n'y a pas que le modèle occidental dans le monde, il y a une vie au-delà de l'Occident...
Je me demande si ce discours n'est pas une espèce de chant du cygne d'un Occident qui perd de plus en plus la main dans les affaires du monde et qui a bien du mal à accepter cette idée. Une sorte de domination par procuration : oui, d'autres pays nous dépassent et vont dominer le monde, mais comme ils sont occidentalisés, ça va, c'est comme si nous continuions à dominer le monde. On se rassure comme on peut lol

Citer :
En ce qui concerne la Révolution culturelle, qu'elle qu'en soit la raison politique, elle a bien eu un effet culturel en privant d'une instruction digne de ce nom toute une génération.
Bien sûr, mais je parlais du prétexte. On l'a appelée "culturelle" parce que le prétexte initial était culturel. Si le prétexte avait été un match de football, on l'aurait appelée la Révolution footballistique (avouez que ça en jette)

Plus sérieusement, cette Révolution culturelle met le doigt sur une autre constance typiquement chinoise : l'appel récurrent au passé et le patronage d'événements historiques. A cet égard, la période maoïste n'a pas du tout fait exception et n'a rien de novatrice.
J'ai expliqué plus haut que la critique de la politique de Mao s'est faite par l'intermédiaire d'une pièce de théâtre - La destitution de Han Rui - qui raconte l'opposition, à l'époque Ming (XVIème siècle), d'un honnête mandarin (Han Rui) au despotisme de son empereur. Par analogie, c'était une critique de l'empereur Mao par les "honnêtes" communistes pragmatiques autour de Liu Shaoqi. Dans l'entourage de Mao, on répond en critiquant vertement cette pièce de théâtre et, par extension, la personne du mandarin Han Rui. C'est le début de la Révolution culturelle.

On retrouvera ce genre d'amalgame entre histoire et politique contemporaine quelques années plus tard avec la fameuse Critique de Lin Piao et de Confucius lancée par les "gauchistes" dans l'entourage de la femme de Mao pour attaquer indirectement Zhou Enlai. Il nous paraît assez étonnant de voir dans le même sac Lin Biao et Confucius lol , mais c'est typiquement chinois : attaque détournée par l'entremise de figures du passé, analogie avec des situations historiques... Et voilà l'image d'un Mao totalement ancré dans le passé et dans ses pratiques politiques.

Imaginez un peu un manifeste Contre François Hollande et Descartes, ça ferait rire tout le monde. Pas en Chine où le passé est dans toutes les têtes, où il est vécu intensément, de manière infiniment plus vivante qu'en Occident. Simon Leys explique d'ailleurs, dans son long et fulgurant article L'attitude des Chinois à l'égard du passé - que c'est l'une des causes du peu de respect des Chinois vis-à-vis de leurs vieilles pierres. On sait que les destructions succèdent aux destructions, que des pans entiers du patrimoine architectural chinois est détruit, tout particulièrement de nos jours. Mais c'est parce que les Chinois voient l'histoire ailleurs que dans les vieilles pierres : elle est dans les têtes et dans les oeuvres littéraires, elle est dans la langue et la psychée collective. Un article passionnant que je peux envoyer par MP si ça intéresse quelqu'un.


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Message Publié : 20 Jan 2014 11:47 
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Je me demande si on n'a pas tendance à considérer comme occidentale une aspiration devenue universelle à plus de liberté individuelle et de démocratie. (Cette aspiration hérisse en certains endroits des réactionnaires, notamment religieux, elle n'en est pas moins présente un peu partout.)
Certes ce mouvement est né en occident, mais il n'en est plus l'apanage et de nombreux peuples cherchent leur propre voie, avec leur propre identité culturelle, vers cet idéal.

On a peu parlé dans ce sujet de l'exemple de la Corée, qui a développé son économie dans les années 60-70 par des mesures initiales en contradiction complète avec les préconisations du FMI, et se targue aujourd'hui d'avoir conservé ses valeurs culturelles sans tomber dans le copier-coller de l'occident.

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Les raisonnables ont duré, les passionnés ont vécu. (Chamfort)


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Message Publié : 20 Jan 2014 13:57 
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Pierma a écrit :
Je me demande si on n'a pas tendance à considérer comme occidentale une aspiration devenue universelle à plus de liberté individuelle et de démocratie. (Cette aspiration hérisse en certains endroits des réactionnaires, notamment religieux, elle n'en est pas moins présente un peu partout.) Certes ce mouvement est né en occident, mais il n'en est plus l'apanage et de nombreux peuples cherchent leur propre voie, avec leur propre identité culturelle, vers cet idéal.
Eh oui, c'est tout le problème et ça dépasse la discussion sur la démocratie ou la liberté, ça touche à peu près tous les domaines.
Il y a dans certaines couches fortement idéologisées de la société occidentale un ethnocentrisme bien réel qui consiste à penser que tout ce qui est passé ou tout ce qui s'est passé, à un moment donné, en Occident avant d'être transmis ailleurs est une preuve d'occidentalisation.

Dans ce cas, bah oui c'est facile, tout est occidentalisation... Mais alors, l'honnêteté intellectuelle exige qu'on fasse de même dans l'autre sens et qu'on pointe du doigt tout ce que l'Occident a reçu. Par exemple, les chiffres tels qu'on les connaît en Occident viennent de l'Inde et sont passés par les Arabes avant d'aboutir en Europe. Il faudrait donc parler d'indianisation des Arabes et d'arabisation de l'Occident. Il y a des théories selon lesquelles la notation mathématique positionnelle, sur laquelle d'une certaine façon toute la science occidentale est basée, aurait été transmise à l'Inde par la Chine, avant de gagner le monde arabe puis l'Europe. Un ethnocentriste chinois dirait donc : "C'est grâce à la sinisation de l'Occident que celui-ci est sorti de l'ignorance et a développé ses sciences" lol

On voit bien que ce n'est pas tenable ; si chaque transmission est considérée comme une influence d'une culture sur une autre, tout a donc influencé tout... Pourquoi alors seulement focaliser sur les transmissions de l'Occident aux autres et pas des autres à l'Occident ou pas des autres entre eux ? Notez d'ailleurs que, dans le dictionnaire, seul le terme "occidentalisation" existe et c'est très révélateur : il n'y a ni "orientalisation" (même si, soyons justes, certains l'acceptent), ni "septentrionalisation", ni "méridionalisation". Comme par hasard... Comme si seul l'Occident pouvait influencer les autres. :rool: Toute cette question relève bien souvent, malheureusement, de l'idéologie.

Pour revenir à votre exemple, Jean Bottéro a montré dans ses livres que la première "démocratie" est née en Mésopotamie et non en Grèce comme on le pense trop souvent. Alors bien sûr, il faut tout de suite s'entendre sur le terme "démocratie". Il ne s'agissait pas dans les cité-États mésopotamiennes du peuple qui vote et qui participe pleinement à la vie politique de la cité. Mais le premier "parlement" de l'histoire est né en Mésopotamie, sous forme de conseil des Anciens, qui pouvaient parfois aller, si mes souvenirs sont bons, jusqu'à élire le roi de la cité.
En Grèce, dans certaines cités et pas dans d'autres, la démocratie a franchi un nouveau pallier, quoique loin d'être très poussé puisque ça ne concernait qu'une infime partie de la population (10%). Etant donné l'influence considérable qu'a eu le Moyen-orient antique sur la Grèce (l'alphabet hérité des Phéniciens, la mythologie grecque influencée par des mythes mésopotamiens etc.), il n'est pas impossible d'imaginer, quoique sans preuve, que des cités grecques aient hérité de ce modèle pré-démocratique mésopotamien avant de le développer. Qui, pourtant, irait parler de "mésopotamisation" de la Grèce ou de l'Occident?

Bref, toutes ces histoires d'influence me laissent un peu dubitatif, surtout au vu de la charge idéologique très forte qui existe pour soutenir la thèse de l'influence du monde par l'Occident...


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Message Publié : 20 Jan 2014 16:28 
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Pierre de L'Estoile
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Altai Khan a écrit :
Barbetorte a écrit :
Pour ce qui est des savoirs et des règles sociales explicites, je pense qu'on peut parler d'occidentalisation de la Chine
8-| En quoi?
Ne serait-ce que dans les relations commerciales internationales. Les Chinois ont adopté les normes et les usages internationaux en la matière qui ont d'origine essentiellement américaine. Vous allez me dire que cela ne change pas le fond de l'âme chinoise. Soit. Il n'empêche que dans les milliers d'entreprises chinoises qui exportent partout dans le monde il y a des milliers de chefs d'entreprises, de commerciaux, de comptables, de juristes et d'ingénieurs, mais aussi des milliers de professionnels de l'hôtellerie et des transports qui sont amenés à prendre connaissance du monde extérieur et à s'adapter un minimum à leurs interlocuteurs étrangers. Cela ne change peut-être pas la façon dont ils vivent en famille, mais cela les oblige à des efforts intellectuels pour ne pas rester complètement autistes vis à vis de l'étranger. Vous pouvez penser que l'ouverture ne se fait qu'à travers un sas et que rien ne transpire de l'extérieur vers l'intérieur, je pense au contraire que le contact avec l'altérité a nécessairement une influence, ne serait-elle que mince et à long terme.

Citer :
Citer :
L'usage de louer les services d'un petit ami temporaire est intéressant à relever. Il y a cinquante ans, une jeune fille chinoise, que ce soit sur le continent ou à Taïwan, n'avait pas de petit ami, ou, sinon, comme ailleurs, à l'insu de ses parents. C'est que les moeurs changent. Faut-il y voir une occidentalisation ? L'effet de pouvoir disposer de moyens de contraception ? Ou d'autres raisons encore ? Le fait est que certains comportements ont évolué de façon similaire et en Chine et dans les pays occidentaux.
Mais... comment dire... en quoi le changement doit-il être forcément considéré comme occidental ? Je ne m'adresse pas directement à vous, mais c'est un discours lancinant et assez pernicieux qu'on entend ou lit dans beaucoup de médias occidentaux.
On vous a entendu. Il est inutile de vous répéter, cela ne fait pas avancer le débat, d'autant plus que, comme je n'affirme rien, il n'y a rien à démentir. Je formule seulement des hypothèses sur un fait que vous évoquez : aujourd'hui il est de bon ton, voire même obligatoire pour une jeune chinoise d'avoir un petit ami. Je considère les faits suivants :
Il y a cinquante ans, tant en Europe qu'aux Etats-Unis et en Chine, il était mal vu, si ce n'était prohibé, pour une jeune fille d'avoir un petit ami.
Aujourd'hui c'est admis en Europe, aux Etats-Unis et en Chine.
Est-ce exact ?
Si c'est exact, peut-on avancer une explication ?
Première hypothèse : il y a une influence en matière de moeurs de l'Occident vers la Chine ; faut-il d'emblée la rejeter au nom du refus de l'eurocentrisme ? Nous sortons alors de la raison pour entrer dans le dogme.
Deuxième hypothèse : il y a une influence en matière de moeurs de l'Occident vers la Chine ; je ne pense pas, mais pourquoi pas ? si vous avez des arguments en faveur de cette hypothèse, je suis prêt à m'y ranger.
Troisième hypothèse : il y a une évolution parallèle des moeurs dans deux mondes différents.
Vers quelle hypothèse penchez-vous ?

Citer :
Plus sérieusement, cette Révolution culturelle met le doigt sur une autre constance typiquement chinoise : l'appel récurrent au passé et le patronage d'événements historiques. A cet égard, la période maoïste n'a pas du tout fait exception et n'a rien de novatrice.
Exact. Parmi les évènements mythiques de la propagande maoïste, la Commune de Paris figure en bonne place. Sans être un eurocentriste néo-colonialiste forcené, on est en droit de le relever, non ?

Citer :
Imaginez un peu un manifeste Contre François Hollande et Descartes, ça ferait rire tout le monde
. Oui, probablement, quoiqu'en France la création artistique soit suffisamment bien appréciée pour que des choses farfelues puissent rencontrer du succès.

Citer :
Mais c'est parce que les Chinois voient l'histoire ailleurs que dans les vieilles pierres : elle est dans les têtes et dans les oeuvres littéraires, elle est dans la langue et la psychée collective.
Les oeuvres littéraires, on les a tout de même bien censurées sous Mao, mais, puisque la censure se lève, il faut s'en réjouir. Ce goût pour les oeuvres du passé n'est pas spécifique aux Chinois. On lit encore avec délice Madame de Sévigné et l'on joue Les Fourberies de Scapin dans toutes les MJC de France et de Navarre.


Dernière édition par Barbetorte le 20 Jan 2014 16:43, édité 1 fois.

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Message Publié : 20 Jan 2014 16:40 
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Citer :
Notez d'ailleurs que, dans le dictionnaire, seul le terme "occidentalisation" existe et c'est très révélateur : il n'y a ni "orientalisation" (même si, soyons justes, certains l'acceptent), ni "septentrionalisation", ni "méridionalisation".
Le mot sinisation figure dans le Petit Robert.


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Message Publié : 20 Jan 2014 17:14 
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Pierma a écrit :
Je me demande si on n'a pas tendance à considérer comme occidentale une aspiration devenue universelle à plus de liberté individuelle et de démocratie. (Cette aspiration hérisse en certains endroits des réactionnaires, notamment religieux, elle n'en est pas moins présente un peu partout.)
Certes ce mouvement est né en occident, mais il n'en est plus l'apanage et de nombreux peuples cherchent leur propre voie, avec leur propre identité culturelle, vers cet idéal.


Né en Occident ... c'est vite dit. Je pense qu'on peut trouver dans les œuvres littéraires de toutes les cultures des ouvrages où l'on voit des fondements à cette aspiration à une plus grande liberté individuelle. Comme on peut trouver des ouvrages qui prôneront la solidarité communautaire comme instrument permettant de sortir de toutes les crises.

C'est en Occident que cet idéal "individualiste" a pu se développer de la manière la plus visible. Mais, je pense qu'il s'agit de l'une des racines de notre humanitude. Nous avons ces 2 besoins contradictoires : être partie prenante d'une communauté et d'en affranchir quand sa place devient trop prégnante. Mais, chacun met le curseur où il veut et la place de ce curseur change en fonction des évènements.

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Message Publié : 20 Jan 2014 18:32 
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Je trouve votre ton un peu cassant depuis deux-trois messages, Barbetorte. Je vous ai blessé en disant quelque chose?

Barbetorte a écrit :
Ne serait-ce que dans les relations commerciales internationales. Les Chinois ont adopté les normes et les usages internationaux en la matière qui ont d'origine essentiellement américaine. Vous allez me dire que cela ne change pas le fond de l'âme chinoise. Soit. Il n'empêche que dans les milliers d'entreprises chinoises qui exportent partout dans le monde il y a des milliers de chefs d'entreprises, de commerciaux, de comptables, de juristes et d'ingénieurs, mais aussi des milliers de professionnels de l'hôtellerie et des transports qui sont amenés à prendre connaissance du monde extérieur et à s'adapter un minimum à leurs interlocuteurs étrangers. Cela ne change peut-être pas la façon dont ils vivent en famille, mais cela les oblige à des efforts intellectuels pour ne pas rester complètement autistes vis à vis de l'étranger. Vous pouvez penser que l'ouverture ne se fait qu'à travers un sas et que rien ne transpire de l'extérieur vers l'intérieur, je pense au contraire que le contact avec l'altérité a nécessairement une influence, ne serait-elle que mince et à long terme.
C'est la même chose de l'autre côté, sauf que vous ne le voyez pas...

L'occidentalisation est une acculturation. S'adapter aux contingences d'une situation, par exemple pour faire du commerce, n'est pas une acculturation. Quand des chefs d'entreprise, des commerciaux etc. occidentaux vont en Chine pour faire des affaires ou signer des contrats, ils le font à la chinoise (il est évidemment hors de question de faire des affaires à l'occidentale en Chine, c'est le meilleur moyen de se retrouver le bec dans l'eau).
On ne compte plus les livres de conseils "culturels" aux entrepreneurs qui vont faire du business en Chine : prendre beaucoup de temps pour se familiariser avec son interlocuteur, restaurant, invitations, petits cadeaux réguliers, karaoké, parler des heures de sa famille, banquets, kampei jusqu'à en être ivre, enveloppes rouges, relation de confiance plus importante que le contrat, nécessité de ne jamais faire perdre la face... Bref, les entrepreneurs qui vont signer des contrats en Chine doivent s'adapter totalement aux exigences locales. Est-ce pour autant une acculturation ? Bien sûr que non, c'est simplement une adaptation aux contingences que la situation exige.

Vous parlez de l'hôtellerie, mais c'est exactement la même chose à Paris. Les hôtels s'adaptent à la clientèle chinoise. Un petit exemple amusant : la boisson nationale en Chine étant l'eau chaude (beurk ! Tenez, encore une particularité chinoise :mrgreen: : c'est à ma connaissance le seul pays du monde où les gens boivent de l'eau chaude), l'une des principales exigences des Chinois par rapport à l'hôtellerie est d'avoir dans la chambre une théière pour faire chauffer l'eau. On a vu des hôtels, parfaits par ailleurs, perdre toute leur clientèle chinoise du simple fait qu'ils ne fournissaient pas de théière dans la chambre. Maintenant, les hôtels ont compris et s'adaptent... Les boutiques de luxe (Louis Vuitton etc.) s'adaptent également à leur clientèle chinoise et offrent des ponts d'or à des "conseillers culturels" susceptibles de comprendre la clientèle chinoise. Là encore, point d'acculturation, une simple adaptation aux exigences de la situation.

Pourquoi, dans un sens, parle-t-on d'occidentalisation et pas dans l'autre? Encore une fois, c'est une habitude ethnocentriste prise depuis longtemps. Je ne pars pas en guerre contre l'ethnocentrisme, c'est un peu naturel de l'être - et les Chinois le sont d'ailleurs infiniment plus en général ! - mais c'est une vision qui déforme la réalité.

Citer :
On vous a entendu. Il est inutile de vous répéter, cela ne fait pas avancer le débat
Pas la peine d'être cassant. Je prends du temps pour écrire ces messages. A moi, ça ne me rapporte rien. Ce n'est pas souvent que l'on peut affirmer ça dans la vie, mais sur ce coup-là, je sais que j'ai raison, comme le sait n'importe quelle personne ayant vécu en Chine (sauf peut-être dans quelques enclaves occidentales à Shanghai). Et comme je ne suis pas idéologue et n'ai d'ailleurs aucune idéologie, je ne cherche à convaincre personne... Donc respectez un peu le temps que je passe à écrire ces messages, d'autant plus que je lance pas mal de perches tout de même annexes (Révolution culturelle, proposition de mettre à la disposition de ceux qui le veulent l'article scanné de Leys...)

Citer :
Aujourd'hui il est de bon ton, voire même obligatoire pour une jeune chinoise d'avoir un petit ami.
Ce n'est pas de bon ton, c'est par rapport aux parents, à la face de la famille et c'est la conséquence de la politique de l'enfant unique, je crois l'avoir expliqué, non?

Citer :
Parmi les évènements mythiques de la propagande maoïste, la Commune de Paris figure en bonne place. Sans être un eurocentriste néo-colonialiste forcené, on est en droit de le relever, non ?
Sur la Révolution culturelle, c'était plutôt un aparté historique par rapport au thème de cette discussion.
La Commune de Paris modèle de la Révolution culturelle? Bof... Je ne vois d'ailleurs pas trop quel modèle elle pouvait donner à un putsch militaire et au fait de lancer des bandes de gamins surexcités contre les cadres du Parti.
Ah, et sans être un sinocentriste anti-colonialiste forcené, on est également en droit de relever que la Révolution culturelle a été, alors là oui, un modèle à une partie des soixante-huitards. Orientalisation de l'Occident? :mrgreen:

Citer :
Citer :
Imaginez un peu un manifeste Contre François Hollande et Descartes, ça ferait rire tout le monde
. Oui, probablement, quoiqu'en France la création artistique soit suffisamment bien appréciée pour que des choses farfelues puissent rencontrer du succès.
On ne parle pas de création artistique, on parle d'une recherche de référence historique et de son appropriation, car on ne se sent pas l'audace de proposer quelque chose de nouveau. Il s'agit ici de se mettre "sous le parapluie" d'une référence historique, qu'elle soit positive ou négative, ce qui est une constante de la pratique politique chinoise.

Citer :
Citer :
Mais c'est parce que les Chinois voient l'histoire ailleurs que dans les vieilles pierres : elle est dans les têtes et dans les oeuvres littéraires, elle est dans la langue et la psychée collective.
Les oeuvres littéraires, on les a tout de même bien censurées sous Mao, mais, puisque la censure se lève, il faut s'en réjouir. Ce goût pour les oeuvres du passé n'est pas spécifique aux Chinois. On lit encore avec délice Madame de Sévigné et l'on joue Les Fourberies de Scapin dans toutes les MJC de France et de Navarre.
C'est un petit peu annexe dans notre discussion mais vous n'avez pas tout à fait saisi. Il ne s'agit pas du tout de "goût" pour les oeuvres du passé... Vous m'avez apparemment lu trop vite donc je reprécise que l'histoire est dans la conscience, dans la langue et dans les oeuvres littéraires (mais aussi dans les tableaux, les proverbes). L'histoire n'est pas un objet d'étude extérieur, elle est totalement appropriée, ingérée.
Ce qui est frappant en Chine, c'est la dichotomie immédiate que l'on rencontre entre la destruction parfois totale de l'héritage matériel de l'histoire et la prégnance spirituelle de celle-ci. En un mot, on ne voit l'histoire nulle part et on la sent partout. C'est un phénomène très curieux que tente d'expliquer avec beaucoup de finesse Simon Leys. Si ça intéresse quelqu'un...

Citer :
Le mot sinisation figure dans le Petit Robert.
Je sais, je l'ai d'ailleurs utilisé plusieurs fois sur ce fil. :wink:


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Message Publié : 20 Jan 2014 21:24 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

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Narduccio a écrit :
Pierma a écrit :
Je me demande si on n'a pas tendance à considérer comme occidentale une aspiration devenue universelle à plus de liberté individuelle et de démocratie. (Cette aspiration hérisse en certains endroits des réactionnaires, notamment religieux, elle n'en est pas moins présente un peu partout.)
Certes ce mouvement est né en occident, mais il n'en est plus l'apanage et de nombreux peuples cherchent leur propre voie, avec leur propre identité culturelle, vers cet idéal.


Né en Occident ... c'est vite dit. Je pense qu'on peut trouver dans les œuvres littéraires de toutes les cultures des ouvrages où l'on voit des fondements à cette aspiration à une plus grande liberté individuelle. Comme on peut trouver des ouvrages qui prôneront la solidarité communautaire comme instrument permettant de sortir de toutes les crises.

C'est en Occident que cet idéal "individualiste" a pu se développer de la manière la plus visible. Mais, je pense qu'il s'agit de l'une des racines de notre humanitude. Nous avons ces 2 besoins contradictoires : être partie prenante d'une communauté et d'en affranchir quand sa place devient trop prégnante. Mais, chacun met le curseur où il veut et la place de ce curseur change en fonction des évènements.
Dans toutes les cultures s'expriment des aspirations à la reconnaissance des droits de l'individu. L'Occident n'en a certainement pas le monopole. Le monde islamique notamment était certainement plus avancé que l'Europe du haut Moyen-Age en ce domaine. Mais il est un fait indéniable que c'est d'abord en Angleterre puis aux Etats-Unis et en France que des théories complètes et universelles sur les droits et les libertés des individus ont été formalisées et que les institutions de l'Etat y ont été adaptées pour les mettre effectivement en application. Ces premiers modèles ont ensuite été progressivement repris presque partout dans le monde, au moins formellement. Le mouvement est bien né en Occident. C'est un fait et l'on ne peut nier les faits. Ce qui est en revanche discutable est d'y voir une supériorité de l'Occident sur le reste du monde. Enfin, ce qui est inacceptable est de réduire ces concepts comme éléments culturels propres à l'Occident et, de ce fait, nier qu'il y ait légitimité à les faire appliquer partout dans le monde. On ne peut, au nom de je ne sais quel nationalisme ou relativisme culturel défendre des traditions contraires à la dignité de la personne humaine.


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Message Publié : 20 Jan 2014 21:40 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines

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Barbetorte a écrit :
Dans toutes les cultures s'expriment des aspirations à la reconnaissance des droits de l'individu. L'Occident n'en a certainement pas le monopole. Le monde islamique notamment était certainement plus avancé que l'Europe du haut Moyen-Age en ce domaine. Mais il est un fait indéniable que c'est d'abord en Angleterre puis aux Etats-Unis et en France que des théories complètes et universelles sur les droits et les libertés des individus ont été formalisées et que les institutions de l'Etat y ont été adaptées pour les mettre effectivement en application. Ces premiers modèles ont ensuite été progressivement repris presque partout dans le monde, au moins formellement. Le mouvement est bien né en Occident. C'est un fait et l'on ne peut nier les faits. Ce qui est en revanche discutable est d'y voir une supériorité de l'Occident sur le reste du monde. Enfin, ce qui est inacceptable est de réduire ces concepts comme éléments culturels propres à l'Occident et, de ce fait, nier qu'il y ait légitimité à les faire appliquer partout dans le monde. On ne peut, au nom de je ne sais quel nationalisme ou relativisme culturel défendre des traditions contraires à la dignité de la personne humaine.

Il est des pays où les droits et libertés individuelles passent après la survie du groupe primaire. Ce n'est pas une question de liberté, de respect des droits de l'homme, d'humanité ou d'intelligence, c'est une question de survie.


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Message Publié : 20 Jan 2014 22:36 
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Pierre de L'Estoile
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Altai Khan a écrit :
Je trouve votre ton un peu cassant depuis deux-trois messages, Barbetorte. Je vous ai blessé en disant quelque chose?
Blessé, non, mais un peu lassé. Si je vous disais que les Chinois sont des bipèdes comme les Occidentaux, continueriez vous à dire que ce n'est qu'en surface, qu'ils sont fondamentalement différents ?

Altai Khan a écrit :
Barbetorte a écrit :
Ne serait-ce que dans les relations commerciales internationales. Les Chinois ont adopté les normes et les usages internationaux en la matière qui ont d'origine essentiellement américaine. Vous allez me dire que cela ne change pas le fond de l'âme chinoise. Soit. Il n'empêche que dans les milliers d'entreprises chinoises qui exportent partout dans le monde il y a des milliers de chefs d'entreprises, de commerciaux, de comptables, de juristes et d'ingénieurs, mais aussi des milliers de professionnels de l'hôtellerie et des transports qui sont amenés à prendre connaissance du monde extérieur et à s'adapter un minimum à leurs interlocuteurs étrangers. Cela ne change peut-être pas la façon dont ils vivent en famille, mais cela les oblige à des efforts intellectuels pour ne pas rester complètement autistes vis à vis de l'étranger. Vous pouvez penser que l'ouverture ne se fait qu'à travers un sas et que rien ne transpire de l'extérieur vers l'intérieur, je pense au contraire que le contact avec l'altérité a nécessairement une influence, ne serait-elle que mince et à long terme.
C'est la même chose de l'autre côté, sauf que vous ne le voyez pas...
Je le vois très bien, je suis parfaitement au courant de tous les efforts que font les hommes d'affaires occidentaux pour se familiariser avec leurs partenaires commerciaux et je vois tous les magasins d'alimentation et restaurants chinois qui s'ouvrent en France, où les clients ne sont pas tous chinois, loin de là. Culturellement, cela ne va peut-être pas très loin, mais cela montre au moins qu'il y a des contacts dans les deux sens. Quant aux amphis des universités où l'on enseigne le chinois et le japonais, ils sont pleins. Il y a deux parties du monde fort différentes l'une de l'autre qui étaient presque complètement isolées il y a un siècle et qui commencent à communiquer et, espérons-le, arriveront à bien se comprendre. Pour ce qui concerne le Japon, c'est bien plus avancé.

Altai Khan a écrit :
L'occidentalisation est une acculturation. S'adapter aux contingences d'une situation, par exemple pour faire du commerce, n'est pas une acculturation.
L'acculturation commence par une prise de contact et, à la longue, il y a influence. C'est mon sentiment. Il me semble que vous ne le partagez pas. Vous avez peut-être raison mais cela pourrait se discuter et mon impression est que vous vous y refusez. Dans un message précédent, j'ai posé une question sur ce qu'on enseignait aujourd'hui dans les écoles en Chine. Si vous êtes en mesure d'apporter quelques informations, ce serait intéressant à commenter. Une simple anecdote. J'ai un jour posé à une étudiante japonaise des Langues'O une question simple sur le bouddhisme. Elle m'a répondu qu'elle ne savait pas, qu'elle ne suivait pas le cours Pensée japonaise. Elle aurait posé une question du même niveau à un étudiant français, même athée, elle aurait vraisemblablement reçu une réponse. Il ne faut peut-être pas y voir une occidentalisation, mais au moins une cassure culturelle.

Enfin, je vous ai mentionné un sinologue qui parle d'occidentalisation dans un ouvrage datant de 1986. Je suis enclin à lui faire confiance. Alors, je continue à penser que les Chinois de 1986 étaient plus ou moins occidentalisés.

Citer :
Citer :
Aujourd'hui il est de bon ton, voire même obligatoire pour une jeune chinoise d'avoir un petit ami.
Ce n'est pas de bon ton, c'est par rapport aux parents, à la face de la famille et c'est la conséquence de la politique de l'enfant unique, je crois l'avoir expliqué, non?
La politique de l'enfant unique a donc provoqué une évolution des moeurs similaire à celle qu'on observe en Occident. Mais vous n'aimez pas relever les similitudes, vous ne relevez que les différences.

Citer :
La Commune de Paris modèle de la Révolution culturelle?
Dans l'enseignement idéologique sous Mao, on parlait aux masses de Marx, de Lénine, et d'exemples de révolutions, la Révolution française et de la Commune de Paris en premier lieu.

Citer :
Vous m'avez apparemment lu trop vite donc je reprécise que l'histoire est dans la conscience, dans la langue et dans les oeuvres littéraires (mais aussi dans les tableaux, les proverbes). L'histoire n'est pas un objet d'étude extérieur, elle est totalement appropriée, ingérée.
J'avais naïvement l'impression que l'histoire imprégnait aussi profondément la conscience des Français. Je serais heureux d'en savoir plus en ce qui concerne les Chinois et je lirais avec intérêt Simon Leys.


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Message Publié : 20 Jan 2014 22:58 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines

Inscription : 11 Oct 2012 21:58
Message(s) : 1591
Barbetorte a écrit :
Une simple anecdote. J'ai un jour posé à une étudiante japonaise des Langues'O une question simple sur le bouddhisme. Elle m'a répondu qu'elle ne savait pas, qu'elle ne suivait pas le cours Pensée japonaise. Elle aurait posé une question du même niveau à un étudiant français, même athée, elle aurait vraisemblablement reçu une réponse. Il ne faut peut-être pas y voir une occidentalisation, mais au moins une cassure culturelle.

Ca n'a rien d'étonnant, la majorité des Japonais cumulent Shintoïsme, Bouddhisme, Confucianisme et quelques fois Catholicisme sans réellement accorder d'importance à la religion. On va au temple et dans un jardin Zen dans la même journée, on adresse une supplique à Bouddha ou à l'esprit d'une rivière indifféremment. Ce n'est pas un signe de perte de culture ou d'occidentalisation mais au contraire un ancrage profond dans la société japonaise. Et effectivement, beaucoup de Français en savent davantage sur le Bouddhisme que l'énorme majorité des Japonais, aussi curieux que ça puisse paraître...


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