Merci Cush de ces éclaircissements précieux, mais comme je ne suis pas certain d'avoir parfaitement saisi, je me permets de continuer à vous importuner.
Il y avait plusieurs questions, la principale étant : une allocution a été diffusée à la radio. Elle était difficile à comprendre pour les auditeurs, pourquoi ?
Pour répondre à cette question, il s'agit tout d'abord de savoir quelle était la langue parlée par l'empereur en cette occasion indépendamment de la façon dont le texte a pu être écrit : les auditeurs écoutaient, ils ne lisaient pas.
A cette question, j'ai répondu que c'était le japonais du onzième siècle, avec donc une syntaxe et un vocabulaire archaïques difficiles à comprendre pour le Japonais moyen de 1945. Mais ce n'est peut-être pas une réponse tout à fait exacte. Peut-être était-ce la langue archaïque déformée par des influences chinoises, c'est à dire avec des tournures syntaxiques et un vocabulaire d'origine chinois inusitées dans la langue populaire, aussi bien la langue ancienne que la langue moderne.
Vient ensuite la question annexe de l'écriture. Le texte de l'allocution est aisément accessible sur la toile et il apparaît très différent des textes contemporains. Comparons la fameuse allocution d'août 1945 (Gyokuon-hōsō) avec celle d'août 2016.
Gyokuon-hōsō :
Mais tout d'abord, une petite introduction sur l'écriture de la langue japonaise pour les visiteurs de Passion-histoire qui ne sont pas tous censés en avoir acquis des rudiments.
L'écriture a été introduite au Japon sur le modèle chinois. Comme les caractères chinois sont des idéogrammes, la transcription était beaucoup plus sémantique que phonétique. Ainsi un Japonais non sinisant peut-il lire un texte chinois et en reconnaître les mots mais sans pouvoir les prononcer ni saisir le sens exact de la phrase parce qu'il ignore la syntaxe du chinois. Il en va différemment du Français qui ignore l'allemand : il pourra lire avec une prononciation approximative un texte en allemand mais sans rien comprendre du tout.
Assez vite, quelques caractères chinois, pris pour leur prononciation et non pour leur sens, ont été retenus et simplifiés à l'extrême pour former deux syllabaires, c'est à dire deux systèmes d'écriture purement phonétiques. Ce sont les katakana et les hiragana. Il est ainsi devenu possible d'écrire le japonais en se passant totalement des caractères chinois. C'est ce que font les enfants qui ne les connaissent pas encore et c'est ce que faisaient les dames à qui on ne donnait jadis qu'une instruction sommaire, mais qui pouvaient néanmoins écrire des romans interminables, comme le Genji monogatari, tout en hiragana. Les katakana sont, eux, plutôt utilisés par les érudits pour annoter des textes chinois. L'introduction des caractères chinois (kanji) et des kana a abouti au système d'écriture actuel. Les mots invariables et les radicaux des mots variables sont écrits pour la plupart en kanji auxquels on adjoint la terminaison des mots variables ainsi que les particules indiquant les fonctions grammaticales.
Voilà ce que cela donne en japonais contemporain, l'exemple étant tiré de la dernière allocution de l'empereur où il annonce qu'il va se mettre partiellement en retrait en raison de son âge, la lecture se faisant de gauche à droite :
私も八十を越え
私 : kanji, se lit
watakushi, nom se traduisant par le pronom
je ou
moi,
も : hiragana, se lit
mo, particule indiquant que 私 (
je,
moi ) est le sujet de la phrase,
八十 : deux kanji numériques, se lisent
hachi jû, se traduisent par
quatre-vingts,
を : hiragana, se lit
o, particule indiquant que 八十 (
quatre-vingts [
ans sous-entendu]) est complément d'objet,
越 : kanji, se lit
ko, radical de verbe se traduisant par
dépasser,
え : hiragana, se lit
e, terminaison verbale
L'ensemble se lit donc :
watakushi mo hachi jû o koe et peut se traduire par :
Ayant dépassé les quatre-vingts ans ...je …Le texte de 1945 est disposé dans le sens traditionnel, les colonnes de la droite vers la gauche et les caractères dans chaque colonne du haut vers le bas. Ce n'est pas un problème.
Quelques caractères ne sont peut-être plus dessinés exactement comme aujourd'hui, des simplifications ont été apportées, mais cela n'empêche pas les Japonais de les reconnaître. Ce n'est pas non plus un problème. Ce qui saute aux yeux est l'absence de hiragana et la présence de katakana entre chaque mot. Selon vos explications, ces derniers serviraient à indiquer dans quel ordre lire les mots voire l'ordre des caractères dans un mot. Il s'agirait donc d'un texte en fait plus chinois que japonais : les mots seraient disposés dans l'ordre de la syntaxe chinoise et les katakana serviraient à indiquer comment rétablir l'ordre de la syntaxe japonaise pour les lire en japonais. Quant aux particules et terminaisons verbales, sont-elles précisées également par ces katakana ou le lecteur doit-il les deviner ?