La bande-annonce (dans galerie) :
http://www.katyn-lefilm.fr/presse.htm(en allant dans presse, vous pouvez télécharger des articles)
L'article paru hier dans
Le Monde :
Citer :
Andrzej Wajda est un des plus grands cinéastes polonais de l'après-guerre. Depuis Génération (1955), il s'est donné une mission de porte-parole de sa nation, déterminé à adapter les oeuvres des grands romanciers nationaux (Jaroslaw Iwaskiewicz dans Le Bois de bouleaux, Wladyslaw Reymont dans La Terre de la grande promesse). Ou à retracer les heures glorieuses de l'histoire nationale, sa résistance aux tentatives de rayer le pays de la carte, son sursaut contre le stalinisme (L'Homme de fer, 1981).
Le succès de Katyn en Pologne symbolise-t-il des funérailles nationales pour les victimes de cette tragédie ?
Katyn est un événement de notre histoire qui n'a jamais eu de véritable reflet. Le besoin était fort. L'ancienne génération, qui ne va pas au cinéma, s'est déplacée. Les écoles ont organisé des sorties. En revanche, la distribution à l'étranger n'a pas du tout fonctionné. Katyn n'est pas diffusé aux Etats-Unis, en Russie, en Allemagne. Il sort tout juste en France. Ceux qui l'ont acheté ne le montrent pas. C'est dû à l'incompétence de la télévision publique polonaise. Ce sont des mammouths du "socialisme réel".
Katyn reste un sujet brûlant entre la Pologne et la Russie...
Après les années 1980, Gorbatchev puis Eltsine avaient autorisé la transmission de documents levant tout doute sur la nature du crime de Katyn. Notamment celui où Beria propose la liquidation des officiers, puis celui exprimant l'accord du comité central. En 2004, la situation a changé. Nous ne pouvions plus obtenir le reste des documents. L'an passé, j'ai écrit au procureur général de Russie pour demander en vertu de quel article de loi mon père avait été tué. Il m'a répondu qu'il ne pouvait rien expliquer, car le dossier de mon père n'existait pas.
Comment, justement, le drame de Katyn a-t-il influé sur votre destin ?
J'ai perdu mon père à 13 ans. Je suis très vite devenu autonome et actif, notamment comme soldat de l'Armée de l'intérieur (AK, mouvement de résistance) pendant l'Occupation. Ensuite, j'ai cherché ma place dans l'art, en entrant à l'Académie des beaux-arts dans les années 1940, puis à l'école de cinéma.
Mon père a été assassiné dans les caves de Kharkov et enterré dans une fosse commune, dans les abords de la ville, où reposaient aussi des victimes du stalinisme des années 1930. Ma mère a attendu son retour jusqu'à sa mort.
Certains considèrent que la fin du film (l'exécution par balles des officiers, jetés dans des fosses) est de la spéculation émotionnelle. En vérité, j'avais envisagé de commencer par ça. Mais je voulais évoquer à la fois le crime et le mensonge. Or, pour cela, il faut d'abord raconter le mensonge.
Quel mensonge ?
Les Allemands ont révélé le crime de Katyn en 1943. Le gouvernement polonais en exil à Londres a demandé à la Croix-Rouge internationale de vérifier qui se trouvait dans les fosses communes. Staline a alors rompu avec le gouvernement, affirmant que ce crime avait été commis par les Allemands.
Le mensonge portait sur la date : les faits avaient-ils eu lieu au printemps 1940, ou après que les Allemands furent entrés sur le territoire, lors de la guerre contre les Russes ? La datation des arbres qui ont poussé sur les fosses, les documents officiels et les papiers que les officiers avaient sur eux ne laissent aucun doute.
Le film risquait d'être emporté par vos émotions personnelles ?
Je ne craignais pas ça. Un réalisateur ne peut faire de films s'il est plus ému qu'il ne veut émouvoir le public. Mon problème était autre : je manquais de matériaux littéraires, comme pour mes autres films, avec des personnages, des scènes.
Les scénarios qu'on me proposait ne me satisfaisaient pas. J'ai décidé d'utiliser des personnages réels dont j'ai découvert l'existence dans des récits, des documents trouvés sur les officiers. J'avais des obligations, car je réalisais le premier film sur Katyn. Je devais associer des informations historiques à des personnages.
Pour les figures féminines, j'avais l'exemple de ma mère. Pour les hommes, je devais me faire une idée de la façon dont ils ont vécu cette fin, dont ils ont été tués.
Y a-t-il des films qui vous ravissent aujourd'hui ?
Le cinéma polonais tel que je l'ai connu s'est épuisé. Le public a changé. Au lieu de trois mille salles, il n'y en a plus que quelques centaines, dans les grandes villes. Les billets sont plus chers. Le public n'a pas envie de changement, la réalité lui convient, il prend le cinéma comme un divertissement. Il n'attend pas de films sociaux ou politiques.
Les films européens qui essaient de saisir une réalité me plaisent. Par exemple L'Enfant, des frères Dardenne. Cette idée qu'un enfant pourrait devenir un produit m'a fait une énorme impression. Je pense aussi à Entre les murs, de Laurent Cantet, qui m'a fait dresser les cheveux sur la tête. Cette hostilité des élèves contre leur professeur et contre la France pose la question des idéaux de la Révolution française.
Vous préparez un film sur Lech Walesa...
Il portera sur ses débuts. J'aimerais qu'il s'achève sur ces paroles fabuleuses, prononcées lors d'un voyage officiel à Washington comme président : "Nous, le peuple." Lui, l'ancien électricien.
Propos recueillis par Piotr Smolar
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Dans les pays de l'Est, Katyn est un mot tabou. C'est le nom d'une forêt, en territoire russe, près de Smolensk, où les troupes allemandes trouvèrent en 1941 un charnier. Les cadavres de milliers d'officiers polonais exécutés d'une balle dans la nuque. Qui avait commandité ce massacre ? Les Allemands accusèrent les Soviétiques. Les Soviétiques désignèrent les Allemands. La polémique dura jusqu'à ce qu'éclate la vérité : en 1990, Mikhaïl Gorbatchev reconnaît officiellement que ces prisonniers de guerre avaient été fusillés par les services spéciaux du NKVD en avril 1940. En 1992, Boris Eltsine en livrera la preuve aux autorités de Varsovie : l'ordre du crime signé par Staline.
Rappel historique : lorsque la seconde guerre mondiale éclate, l'Armée rouge est liée aux nazis par le pacte germano-soviétique signé en 1939. Hitler et Staline se sont mis d'accord pour se partager la Pologne, "ce bâtard né du traité de Versailles", comme dit Molotov, le ministre soviétique des affaires étrangères. Les Allemands attaquent, et, lorsque les Soviétiques franchissent à leur tour la frontière, Staline parle de tendre une "main fraternelle au peuple polonais", de défendre les Ukrainiens et les Biélorusses de la Pologne orientale. Son objectif caché est de détruire la Pologne, qu'il considère comme un Etat fasciste, et d'y imposer le système soviétique.
Andrzej Wajda tenait absolument à tourner un film sur ce traumatisme national pour deux raisons. La première est intime : son père faisait partie des officiers exécutés à Katyn. Cette histoire lui permet de rendre hommage au courage de sa mère et de régler quelques comptes avec sa propre histoire. Il s'est par ailleurs donné une mission messianique, celle de défendre l'identité d'un pays qui fut envahi, morcelé, déchiqueté. Katyn est un nouvel épisode de l'épopée de la survie d'un peuple qui n'a cessé d'être une proie pour ses voisins. Et de la détermination de Wajda à dénoncer la falsification de l'histoire par les communistes.
Morceau de bravoure de ce film, le spectacle terrifiant de l'assassinat systématique des officiers - dont on pousse le corps dans une fosse après avoir tiré à bout portant à l'arrière de leur crâne - est précédé par l'évocation des épisodes de cette tragédie (attaque armée des Soviétiques, découverte des restes, etc.), et la manière dont un certain nombre de Polonais vivent l'événement, essentiellement des femmes. Un capitaine de cavalerie est longtemps attendu par sa femme, sa fille et sa mère, qui ont gardé espoir à cause d'une confusion sur la liste des morts. L'épouse d'un général, la soeur d'un pilote vivent douloureusement le silence et les mensonges qui entourent la disparition de leurs proches.
A 83 ans, Wajda arbore une belle vigueur créatrice. Katyn est l'un des films les plus poignants qu'il ait réalisés depuis longtemps. Il faut savoir toutefois que, évoquant des sujets sensibles, Katyn encourt deux types de critiques.
La première concerne le renvoi dos à dos des nazis et des Soviétiques comme prédateurs du territoire national. Réalisé, comme L'Homme de marbre, dans un contexte politique consensuel, le film est conçu comme une bombe antisoviétique. On y voit le Politburo envoyer une universitaire de Cracovie en camp de travail ; on y entend les troupes polonaises clairement assimilées à des partisans de la Pologne libre, et comportant autant de scientifiques, professeurs, ingénieurs, juristes et artistes que de militaires de carrière.
ETRANGE CONFUSION
Comme l'explique Victor Zaslavsky dans un ouvrage sur Le Massacre de Katyn (Tempus, 202 p., 7,50 €), les Soviétiques ont effectivement programmé la mort des officiers polonais, qui incarnaient les "ennemis objectifs", une intelligentsia bourgeoise, un vivier potentiel de résistance, ainsi que la déportation en camps de leurs familles. Ces exécutions de masse sont conçues comme un "nettoyage de classe".
La seconde est l'étrange confusion entre Katyn et le génocide des juifs. Rien, aucune allusion, dans le film, sur la Shoah, mais une description des rafles, de la traque des familles d'officiers polonais, comme s'il s'agissait de la déportation des juifs en camps. Détail troublant : ces proies d'un massacre programmé sont viscéralement attachées à leur ours en peluche. Or le Musée Yad Vashem de Jérusalem a fait de l'ours un symbole de l'extermination des enfants juifs, du martyre d'un peuple.
Dans Katyn, sommée par les services allemands de dénoncer la responsabilité soviétique dans le massacre, la femme d'un général polonais est menacée d'être envoyée à Auschwitz... Tout, sans cesse, nous ramène aux juifs, sauf que le mot n'est jamais prononcé. Le juif n'existe pas. La victime de la seconde guerre mondiale, c'est le Polonais.
Pourquoi ce non-dit, cette confusion ? Andrzej Wajda aura traîné cette question toute sa carrière, puisque son premier film, Génération (1955) - évocation de la résistance contre les nazis -, occultait déjà cet enjeu capital de la guerre. Il est vrai que l'ambiguïté de la représentation des juifs dans le cinéma polonais dépasse sa personne.
Article de Jean-Luc Douin