J’ai découvert récemment complètement par hasard cette superproduction russe de 2008, qui à ma connaissance est passée complètement inaperçue chez nous (je n’ai même pas trouvé une bande annonce française à vous proposer !), apparemment il n’a pas été distribué dans les salles françaises, ce qui est bien dommage.
Bande annonce en russeEn deux mots, le film retrace les dernières années de la vie de l’amiral Koltchak, un des chefs de file des armées blanches lors de la guerre civile russe, depuis ses exploits de 1914 en Baltique jusqu’à sa mort, exécuté par les Bolchéviques en 1920.
Je précise que je faisais autre chose en même temps, il est possible que j’ai loupé quelques passages… Néanmoins, je vais tout de même livrer mes premières impressions, car si vous avez l’occasion de le découvrir, je le conseille pour trois raisons.
La première, tout simplement sa qualité. On passe un bon moment de cinéma, même si ce n’est pas un chef d’œuvre. Il a toutes les qualités d’un blockbuster hollywoodien, avec ce que cela sous-entends d’un côté pour la mise en scène, soignée, dans les effets spéciaux, les décors, les costumes, superbes. Mais à l’inverse, aussi, les défauts des soupes hollywoodiennes, à savoir son caractère consensuel qui le prive de sa moelle (ainsi, ce qui aurait pu être une fresque grandiose au cœur d’une période particulièrement trouble et intéressante se transforme en histoire d’amour mièvre entrecoupé de « tableaux » militaires sans liens les uns avec les autres ; et surtout cet exaspérant manichéisme, avec des héros tout paré de blanc et ses méchants bien identifiables).
La seconde raison, le sujet traité. Autant que je sache, aucun film n’a jamais mis en scène la guerre navale en Baltique lors de la première guerre mondiale, et la guerre civile russe est un terrain à peu près vierge pour nous autres occidentaux (seul me vient à l’esprit Capitaine Conan de Tavernier évoquant l’implication des alliés dans ce conflit). Le film a ainsi l’avantage de dépeindre les conditions difficiles de cette guerre civile au fin fond de la Sibérie, et en particulier accorde une place importante à la Légion tchèque et à son commandant français, le général Janin joué par… Richard Bohringer !!
La troisième raison, surtout, le traitement imposé au sujet, sa place historiographique. A l’issue de ma petite séance cinéma me restait la nette impression d’un film qui n’a finalement fait que prendre le contre-pied des décennies de propagande communiste, qui dépeignant tous les Blancs comme des traitres, des aristos pourris jusqu’à la moelle, des ennemis de la patrie, etc. Et poum, en 2008, voilà un film qui va bien au-delà de la réhabilitation d’un homme. Les Blancs sont parfaits, de vrais petits saints (les références bibliques sont nombreuses, et conduisent Koltchak et son fidèle Kappel au martyr…), généreux, gentils, courageux, remplis d’abnégation, de compassion, d’amour (thème centrale, souvent répété, que ce soit l’amour de la patrie ou celui plus matériel de sa compagne)… A l’inverse, les Rouges n’existent pour ainsi dire pas. Aucun personnage communiste dans le film, mis à part quelques vagues anonymes (marins, soldats), représentés sales, mal fagotés (en particulier les marins : les mutins sont des clochards, les autres nickels !), trouillards, d'une cruauté extrême et gratuite (massacre sans raison apparente des officiers, scène de noyades, etc). Des brutes épaisses sans foi ni loi, des espèces de Cosaques le couteau entre les dents, ou peu s’en faut.
Là repose à mon avis le principal défaut, volontaire je n’en doute pas, du film, financé par le ministère de la culture soviétique... euh pardon russe. Il fait complètement abstraction du contexte politique, économique et social qui préside aux évènements. La révolution éclate, on ne sait pas pourquoi : les Russes apparemment gagnent la guerre (deux combats, deux victoires héroïques ; pas un mot sur les défaites, pas un mot sur Brest-Litovsk, pas un mot sur les difficultés de ravitaillement, etc.), tout est beau, les combats héroïques entrecoupés de fêtes bourgeoises bon enfant dans des palais luxueux ou le champagne coule à flot. D’ailleurs, le soldat est absent de ce film, tout comme le peuple qui n’apparait jamais, individuellement ou collectivement. Et tout à coup, poum, la révolution de février et Kérensky. Comment, pourquoi, on ne sait pas, on comprend juste vaguement que ce n’est pas bien. Puis la guerre civile est lancée, sans que les mots « révolution d’octobre » ou « Lénine » soient prononcés ! Ils doivent être devenus tabous depuis 1991…
Bref, un bon film intéressant à plus d’un titre, en particulier représentatif des mentalités russes actuelles et leur difficulté à digérer leur héritage communiste, et qui réécrivent leur histoire en prenant sans nuance le contre-pied de l’historiographie précédente (le rapatriement en grande pompe des restes de Kappel en 2007 en est un autre exemple).
D’autres l’ont-ils vu ? Qu’en ont-ils pensé ?