Sur les règlements de compte internes à la résistance, il y a le récit de Gilles Perrault, dans son ouvrage "la longue traque", dont je vous conseille la lecture, parce que c'est une enquête saisissante sur l'activité d'un réseau national de résistance, l'OCM, dont la direction a été décapitée par la Gestapo en 43.
Le colonel Touny, chef de l'OCM, fusillé en douce par la Gestapo d'Arras, dort aujourd'hui dans la crypte du Mont Valérien, là où la dernière place sera pour le dernier Compagnon de la Libération à disparaître.
C'est la richissime famille Farjon (vous vous souvenez peut-être des crayons de couleur "Baignol et Farjon" de mon enfance) qui lui a demandé d'enquêter sur le suicide de Roland Farjon, pour savoir si, comme le bruit en courait, il s'agissait d'un noyé anonyme remplaçant un Roland Farjon toujours vivant, masquant ainsi son départ vers l'étranger, alors qu'il était accusé par les résistants de la région Nord d'avoir trahi et donné à la Gestapo qqe chose comme 200 résistants de la région.
Hé bien au cours de son enquête, Gilles Perrault a eu la surprise d'apprendre que c'était le chef de la région sud, (Aquitaine, Toulouse, Landes...) qui avait trahi et conclu un accord avec la Gestapo. Un officier de la Gestapo spécialement habile lui a dit :" Pour nous la guerre est perdue, mais une fois partis, regardez autour de vous, ce sont les communistes qui vont prendre le pouvoir." A la clé, il lui montre une liste de 300 résistants OCM Sud qu'il a logés et peut arrêter demain matin, mais "voyez-vous, il vaudrait mieux qu'on s'entende pour empêcher les communistes de prendre le pouvoir."
Le malheureux, un certain Grandclément, politiquement à l'extrême droite avant guerre est tombé dans le panneau, et a accepté une trêve avec la Gestapo, qui mettait pour seule condition la remise des armes (dont ils avaient déjà repéré la moitié des caches), "pour ne pas qu'un excité s'en serve contre nous au moment de notre départ."
Résultat : un bordel monstre dans les réseaux, l'OCM elle-même, mais tous les réseaux sud qui sont en relation avec elle. (Papon a profité de ce foutoir pour passer entre les gouttes.)
On voit des soldats de la Wehrmacht, accompagnés de résistants en bras de chemise, sortir de la paille et charger des armes sur les camions. Certains de ces résistants, anti-communistes et fidèles à leur chef, finiront même à la Milice.
On ne sait plus qui est qui. Les résistants fidèles à la France Libre ne savent, lorsqu'il s'adresse à un autre résistant, s'il est en contact avec la Gestapo - "On vous dit que ça ne risque rien, on s'est arrangés" - ou est resté un résistant authentique.
Après 3 mois de ce cirque - De Gaulle a reçu des émissaires de Grandclément à Alger, venu lui proposer d'étendre cette trêve anticommuniste à toute la France, et les a fourrés en cabane - le colonel Passy, chef du BCRA, donne l'ordre d'exécuter ce traître. Trois fois à un mois d'intervalle l'ordre part par courrier et par radio à tous les réseaux du coin : exécutez-le !
Résultat : rien. Aucun de ces résistants qui ne se sont pas encore battus n'a le triste courage d'abattre en face un homme qui se promène en liberté et sans armes, malgré le mal qu'il provoque.
Passy dira à Gilles Perrault : "Il y a eu d'autres cas, moins grave, mais avec le même résultat. Nous avons fini par cesser d'envoyer de Londres des ordres d'exécuter quelqu'un. ça ne marchait jamais..."
Grandclément sera abattu 6 mois plus tard par le chef d'un autre réseau sud, resté à l'écart, et qui constatait que la peste brune avait tout contaminé et commençait à gagner son propre réseau.
En conclusion, je ne dis pas qu'il n'y a pas eu de règlements de compte dans la résistance, mais la question est à prendre avec des pincettes. (Dans des réseaux plus disciplinés - structurés par des militaires ou par la discipline du Parti Communiste - on n'hésitait pas.)
_________________ Les raisonnables ont duré, les passionnés ont vécu. (Chamfort)
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