J'aurais eu spontanément tendance à croire à une manipulation nazie - comment croire que Elser ait pu travailler pendant 3 semaines, même de nuit, dans un endroit aussi fréquenté que cette brasserie de Munich - si l'article de Wiki qui retrace l'enquête de la Gestapo ne donnait autant de détails convaincants, en particulier sur les achats de Elser dans les semaines précédentes. Une préparation très minutieuse, dont on voit mal pourquoi la Gestapo se serait donnée tant de mal pour fabriquer un coupable, alors qu'il se présente à la frontière suisse avec les pièces à conviction sur lui... Aussi incroyable que ça paraisse, il semble bien que Elser ait mené seul cette préparation étalée sur plusieurs semaines.
Ce qui est certain, en revanche, c'est que l'attentat de la Brasserie est immédiatement utilisé par Hitler pour mettre en cause les Anglais : il fait kidnapper à la frontière hollandaise deux agents anglais que Schellenberg, adjoint de Heydrich, manipulait pour leur filer de fausses informations, et qu'il désigne alors comme les inspirateurs de la tentative d'assassinat. Ce kidnapping, qui donne lieu à une fusillade à la frontière, constitue
l'incident de Venlo.Pierre Nord raconte que les services spéciaux occidentaux se sont demandés à l'époque pourquoi Hitler avait sacrifié une filière d'intoxication prometteuse, qui aurait pu servir à leur filer de faux tuyaux militaires sur le plan d'attaque allemand, pour le plaisir de montrer au peuple allemand ces deux prétendus comploteurs anglais.
Renseignements pris - à la lecture des archives du RSHA en 1945* - il semble que l'objectif était à la fois de mobiliser le peuple allemand autour de son Führer menacé et surtout de décourager toute tentation, parmi les militaires allemands, de poursuivre tout contact avec les Anglais. (il y avait eu avant-guerre de nombreux contacts entre les Anglais et de hautes personnalités allemandes, au point que Best et Stevens - les deux agents anglais - ne s'étaient pas montrés particulièrement surpris lorsque Schellenberg se présenta comme le représentant d'un groupe de militaires antinazis, se proposant même de leur organiser un rendez-vous avec un général.)
*toujours d'après Pierre Nord, un jeu complet des archives du RSHA, soit plusieurs camions, est tombé entre les mains de la 1ère armée française dans sa course en Allemagne du sud. Un trésor pour les professionnels, qui leur a permis à postériori de lire dans les archives de l'ennemi ce qui avait fonctionné - ou pas - dans les opérations alliées d'intoxication de l'espionnage nazi. (ça c'est un scoop que je n'ai jamais pu recouper, sauf de façon incidente, en apprenant par exemple que les Américains, pour le procès des Einsatzgruppen, disposaient de tous les rapports transmis à Berlin sur les opérations menées par ces groupes de tueurs.)