Je vais m'inscrire en faux : j'ai beaucoup aimé, ce film est même à mes yeux une véritable claque. Quelques longueurs mais complètement assumées, et qui ne m'ont pas du tout gênée alors que normalement je décroche au bout de une heure et demi. Au point de vue historique, je ne sais pas si c'est "fiable", mais ça me paraissait tout du moins crédible : la chape de plomb du shogunat fraîchement établi au XVIIe ne saurait être ébranlée et elle est magnifiquement interprétée par le grand inquisiteur, piquant et maniéré, d'une délicatesse cruelle terriblement éprouvante, et le traducteur, personnage vif, presque truculent, véritable bourreau de l'âme déjà torturée de Rodrigues. On sent bien l'ouverture nouvelle du Japon (avec le développement du commerce avec l'Europe), ouverture jumelée à une farouche volonté de ne pas laisser pénétrer d'influence extérieure. Une scène m'a beaucoup frappée (pardon pour le spoil) : un commerçant hollandais se fait prendre avec une petite croix cousue dans l'ourlet de son vêtement. Il se fait immédiatement embarquer, et au bout de tant de scènes de tortures, sans que rien ne soit spécifiquement évoqué pour son propre compte, on n'a aucun doute sur le sort qui l'attend. Un film qui explore autant de facettes, historique, spirituelle, culturelle, et avec une telle réussite ne pouvait pas me laisser indifférente : j'ai trouvé le mariage entre le doute grandissant des prêtres et la foi inébranlable des kirishitan magnifiquement traduit. La vraie valeur de ce film (et je pense qu'il faut donc l'aborder comme tel), c'est son regard spirituel : la naïveté de la foi des kirishitan (qui pensent réelle l'incarnation du paradis sur terre dès le baptême reçu, et à qui l'idée de vie après la mort semble extrêmement abstraite puisque la confusion entre la résurrection du Christ et l'arrivée des prêtres est palpable) est extrêmement frappante et en même temps elle délivre une force qui frappe l'admiration des prêtres jésuites. Ce film ne cache pas son ambition : c'est la question de la foi corrélée au doute qui est au cœur du sujet, et ce film sollicite vraiment le spectateur. J'imagine donc qu'il peut laisser insensible quiconque se désintéressant de la question mais touchera au cœur une personne voulant s'interroger sur les questions de doute, de foi, d'orgueil, et aussi d'humilité dans sa croyance face à l'universalité de la foi remise en cause.
_________________ "Je souhaite que les conquérants à venir apprennent à ne pas dépouiller les villes qu'ils soumettent, et à ne pas faire des calamités d'autrui l'ornement de leur patrie"
Polybe, Histoires, Livre IX (chap.3).
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