J'ai visionné cette série il y a peu et ai beaucoup aimé, je vous livre donc sa critique par ma cinéphile passionnée d'histoire, partageant son point du vue, cela permet aussi une petite réactualisation du fil avant la sortie de la seconde saison qui ne saurait tarder sur Canal.
"Aaaaaaah..... HBO, la chaîne magique, celle qui produit parmi les meilleures séries de ces dernières années (Oz, Les Sopranos, Sex and the City, Deadwood, et bientôt Le Trône de Fer...).
Et bien HBO frappe encore, et fort, avec "Rome", série à l'improbable et surtout potentiellement invendable propos.
Pas évident en effet de se pointer devant un producteur avec un scénario contant la mort de la République romaine, entre la Guerre des Gaules et l'assassinat de Jules César. Pas évident surtout de convaincre le producteur en question de vous donner les capitaux nécessaires.
Et pourtant, on aurait eu tort de se priver de çà....
Grâce à un s*c*r*i*p*t* habile et intelligent, la sérié évite l'écueil du kitsch ampoulé traditionnel aux péplums. L'histoire navigue entre les séismes des batailles, les manoeuvres des grands, et les secousses perçues par la plèbe, soumise aux fluctuations mais partie prenante du destin de Rome, qu'elle façonne parfois à son corps défendant (la théorie du battement d'aile du papillon en somme).
L'astuce ultime consiste à faire de la cité de Rome un personnage à part entière, et de lui faire bénéficier d'un traitement inédit, en la représentant telle qu'elle était sans doute, à la fois sale et grandiose, grouillante, insalubre, violente, parée de pourpre et d'or (le décor est d'ailleurs posé dès le générique, somptueux, qui agit sur le spectateur comme une véritable mise en abîme).
Autre point fort, le contexte historique, dans l'ensemble bien respecté, mais juste assez romancé (à grands coups de raccourcis, de libre interprétation des personnages, Atia et Servilia en tête, pas un sou conformes à leurs modèles d'origine) pour les besoins de la série. Bon, mis à part la pitoyable et risible reconstitution de la cour lagide à Alexandrie, qui ne ressemble à rien et surtout pas à la grecque capitale de souverains grecs (oui, c'est bien de le repréciser, surtout face à cette immonde et stupide représentation)...
Dans le même genre, Vercingétorix, tel qu'on le représentait au XIXème siècle, c'est à dire n'importe comment, barbu, moustachu, chevelu (alors que sur les monnaies, il a le poil ras de partout, vestige de ses longues années de service dans l'armée romaine, comme c'était le cas de la grande majorité des aristocrates gaulois à cette époque. Quelques indices laissent même supposer que Vercingétorix et César étaient de vieilles connaissances, et ce dès avant la guerre des Gaules. Voilà, c'était la minute historique de la reine des folles. Pour plus de précision, postez un commentaire).
Ces deux "bévues" constituent les deux grossières erreurs majeures de la série...Pas de quoi fouetter votre esclave, à l'aulne des grandes qualités de l'ensemble.
Notons aussi les personnages, tous particulièrement bien écrits, capables d'évolution et dotés de fortes personnalités. On relèvera particulièrement :
-Octave, gamin flippant, surdoué, roué, fourbe, cruel, malin, rusé (bref, toutes les qualités nécessaires à un futur empereur. N'empêche, brrr, fait froid dans le dos...).
-sa mère, Atia, politicienne plus instinctive que réfléchie (mais quel instinct !), capable d'idées de génie une seconde trente après avoir fait preuve d'une bêtise confondante (sa façon de faire des cadeaux est très....personnelle, et provoque à chaque fois les pires complications.).
-l'ennemie jurée d'Atia, Servilia, mère de Brutus et maîtresse de César, politicienne fine et femme blessée, mettant au service de sa vengeance des trésors de rouerie et de perfidie, prête à tout pour arriver à ses fins, y compris à flanquer la République par terre.
-Marc Antoine, tout simplement comme en vrai (et c'est bien la première fois qu'une reconstitution historique sait lui rendre justice), cynique, paillard, sanguin et opportuniste, mais indéfectiblement fidèle à César.
Et puis les anonymes (ou presque, Pullo et Vorenus sont cités dans la Guerre des Gaules) :
-tout dabord Lucius Vorenus, centurion ancré aux vieilles valeurs de la République et marqué par son séjour dans l'armée.
-Titus Pullo, soudard opportuniste parfois un peu benêt mais surtout gêné de rien (ce mec est partout chez lui...Sans doute le personnage le plus attachant de la série), éternel ado gaffeur mais à qui on a du oublier de parler d'un truc qui s'appelle le sens moral...
-Niobe, l'épouse de Vorenus, pleine de ressources et qui se retrouve après huit ans de guerre avec un mari qu'elle ne connaît plus sur les bras (au passage, les Vorenii une évolution particulièrement intéressante, autant socialement que dans leur vie même).
Guerres, jeux de pouvoir, complots, alliances, mensonges, trahisons, petits bonheurs et grandes déceptions, Rome joue avec les codes du genre en les rendant résolument modernes, tout en sachant, et ce n'est pas la moindre de ses qualités, poser comme cadre l'antiquité romaine, avec ses moeurs, ses valeurs morales absolument pas judéo-chrétiennes (dépaysement garanti), ses couleurs et ses odeurs.
Certes les fous furieux de l'exactitude arracheront leurs cheveux des erreurs chronologiques, des fusions de personnages, des libertés prises avec l'histoire, mais s'attarder sur cela n'a pas grande importance en comparaison de l'excellence de la reconstitution sans doute fidèle de la vie antique. On entre ainsi par la petite porte dans un autre monde, à la fois terriblement proche et à l'opposé du notre.
Louable aussi l'effort apporté à placer au centre de la série la spiritualité antique, élément omniprésent de la vie quotidienne.
Là où le péplum de base de balancer des "nom de Zeus" ou des "par Junon, Minerve et Vulcain" une fois de temps en temps, ici, on se fait asperger de sang de taureau (mémorable scène de taurobole), on prie la Bona Dea et Rusina (divinités typiquement romaines primordiales), on maudit ses ennemis dans un rituel revanchard et glacial, et surtout, on apprend que petit ou grand, tout à un prix.
Sans doute ce traitement fin et pertinent du paganisme romain procède-t-il de la volonté du créateur de la série, John Millius, plus connu pour avoir en son temps réalisé "Conan Le Barbare" (on notera d'ailleurs que entre Conan et Pullo, il n'y a que quelques kilos de muscles. Bourrin un jour...), et pour être particulièrement sensible à cette thématique. Merci à lui.
Rarement une série aura été aussi immersive.
Rarement aussi une série aura coûté aussi cher, forçant HBO à ne pas produire une troisième saison, contrairement à ce qui était prévu à l'origine. Dommage, quand on frise à ce point la perfection...
Au menu de la saison 2 : la guerre Marc Antoine vs Octave. Haine, amour, complots, défis, et sang sur les murs au programme...
Désormais, Octave est grand, encore plus retors, et il va solder les comptes...
Et j'en connais qui ont de sévères ardoises... Vae Victis, comme on dit.
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