Boudiou, quelle ambiance !
Si je puis apporter ma très modeste contribution sur les épidémies des traversées maritimes : une anecdote de Daniel Boorstin sur Cook :
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Si toutefois Cook fut reconnu et admiré de son temps, ce ne fut pas pour ses exploits de navigateur, mais pour son action en faveur de la santé des marins. Car il fit plus qu’aucun autre explorateur de l’âge des Grandes Découvertes contre ce fléau des gens de mer qu’était le scorbut. Coleridge, dans le Dit du vieux marin, décrit avec force les symptômes de la maladie : la léthargie et l’anémie, les gencives qui saignent, les dents qui se déchaussent, la raideur des articulations, la lenteur des plaies à se cicatriser. C’est au scorbut que succombèrent, semble-t-il, cent des cent soixante-dix marins qui accompagnaient Vasco de Gama dans son périple africain. La découverte par le médecin de la marine écossais James Lind (1716-1794) du rôle de l’ingestion d’agrumes dans la prévention et la lutte contre cette maladie devait attirer l’attention de lord Anson, celui-là même dont les réformes, on l’a vu, allaient permettre la carrière de Cook. Rien pourtant ne fut entrepris dans l’immédiat. Un exemple classique de ces « pesanteurs administratives » sur lesquelles se penchent les sociologues.
Apparemment, Cook ne connut pas les travaux de Lind. Mais il avait entendu parler de l’usage des agrumes dans la lutte contre le scorbut. Et il prit la peine d’expérimenter d’autres fruits et herbes. Il obligeait ses hommes à la propreté en inspectant régulièrement leurs mains et en privant les marins malpropres de leur grog quotidien (mais il n’était pas d’une sévérité excessive et n’avait que rarement recours au fouet). Les divers produits testés — oranges, citrons, choucroute, oignons de Madère, céleri sauvage, « herbe aux cuillères » de la Terre de Feu — donnèrent des résultats remarquables. Lors de son premier voyage, il perdit des hommes par suite d’accidents et de maladies diverses, mais aucun, semble-t-il, ne succomba au scorbut. (…) Il explique dans son journal la méthode employée pour convaincre l’équipage :
Au début, les hommes refusèrent la choucroute, jusqu’à ce que j’eusse mis en pratique une méthode que je n’ai jamais vu échouer sur des marins : c’était d’en faire servir chaque jour à la table de la cabine, et d’autoriser tous les officiers sans exception à en faire usage, laissant aux hommes toute liberté d’en prendre autant qu’ils désiraient, ou point du tout. Cette pratique ne dura pas plus d’une semaine avant que je dusse rationner tout le monde, car tels sont le tempérament et la disposition des marins en général que, quoi qu’on leur puisse donner qui sorte de l’ordinaire, fût-ce pour leur plus grand bien, cela ne les agrée point, et ce ne sont que murmures contre celui qui en fut l’inventeur ; mais dès l’instant où ils voient leurs supérieurs y attacher du prix, alors cela devient la plus belle chose au monde, et son inventeur un bien brave homme.
Une véritable parabole de l’art de commander les hommes. (Daniel Boorstin, Les découvreurs)