Bonjour,
Narduccio a écrit :
Premier point, qu'est-ce une culture complexe ? Je tiens a rappeler que je m’intéresse à la préhistoire. C'est l'un des mes sujets de prédilection.
Il y a des choses qui ont pas mal interpellées les spécialistes de ces questions, aussi bien préhistoriens que sociologues. En fait, on trouve dans les sociétés actuelles des seuils qui semblent être les mêmes qu'aux temps préhistoriques. Oui, nos entreprises, associations, bref nos groupes d'humains modernes semblent éprouver des problèmes au passage des mêmes seuils que les premières sociétés humains.
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Dans les temps les plus reculés, il semble que l'unité de base fut souvent la famille nucléaire, plus ou moins élargie. De temps en temps, les premiers humains semblent se regrouper pour former des entités plus nombreuses. Ensuite, au moment de la sédentarisation, on voit apparaitre des ensembles plus conséquents. L'un des premiers seuils semble apparaitre quand un groupe humain dépasse 140 personnes. Il a une tendance à se scinder en 2 groupes de 70 personnes, plus ou prou.
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Bref, pour un préhistorien, c'est à partir de ce moment-là qu'on peu commencer à parler de sociétés complexes. Les liens entre 2 personnes appartenant à un groupe de plus de 140 personnes n'est plus un lien personnel d'égal à égal. En fait, la société est obligée de se structurer en sous-unités et vous avez un lien avec quelqu'un car vous savez qu'il appartient à telle structure et pas parce que vous le connaissez. Le seuil suivant se place aux alentours de 250 et correspond souvent à la limite où on devient incapable de placer rapidement un nom sur un visage. Plus le groupe auquel vous appartenez devient nombreux et plus les liens entre les individus de ce groupe deviennent complexe. D'autant plus que l'on peut avoir des appartenance multiples, appartenir en même temps à de multiples groupes et structures.
A la préhistoire, on note que des civilisations assez complexes se sont mises en places sans que l'on ne soit sûr qu'elles ont utilisé une forme quelconque d'écriture. A partir de là, on peut supposer que ce n'est pas le niveau de complexité de la société qui détermine le passage ou pas à l'écrit
Très intéressant.
J'ai déjà entendu parler de ce seuil d'environ 100 personnes au-delà duquel on ne peut réellement connaître personnellement tous les individus d'un groupe. C'était à nouveau dans l'ouvrage "Guns, Germs and Steel" de Jared Diamond.
L'auteur explique que, pour des sociétés comprenant plus d'individus que ce seuil (qu'elles soient d'un bloc ou divisée en plusieurs sous-groupes), il apparaît alors la nécessité de mise en place de règles "officielles" codifiant les relations entre individus, avec l'émergence d'une sorte de police ou de proto-justice. Les individus ne se connaissant pas tous directement, ils ne savent pas forcément comment réagit l'autre, quel est son caractère (quand il s'agit d'un individu du groupe qui ne fait pas partie de leur cercle de relations personnelles). Ainsi pour éviter qu'un conflit interpersonnel ne dégénère en une violence due à l'incompréhension, la gestion des conflits est déléguée à une sorte de police, qui prend la forme d'une proto-institution. Au contraire, dans des sociétés de moins d'environ 100 personnes, les différends sont réglés de personne à personne ou par l'intervention du "chef de tribu", lequel n'est pas une institution mais juste l'individu qui, par ses qualités diplomatiques (ou autre), s'est imposé comme le leader naturel du groupe à un moment donné.
Barbetorte a écrit :
Il semble acquis qu’à Sumer l’écriture ait été créée dans l’intention de conserver des données comptables. En Chine, les supports les plus anciens laissent paraître de tout autres préoccupations. Ils servaient à noter des oracles ou à conserver le souvenir des ancêtres.
Les première écritures ont donc pu porter sur différents sujets (oracles, comptabilité, ...). Mais vos différentes contributions semblent montrer que, à quelques exceptions près, les traces les plus anciennes clairement identifiables comme étant des écritures correspondent le plus souvent à des écrits utilitaristes comptables ou commerciaux.
Barbetorte a écrit :
Dans l'actuel Nigéria avait été employé le nsibidi, un système de plusieurs milliers de symboles, vraisemblablement des idéogrammes, mal connus. Apparu il y aurait un millier d'années, il était répandu sous deux versions, l'une secrète, l'autre courante. Cette dernière est tombée en désuétude avec la colonisation britannique. La première est demeurée secrète et probablement aussi tombée dans l'oubli.
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... je tire la conclusion que l'Afrique sub-saharienne, hors des zones d'influences extérieures, n'a pas connu l'écrit tel qu'on le connaît en Europe ou dans toute l'Asie, sauf peut-être avec le nsibidi. Mais sont présents de nombreux symboles graphiques qui peuvent être considérés comme des proto-écritures. Leur fonction étaient principalement rituelle et le besoin de les adapter à d'autres fonctions n'a été ressenti qu'à la suite de la confrontation des Africains avec d'autres civilisations.
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PAC a écrit :
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peut être peut-on faire un parallèle avec les celtes qui eux aussi n'utilisaient pas l'écriture.
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Pourtant c'était des sociétés très organisées, très hiérarchisées et qui avaient de nombreux échanges commerciaux avec les romains. Il ne fait aucun doute qu'ils connaissaient l'écriture, mais ils ne l'utilisaient pas.
Je pense que si l'Afrique Sub-saharienne n'a pas utilisé l'écriture, c'est qu'elle n'en ressentait pas le besoin.
De ces apports (et d'autres) on déduit que les premiers écrits sont généralement utilitaristes. Mais l'existence d'une société complexe n'est pas une condition suffisante à l'apparition de l'écriture.
Pour que se fasse ressentir le besoin d'écriture il existe peut-être d'autres raisons.
Dès lors on peut tenter un nouvel angle d'approche, celle de la centralisation (ou pas) de l'information au sein d'une société.
On peut éventuellement concevoir qu'il existe des sociétés complexes (dans le sens "comprenant de nombreux individus", et éventuellement avec des spécialisations de sous-groupes dans telle agriculture ou tel artisanat), sans que celles-ci n'éprouvent le besoin de centraliser l'information.
Chaque individu ou chaque sous-groupe d'une telle société maîtrise complètement ou d'une manière satisfaisante sa propre production, et ses moyens de subsistance sont assurés car il entretient des relations de confiance avec les autres sous-groupes qui lui permettent d'être sûr d'avoir accès aux choses nécessaires à sa vie, ou sa survie.
Maintenant on opposera à cette "société complexe sans centralisation de l'information" un autre type de société complexe (complexe dans le même sens), qui connaîtrait une évolution supplémentaire en matière d'organisation : la centralisation du contrôle de la production.
Il apparaît alors dans une telle société une "classe d'élite" qui va comptabiliser et contrôler tout ou partie la production de biens. Peut-être est-ce à ce moment que l'écriture devient une nécessité absolue.
Si l'on donne une coloration "idéologique" à cette façon de voir, on pourrait même dire que le premier type de société complexe sans centralisation du contrôle pourrait être qualifiée d'"anarchiste" ou de "libertaire" (les 2 adjectifs ayant le même sens).
Qu'en pensez-vous, l'apparition de l'écriture (celle qui nous est parvenue) est-elle en fait le signe de la mise en place d'un contrôle centralisé de l'information et de la société?