Pour la doctrine d'emploi de l'infanterie française sous Napoléon III, je me réfère ici à l'excellent ouvrage de Stéphane Przybylski ("La campagne militaire de 1870"-Batailles décisives autour de Metz : Gravelotte-St-Privat; Rezonville-Mars-La-Tour; Borny). Tout d'abord, et cela tout le monde le sait à présent, l'infanterie de Napoléon III est considérée en 1870 comme la meilleure du monde. A ce titre, elle est crainte et respectée dans tous les états-majors européens, y compris celui de Berlin. L'infanterie française a alors pour elle une tradition d'excellence liée aux victoires remportées à Fleurus, aux Pyramides d'Egypte, à Arcole, Marengo, Rivoli, Austerlitz, Iéna, Friedland, Saragosse, Smolensk, Borodino, Dresde, Chambaupert, etc...L'infanterie française restaure ensuite, de 1815 à 1865, le prestige de la France et devient pour la nation ce que la "Royal Navy" représente comme fierté à la Grande-Bretagne, notamment grâce aux campagnes menées en Europe et hors d'Europe (campagne d'Espagne contre la junte de Cadix, campagne pour l'indépendance de la Belgique, conquête de l'Algérie, Siège contre les Républicains romains, Guerre de Crimée, campagne d'Italie, expédition de Chine, campagne de Syrie et campagne du Mexique). La "furia francese", terme qui désigne la charge à la baïonnette des fantassins français, est redoutée dans le monde entier! En 1870, la doctrine d'emploi des fantassins en vigueur avant guerre est maintenue. Elle correspond à l'ordonnance de 1791, modifiée en 1831 puis en 1862, "à une époque ou le fusil à tir rapide n'était pas encore introduit dans l'armée française et ou l'artillerie "Krupp" était inconnue" !... Les régiments d'infanterie impériaux manoeuvrent encore selon des principes qui n'auraient pas désorienté Napoléon 1er : on a ainsi recours à la formation en ligne pour la défense,, à celle en colonnes pour l'attaque et aux déploiements en tirailleurs. La ligne permet de faire tirer un maximum de fusils simultanémént, les hommes prenant leur position sur un front étendu, le premier rang couché, le deuxième à genoux et le troisième debout (le meilleur exemple d'une telle ligne, à mon sens, est sans nulle doute celle du 93ème "Highlander Regiment" à Balaklava, qui stoppa net l'offensive russe au début de la bataille...). La formation en colonnes rétrécit au contraire le front des bataillons, les soldats se plaçant les uns derrière les autres pour marcher vers l'ennemi ( exception faite pour les Anglais à la bataille de l'Alma et pour les troupes américaines lors de la Guerre de Sécession, lesquelles avançaient en longues lignes de bataillons et se faisaient abattre par pans entiers...). En colonnes, les hommes présentent ainsi une cible réduite à leur adversaire avant de charger à l'arme blanche. Les tirailleurs, eux, précèdent généralement les unités de ligne adoptant la formation en ligne ou en colonnes. La tactique des tirailleurs permet aux hommes de s'espacer de plusieurs mètres les uns des autres, de rester extrêmement mobiles et d'utiliser le moindre abri pour s'approcher au plus près de l'ennemi pour le harceler et abattre ses officiers, porte-étendards et autres sonneurs de "buggle"...Cette dernière est généralement employée par les bataillons de chasseurs à pied accompagnant les régiments de ligne d'une même division. L'organisation française, au niveau de la division, prévoit que les deux brigades qui la composent soient alignées l'une derrière l'autre sur le champ de bataille. La première brigade se dispose généralement en ligne face à l'ennemi, précédée du bataillon de chasseurs placé en tirailleurs. A environ 400 mètres en arrière, la seconde brigade forme ses colonnes et se tient prête a renforcer les troupes de la première placées sur la ligne de front. Cette organisation ne tient pas cependant compte des progrès de l'artillerie en 1870. Ainsi, le deuxième rang censé renforcé la première brigade est-il souvent bombardé sans même apercevoir l'ennemei. Face à une telle situation, le principe consistant à faire coucher les hommes au sol ne les protège pas des tirs d'artillerie (cette tactique est rendue possible grâce à l'apparition des fusils se chargeant par la culasse, les fusils à percussion ne pouvant être chargés que debout...). Dans les années qui suivent la guerre austro-prussienne de 1866, d'autres solutions vont être envisagées pour atténuer les effets des armes à feu modernes. Le Maréchal Niel, en 1869, préconise ainsi l'utilisation généralisée des tranchées-abris, celles-ci devant être aménagées systématiquement une fois que l'infanterie aura gagné ses positions de combat. Dans la pratique, le Maréchal Bazaine respectera les volontés de NIel quand il donnera l'ordre avant la bataille de saint-Privat, mais il ne sera obéï que par deux chefs de corps sur quatre, savoir Frossard et Leboeuf, qui seront alors les seuls à pouvoir tenir leur ligne de bataille sans reculer, le 18 août 1870... L'utilisation des tranchées-abris et des fortifications de campagne temporaires met en lumière le nouvel esprit qui habite alors l'armée française en 1870.. Après avoir été le tenant de l'offensive et de la "furia francese" tout au long du XIXème siècle, le fantassin français se retrouve confiné dans un rôle purement défensif par ses chefs. Le "Chassepot" a ici un effet pervers sur le haut commandement, persuadant celui-ci que l'infanterie peut rester immobile sur une "belle position" et repousser tous les assauts ennemeis grâce à son nouveau fusil. Les généraux français placent d'ailleurs tellement d'espoir dans cette arme qu'ils renoncent à peaufiner une nouvelle tactique pour les tirailleurs maintenant équipés du "Chassepot". Pourtant, ces derniers auraient pu se porter loin en avant de la ligne de bataille et prendre à parti les servants de l'artillerie adverse sans que ceux-ci ne puissent être protégés par leur propre infanterie, le fusil "Dreyse" étant nettement surclassé par le fusil français en matière de portée. Au bois de la "Cusse", les tirailleurs du général de Ladmirault mettront ainsi à mal les batteries prussiennes trop avancées, illustrant de la sorte les vertus du combat mobile, cet épisode ne représentant qu'une simple et timide tentative de mettre en pratique une tactique qui aurait mérité d'être systématisée avant-guerre.
_________________ "Vous êtes de la merde dans un bas de soie" (Napoléon à Talleyrand).
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