Choqué voici ce que répondit à propos des dragons hermaphrodites, le colonel Marbot dans un ouvrage intitulé remarques critiques sur l'ouvrage de M. le Lieutenant-général Rogniat .... a cette époque ça ne discutait pas au fleuret moucheté !
"M. le général Rogniat ne veut, dans son armée, que deux espèces de cavalerie; savoir, la grosse cavalerie cuirassée et la cavalerie légère. Je n'approuve point ce système; car je crois qu'il faut de la cavalerie mixte (1).
(1) J'entends par cavalerie mixte , des corps qui, pour la solidité et la légèreté, tiennent le milieu entre les cuirassiers et la cavalerie légère ; tels sont les dragons, qui ont rendu de très-grands services à nos armées dans les premières guerres de la révolution, tant qu'on se borna à les faire combattre comme cavalerie. Cette arme fut un moment désorganisée, parce qu'on voulut lui faire exécuter des choses impraticables ; mais dès qu'on eut renoncé à ce système vicieux, les dragons redevinrent de fort bonne cavalerie mixte. Je dis mixte, et non légère, quoique par une vieille habitude et la fausse interprétation de quelques anciennes ordonnances, on ait mal à propos donné aux dragons de nos jours , le nom de cavalerie légère qui ne leur convient sous aucun rapport, ainsi que l'avouent les officiers de dragons qui connaissent leur arme et savent que par la manière dont elle est montée, elle n'est ni grosse cavalerie, ni cavalerie légère, mais tient un juste milieu entre la solidité de l'une et la légèreté de l'autre, ce qui la rend infiniment utile. (Lorsque les dragons furent désignés pour faire partie de la cavalerie légère, ils étaient montés sur de très-petits chevaux, et avaient une organisation qui ne ressemble en rien à celle qu'ils ont aujourd'hui.)
Je me permettrai d'adresser à M. le général Rogniat, quelques questions à ce sujet. Supposons pour un moment que M. le général soit chargé de recevoir les remontes destinées à la cavalerie d'une armée, et qu'on lui présente une grande quantité de chevaux, parmi lesquels il y en a plusieurs milliers de la taille de huit à neuf pouces, et qui, n'ayant d'ailleurs aucunes tares, sont bien étoffés, ont les membres fortement prononcés, la corpulence un peu épaisse, et sont par conséquent d'une légèreté moyenne. Que fera M. le général Rogniat de ces chevaux la ? les enverra-t-il aux corps de grosse cavalerie? cela n'est pas possible; car des chevaux de huit à neuf pouces ne sont ni assez grands, ni ordinairement assez forts (quelque bien constitués qu'ils soient) pour pouvoir porter pendant toute une campagne, des cavaliers d'une haute structure, dont le poids, déjà très-considérable, est encore augmenté par celui des cuirasses de fer dont ils sont revêtus. M. le général Rogniat ne pourra donc employer au service de la grosse cavalerie, les chevaux de moyenne taille dont nous parlons. Les donnera-t-il à la cavalerie légère? cela n'est point encore possible; car , des chevaux de neuf pouces , fortement charpentés, sont trop grands, trop charnus et pas assez lestes pour la cavalerie légère, qui a besoin, pour bien faire son service, d'être montée sur des petits chevaux nerveux , agiles et maniables, qui puissent se glisser facilement au travers des obstacles et passer lestement partout. M. le général Rogniat ne pourra donc monter sa cavalerie légère sur des chevaux de neuf pouces, d'une structure et d'une corpulence un peu épaisse. Que fera donc M. le général, de tous les chevaux de cette taille et de cette corpulence qu'on lui présentera? il sera forcé de les renvoyer, puisqu'il ne veut pas de cavalerie mixte; et voilà plusieurs milliers de bons chevaux, de taille et de force moyenne, desquels l'état ne pourra tirer aucun parti, ce qui le privera en temps de guerre d'une grande ressource, et fera infiniment hausser le prix des chevaux de cuirassiers et de cavalerie légère, puisque les remontes ne se composeront plus que de ces deux espèces de chevaux. Je doute que la proposition de M. le général Rogniat soit adoptée, et je suis convaincu qu'il faut en Europe trois espèces de cavalerie, ne fût-ce que pour se conformer à la nature des chevaux de selle européens qui, par leur taille et leur corpulence, se divisent généralement en trois classes bien distinctes; savoir: i° les chevaux qui sont à la fois grands, gros et forts, mais un peu lourds; 2° ceux dont la taille, la corpulence, la force et l'agilité sont moyennes; 3° les chevaux petits, nerveux et lestes. Cette diversité dans la taille, là corpulence et l'agilité des chevaux, est, à peu d'exception près, si prononcée, que pour pouvoir utiliser les chevaux de tous genres, on a été forcé de diviser aussi la cavalerie en trois classes; savoir : la grosse cavalerie qui est actuellement cuirassée, la cavalerie mixte, composée de dragons et chevau-légers, enfin la cavalerie légère. Chacune de ces trois espèces de cavalerie a son utilité en temps de guerre; ainsi l'agilité des petits chevaux, leur adresse naturelle et la faculté qu'ils ont généralement de mieux supporter la fatigue que les gros , rend la cavalerie légère propre aux longues courses et au pénible service des avant-postes, tandis que la force des grands et gros chevaux, permet, non seulement de les faire monter par des hommes très-robustes, et de veiller à la conservation de ces cavaliers en les couvrant de fer; mais encore elle donne à la grosse cavalerie la faculté de résister aux chocs et d'enfoncer des masses de troupes. Mais comme la pesanteur naturelle de ces grands et gros chevaux, jointe à la charge des hommes cuirassés qu'ils portent, empêche la grosse cavalerie d'être aussi long-temps sur pied que la cavalerie légère, et qu'il est très-difficile, pour ne pas dire impossible, que des cuirassiers puissent suivre la cavalerie légère assez lestement aux avant-gardes et aux arrière-gardes pour être toujours à même d'appuyer ses mouvements et de la soutenir au besoin; c'est la cavalerie mixte qui est chargée de ce service, qu'elle fait aisément, parce qu'étant montée sur des chevaux plus maniables plus agiles et moins chargés que ceux des cuirassiers, elle/se fatigue beaucoup moins, et peut faire bien plus promptement qu'eux, les courses nécessaires pour voler à lavant-garde, au secours de la cavalerie légère, qui, étant par sa nature même et le genre de combat qu'elle livre, exposée à être souvent ramenée et mise en désordre, trouve dans la solidité des escadrons^tela cavalerie mixte, un appui des plus utiles; appui qu'elle attendrait souvent en vain si, faute de cavalerie mixte, il devait lui être donné par la grosse cavalerie qui arriverait presque toujours trop tard, ou qu'on abîmerait et exténuerait bientôt en la faisant continuellement courir aux avant ou arrière-gardes, et la tenant presque aussi long-temps bridée que la cavalerie légère. Qu'on se rappelle qu'une des causes qui ont le plus contribué aux pertes énormes que nos beaux régiments de cuirassiers éprouvèrent dans les campagnes.de 1809, 1812 et 1813, c'est le manque de cavalerie mixte qu'on éprouva dans nos armées d'outre-Rhin pendant ces campagnes-là; parce qu'en 18o8 on avait envoyé en Espagne presque tous nos dragons, ou cavalerie mixte*, dont l'absence se fit souvent sentir d'une manière bien déplorable; car, dès que la cavalerie légère de notre avant ou arrière-garde était sérieusement engagée , comme on n'avait pas de cavalerie mixte pour aller la soutenir, on y envoyait les cuirassiers; de sorte qu'au lieu de faire repaître et de ménager leurs chevaux, qui en ont bien plus besoin que d'autres, les cuirassiers étaient quelquefois en mouvement depuis le lever de l'aurore jusque bien avant dans la nuit, ce qui harassait ces hommes couverts de fer, fatiguait infiniment les chevaux qui portaient de tels poids, et en mettait par jour plusieurs centaines hors de service. Aussi, dès l'ouverture de la campagne, voyait-on les divisions de cuirassiers se fondre avec une rapidité effrayante, sans qu'il fût possible d'y remédier. Les cuirassiers (ou grosse cavalerie ) sont destinés à décider, par leurs terribles charges, le gain d'une bataille, ou à arrêter et contenir un ennemi victorieux; mais, si l'on veut avoir pour les grandes occasions des corps de cuirassiers pour donner un vigoureux coup de collier, il faut alors les ménager dans le courant de.la campagne, et ne pas les exténuer journellement en les tenant constamment à cheval. Or, comme ce n'est que lorsqu'on a de la cavalerie mixte qu'on peut ménager les cuirassiers, je soutiens qu'il faut absolument avoir trois espèces de cavalerie, et c'est une vérité dont tous les peuples de l'Europe sont convaincus. On voit cependant, par ce que M. le général Rogniat dit à la page 230, qu'il est persuadé que presque tous les peuples européens n'ont que deux espèces de cavalerie ; mais c'est une erreur. Car il est prouvé que tous en ont au moins de trois sortes, et que ceux qui, tels que les Russes, admettent dans leur armée de la cavalerie irrégulière , ont alors quatre espèces de cavalerie. En effet, les Russes ont, 1° de la grosse cavalerie cuirassée ; 2° de la cavalerie mixte, composée de nombreux régiments de dragons; 3° de la cavalerie légère régulière, composée de chasseurs , hussards et lanciers; 4° enfin les cosaques irréguliers. M. le général Rogniat ne voulant, dans son armée, que de la grosse cavalerie et de la cavalerie légère, éprouvera souvent de rudes échecs faute de cavalerie mixte ; car, sa grosse cavalerie; ne pouvant marcher aussi vite que l'avant-garde, ni rester habituellement pendant les retraites, à l'arrière-garde, la cavalerie légère de M. le général Rogniat ne pourra résister à la cavalerie légère de l'ennemi, soutenue par des divisions de cavalerie mixte ; et les avant-gardes et les arrière - gardes de M. le général Rogniat: seront constamment battues et refoulées sur les colonnes de son armée. La cavalerie mixte, je le répète, est indispensable, et les armées qui n'en auront pas perdront bientôt leur grosse cavalerie, et verront batlre et repousser presque toujours leur cavalerie légère (1).
(1) Je conçois difficilement, comment un officier général, qui a fait la guerre aussi long-temps que l'a faite M. le général Rogniat, peut contester l'utilité de la cavalerie mixte; mais enfin , comme M. le général Rogniat n'a jamais commandé de troupes en rase campagne, et que malgré ses grands talents, il est une foule de points sur lesquels la pratique n'a pu rectifier chez lui les idées systématiques d'une fausse théorie, son erreur est, en quelque sorte, excusable. Mais, comment est-il possible que M. le général, comte de la Roche-Aymon , qui a très-long-temps servi dans la cavalerie , et a écrit quelques bons articles sur cette arme; comment est-il possible qu'il ait pu dire , dans son Traité sur les Troupes légères, « qu'il n'existe , et ne peut exister que deux espèces » de cavalerie. » Cette opinion est, selon moi, une erreur des plus grandes. Je crois l'avoir combattue victorieusement, en démontrant que quand ce ne serait que pour employer les chevaux de moyenne taille, il faudrait trois espèces de cavalerie. Je me permettrai donc d'adresser à M. le comte de la Roche-Aymon , la même question qu'à M. le général Rogniat, et je voudrais bien savoir ce que M. le Comte ferait d'un cheval de remonte qui, ayant de bonnes qualités, ne serait ni assez grand, ni assez fort pour porter un cuirassier; mais serait cependant trop grand, trop gros, et pas assez leste pour qu'un, hussard on chasseur pût s'en servir avec avantage? Je pense que M. de la Roche-Aymon , qui ne veut pas de cavalerie mixte, serait fort embarrassé pour placer ce cheval d'une manière utile, et je ne vois pas ce qu'il en pourrai faire. Quant à moi, je ne balancerais pas un instant; car, voyant à la première inspection , que le cheval dont il est question, n'est propre, ni pour le service de la grosse cavalerie, ni pour celui de la cavalerie légère; mais que du reste, il est sain, et a de bonnes qualités, je l'enverrais dans un corps de cavalerie mixte où il monterait parfaitement bien un dragon."
On le voit le dragon pose bien des problèmes, même s'il reste monté, sa place entre cavalerie lourde et cavalerie légère, son utilité même est incertaine.
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