Jerôme a écrit :
Sur le plan de la méthode historique il est légitime de repérer une tendance française à l audace et au risque. Cela n exclut pas des exceptions et des contre exemples.
Il y a aussi une tendance anglaise à la prudence.
Plus difficile à identifier : la culture allemande qui semble offensive mais pas comme la nôtre ...
mais enfin tout cela n'a pas de sens ! On ne peut pas faire remonter une conception française de la guerre, qui aurait pris naissance au Moyen-âge et aurait perduré jusqu'à nos jours.
Rivoli voit dans Crécy, Azincourt et Poitiers une preuve de l'audace française et de la prudence britannique. Mais c'est une explication en dehors de toute réalité militaire : ce qui se passe au début de la guerre de Cent Ans, c'est que les Anglais - et c'est une première dans l'histoire européenne - pratiquent une bataille
conduite. (on en a parlé dans le sujet sur "le choix du meilleur terrain".) Donc effectivement ils choisissent le terrain, manoeuvrent pour que l'affrontement ait lieu là et pas ailleurs, et préparent le terrain en y plantant des pieux pour abriter les archers, chaque archer étant protégé par un homme de pied.
Autre nouveauté, ces hommes sont entraînés. Le miracle de Crécy ce n'est pas que les archers anglais aient mis à terre une charge de chevalier, c'est qu'ils aient tenu leur position sans s'enfuir en courant.
En face, qu'on ne me raconte pas qu'il y a "un esprit français offensif par nature". Il y a la conception moyenâgeuse d'une bataille, qui vaut pour tous les pays depuis quatre siècles, et qui consiste à se mettre face à face pour des exploits individuels, pour "férir des coups merveilleux", Dieu décidant de l'issue de la bataille, qui n'est absolument pas conduite. Est-ce un résultat de ce supposé "esprit offensif" si les chevaliers, pressés de charger, piétinent les arbalétriers génois ?
On est à un moment historique, longbows mis à part, où la victoire revient à celui qui dirige son armée et conduit sa bataille. La tendance ne s'inversera que lorsque les Français auront appris à faire la même chose, en aménageant également le terrain, et ce sera Castillon, où ce sont d'ailleurs les Anglais qui prennent l'offensive.
Citer :
Plus difficile à identifier : la culture allemande qui semble offensive mais pas comme la nôtre ...
Ah certes, c'est difficile à identifier, pour la bonne raison que l'unité allemande n'est effective qu'en 1871 ! Aller chercher une culture
allemande de la guerre avant cette date n'a aucun sens.
Mais si on veut parler de la Prusse, j'ai déjà signalé que Frédéric II est le premier à bien maîtriser ce qui se pratique déjà depuis longtemps : l'utilisation coordonnée, en fonction du terrain, de l'infanterie, de la cavalerie et de l'artillerie. Ni spécialement offensif ou défensif, il manoeuvre, ruse, pratique la diversion, bref, il conduit sa bataille.
Napoléon rendra systématique ce principe qui prend sens tout au long du 18e : le but est la destruction de l'armée ennemie. (ça c'est un principe militaire, et qui vaut pour toutes les nations !) Il ne théorise en rien "l'esprit offensif à la française", il pratique la manoeuvre à grande échelle, avec des divisions séparées les unes des autres, pour en arriver, idéalement, à se battre sur le terrain et dans les conditions qu'il a choisi.
Austerlitz est-elle une bataille offensive ou défensive ? la question n'a pas de sens, une fois de plus. Napoléon pousse l'ennemi à l'attaquer là où il l'a décidé - ce qui vaut à Davout une dure journée sévèrement défensive - pour mieux lui placer un contre, en plein centre. Il utilise tout l'art de la manoeuvre, voila tout.
Dans l'art de la guerre, sauf infériorité numérique ou qualitative manifeste, on ne décide pas à l'avance si l'on va être totalement offensif ou totalement défensif : ce n'est pas le critère qui préside à la manoeuvre des armées.
Pendant la guerre de 1870, les Prussiens manoeuvrent, agissent, décident, bref se comportent comme le faisait Napoléon, face à une armée française mal commandée et toujours en retard d'un mouvement ou d'une décision : l'esprit français offensif, vraiment ?
Cette armée française qui a oublié les enseignements de Napoléon - un comble - se convertit alors aux vertus absolues de l'offensive. Pas de chance, les conditions de la guerre suivante offrent une prime déterminante à la défensive : "le feu tue". Jusqu'à la fin 1917, TOUTES les batailles offensives françaises se solderont par un carnage. Il faut attendre 1918 pour voir le retour de la guerre de mouvement et de la conduite interarmes de la bataille, qui inclut désormais les chars et l'aviation.
Rivoli a écrit :
De tous temps, les écrivains militaires ont jugé les français plus offensifs que défensifs.
Mais où allez vous chercher ça ? Pouvez-vous citer les penseurs ou analystes militaires qui ont émis ce jugement ?
Rivoli a écrit :
La baïonnette est une création essentiellement française parce que les français préféraient la charge plutôt que tirailler de loin.
C'est fou d'inventer des salades pareilles ! Au 17e siècle, TOUTES les armées européennes utilisent la baïonnette. Par la force des choses, on ne tiraille pas de loin : la cadence de tir des fusils ne permet pas d'emporter la décision par ce moyen.
Pour être précis, c'est un ingénieur de Louvois qui invente la baïonnette à douille, qui permet de recharger le fusil sans l'enlever. (Jusque là on l'enfilait dans le tube du fusil.) Mais ça n'a rien à voir avec une "volonté offensive française", et d'ailleurs c'est copié immédiatement par les autres nations.
Au total, cette histoire de distinguer des nations offensives et des nations défensives ne correspond à rien : ce n'est pas comme cela que les militaires, qui sont des professionnels du métier de la guerre, établissent leurs opérations.
le seul argument un peu sensé qui ait été produit en ce sens est le coût d'une armée professionnelle, par nature peu nombreuse, ou à économiser. Là on peut, disons depuis Napoléon, repérer une spécificité anglaise, basée sur le refus de la conscription, permis par sa situation insulaire. (Mais ça ne vaudra guère que pour le début des deux guerres mondiales, où l'Angleterre rétablit rapidement la conscription et ne recule plus, alors, devant les offensives meurtrières.)
De plus, l'armée professionnelle qui coûte cher, c'est le lot de toutes les armées d'Europe à l'époque de la Renaissance et au delà :"pas d'argent, pas de Suisse." Aucune spécificité nationale là-dedans. Machiavel ricane sur les armées de son époque, qui évitent de se faire du mal !
Bref, ce titre : "le soldat français est un offensif" est une simple lubie.