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Origines et buts du colonialisme européen
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Auteur :  MonteCristo [ 19 Fév 2008 11:14 ]
Sujet du message : 

Je n'avais pas remarqué ce sujet auparavant, ce qui est bien regrettable car l'histoire coloniale est au cœur même des débats français actuels.

De plus, j'ai moi même eu à travaillé sur le livre de Daniel Lefeuvre "Chère Algérie", j'ai en effet une certaine connaissance de la colonisation française.

Bien, avant toute chose je tiens à souligner le fait que je suis entièrement CONTRE la colonisation et pour deux points:

*Premier point (point de vue métropolitain nous pourrions dire): la colonisation a été au final un gouffre économique.
Qu'on le veuille ou non des études sérieuses et justement dépassionnées sont unanimes et sans appel. La France s'y est ruinée et les sommes sont astronomiques tant en infrastructures(ports, chemins de fer, écoles, hôpitaux,...) qu'en encadrements (envois des meilleurs médecins et professeurs) mais également en subventions pour servir de béquille à une industrie constituée artificiellement dans un contexte exogène et qui ne pouvait fonctionner autrement.

Certains crédits du plan Marshall furent même utilisés pour subventionner les colonies et quel appel d'air économique lors de la décolonisation, ce qui n'est pas pour rien dans ce que l'on nomme "les Trente Glorieuses"...

Je pourrai rentrer dans plus de détails et si certains veulent des données chiffrés et des sources, nous verrons cela ultérieurement.

*Second point( Point de vue des "indigènes"): La base de la colonisation française est idéologique, voir utopiste au sens premier du terme. Ce sont en partie les idéaux universalistes et jacobins héritiers des Lumières qui furent un des moteurs principaux de cette dynamique.
Le Fardeau de l’Homme Blanc...
Or la réalité est tout autre et je suis particulièrement contre toute forme d’écrasement culturel et d’effacement de civilisations. J’aime cette diversité et avoir voulu faire croire à des petits africains que leurs ancêtres étaient des gaulois était le comble du ridicule jacobin.
Bien qu’il soit évidant que les indigènes aient profités de toutes façons des améliorations techniques et scientifiques apportés par la France, nous pourrions réfléchir au droit d’ingérence puisque c’est là la seule chose qui est en cause finalement.

Cette précision effectuée, je pense que pour dépassionner le débat il va falloir cesser de véhiculer tout et n’importe quoi. Je suis personnellement effrayé par la quantité d’idées reçues ,de falsifications historiques et de clichés qui constituent ce que j’appel “la base historique de l’imaginaire commun”.

Cela ne se résumé pas effet à la seule colonisation, il suffit de voir tout les mythes qui ont encore cours sur le Moyen-âge pour prendre toute la mesure de ce problème...Et je ne parlerai même pas de l’Inquisition ou des Croisades où tout et n’importe quoi est déclaré avec un aplomb très journalistique.

Si l’on veut dépassionner le débat et bien c ‘est simple il ne faut pas le laisser aux mains d’idéologues. La colonisation fait partie des tabous français or n'est-ce pas une réaction légitime que de penser que si la France cache c’est qu’elle doit être foncièrement honteuse? Et lorsqu’elle se repent je ne vous en parle pas...

Or le dénis de réalité comme disait De Gaule ne sert jamais personne et la Réalité nous rattrape toujours tôt ou tard.

Donc il faudrait arracher ce débat aux idéologues et aux journalistes incompétents. Je rejoins totalement les divers intervenants qui dans ce fil ont soulevés ce point. Les médias ont une responsabilité énorme justement dans la création de ce que j’appelais “la base historique de l’imaginaire commun”.
Ce sont les principales vecteurs de tout ces mensonges et déformations qui ne servent personne et qui sont condamnables et quasiment criminels.

Je suis pour un retour du débat sur le forum social, arrêtons d’être frileux dans cette République bon sang!

A quand une émission un soir de grande audimat avec des experts sociologues et historiens aux thèses différentes mais argumentées et fournies qui discutent sur le sujet.

J’ai toujours été pour une société des Experts, aujourd’hui tout le monde parle même (et surtout) pour parler de choses dont il connait rien. Je pense qu’il faut un peu d’humilité dans tout ça, j’avoue très souvent mes limites sur certains sujets, cela ne m’empêche pas de me faire un avis mais pas d’asséner un point de vue.

Finalement qu’elle est l’inverse de la Passion? Cela pourrait être le Scientisme et la Raison.

Peut-être qu’un jour on pourra faire la part des choses (au moins de ce coté de la Méditerranée du moins car dans certaines anciennes colonies comme l’Algérie ça risque d’être difficile vue l’idéologie au pouvoir...) et que l’on pourra dire que la colonisation n’a finalement servis qu’une poignée de particuliers. Que les ouvriers métropolitains travaillaient dans les mêmes conditions que les indigènes et étaient payés le même salaire...
Que sur les belles plages d’Algérie, français métropolitains et algériens français se baignaient côte à côte sous le même soleil.

Bien sur qu’il y avait des actes discriminatoires mais combien d’amitié, de sympathies et de liens forts occultés?

Lorsque l’on dépassionne le débat et que l’on se rend compte que non la colonisation ne fut pas une bonne affaire qui a permis à la France de s’enrichir, ça a même été l’inverse.
Que oui les indigènes ont forcément profités des apports techniques et structurels des métropolitains.

Il ne reste qu’un élément sur lequel nous pourrions discuter, c’est la perte de souveraineté et l’acculturation.
En ce qui concerne l’Algérie, c’est justement ce qui a mis le feu au poudre et c’est totalement compréhensible et justifié. Lorsque les parlementaires français ont refusés d’accorder le pouvoir civique aux indigènes, ces mêmes parlementaires universalistes qui les avaient abreuvés de beaux discours sur les Lumière et les Droits de l’Homme et bien une certaine frustration est née car comme toujours la Réalité vous rattrape.

Je terminerai en soulignant la justesse de propos de l'intevenent me précédant et qui porte un message fort depuis le Sénégal très pragmatique et finalement très humain :wink: .

Nous pourrions également y voir un aspect important du débat colonial français, le fait que bien souvent ceux qui jettent de l'huile sur le feu et aiment à caricaturer ce sujet ne sont pas même d'anciens colonisés mais bel et bien des français métropolitains qui ont pignon sur rue dans certains médias...

Auteur :  Bergame [ 19 Fév 2008 11:30 ]
Sujet du message : 

Ben voyons ! La colonisation fille des Lumières !... Et comment justifiez-vous cette Réaliste et Rationnelle thèse, Monte Cristo ?

Auteur :  MonteCristo [ 19 Fév 2008 11:38 ]
Sujet du message : 

Attention, ceci ne veut pas dire que j'accrédite cette entreprise d'une connotation positive , que l'on se comprenne bien. Ce qui est logique puisque je suis contre la colonisation.

Si vous voulez, disons davantage un effet pervers consécutif à la pensée des Lumières.

Les Lumières ont diffusés en partie le mythe de l'Homme universel( et similaire) , ce qui influencera par la suite certains Révolutionnaires et le jacobinisme.

Or le fardeau de l'Homme blanc qui est le moteur de la Colonisation française est l'aboutissement logique de cette pensée.

"Nous peuple français sommes les héritiers des Lumières et nous devons d'apporter cela aux peuples du monde entier".

L'idéologie du messianisme éclairé français.

En espérant avoir été plus clair sur ce point Bergame.

Auteur :  Duc de Raguse [ 19 Fév 2008 12:00 ]
Sujet du message : 

Citer :
La base de la colonisation française est idéologique, voir utopiste au sens premier du terme.Ce sont en partie les idéaux universalistes et jacobins héritiers des Lumières qui furent un des moteurs principaux de cette dynamique.

Humm... Je ne suis pas trop d'accord avec cela. La colonisation commence bien avant le mouvement des Lumières. Elle débute juste après que les explorateurs soient passés, lorsque ceux-là ne sont pas à la fois explorateurs et conquistadores.
Nous sommes donc à l'aube du XVIème siècles lorsque les Espagnols, les Portuguais, les Anglais et les Français se livrent à la course de la conquête. Il n'y a pas d'"idéologie" qui prévaut à leurs actes, mais uniquement une soif de richesses et de puissance pour leurs Etats respectifs.
Certes, un carcan religieux est rapidement trouvé pour "habiller" cet orgueil démeusuré, malgré des oppositions internes à l'Eglise sur la nécessité de faire de ces autochtones de "bons chrétiens".

Le mouvement humaniste est partagé sur la colonisation et il en est ensuite de même pour les Lumières.
Quant aux Jacobins, laissez-moi rire : les possessions coloniales françaises existent bien avant leur venue au pouvoir.
Il y a un moment, c'est exact, où les "ferrystes" (peut-on encore les appeler des jacobins, dans un régime républicain solidement installé ?) habillent à nouveau l'oeuvre colonisatrice d'un message civilisationnel apporté aux indigènes.
Mais de-là à l'appliquer aux jacobins, parti politique - ou "club" - pendant les événements révolutionnaires me laisse dubitatif : cela sous-entend que les Républicains sont responsables de la colonisation, ce qui est bien entendu faux.

Auteur :  MonteCristo [ 19 Fév 2008 12:30 ]
Sujet du message : 

J'étais certain que cette partie du message allait suscité débat et j'ai longtemps hésité à l'écrire de peur que ça occulte le reste.

Et c'est ce qui se passe car cet élément ne représente même pas deux lignes de l'ensemble, qui est d'ailleurs bien plus important et centré sur le sujet...

Mais je suis parfaitement en accord avec ce que vous dites Duc de Raguse et je m'en explique.
Je ne pense pas que l'on puisse comparer la colonisation du XVIe et celle du XIXe. Bien qu'elles soient des étapes successives l'une de l'autres, elles changent de procédés, de nature, d'esprit, d'ampleur et surtout de contexte.

Nous pourrions ainsi parler de colonisationS.

Il est évidant que la base de la colonisation est une recherche de grandeur dans un jeu concurrentiel entre puissances d'Europe, une volonté de prestige indéniable.
Cependant, très tôt certains ont tirés la sonnette d'alarme et prévus que sur le long terme la France serait plongée dans un gouffre économique et problématique, ce courant se nomme les Modernistes.

Or la réponse qui leur fut donnée est celle de la théorie idéologique du fardeau de l'Homme Blanc qui est issue en partie comme je l'ai expliquée des Lumières.

Après qu'il y est eu dialogue et nuance c'est certain, que cela ne soit qu'une excuse, peut-être et encore il y a eu des personnes sincèrement convaincus de cela.

Mais ce qui compte est bel et bien que c'était cette idéologie qui était brandie sinon nous cessons de faire de l'Histoire pour faire de la sociopsychologie.

En ce qui concerne les jacobins, je ne sous-entend évidemment pas que les "vrais" jacobins tenaient ce discours mais que leurs idées ont menées en tant que bagage idéologique à certains aspects des Ferrystes en particulier par la notion d'universalisme.

Non non, la pensée républicaine ne se résume pas aux jacobins bien sur et une conclusion aussi hâtive tant qu'à la responsabilité de la république serait hors de propos.

Auteur :  Bergame [ 19 Fév 2008 13:13 ]
Sujet du message : 

Oui, je suis déjà d'accord avec Duc de Raguse sur le fond. Sauf que je discuterais même sa réserve :

Duc de Raguse a écrit :
Il y a un moment, c'est exact, où les "ferrystes" (peut-on encore les appeler des jacobins, dans un régime républicain solidement installé ?) habillent à nouveau l'oeuvre colonisatrice d'un message civilisationnel apporté aux indigènes.


Bien au contraire ! Jules Ferry se fait l'écho politique de l'économiste Paul Leroy-Beaulieu, un libéral, qui s'était attaché à montrer que le colonialisme était économiquement une bonne affaire. Sa conclusion de De la Colonisation chez les Peuples Modernes (1874) est restée célèbre : "Le peuple qui colonise le plus est le premier peuple ; s'il ne l'est pas aujourd'hui, il le sera demain."
Lorsque Ferry arrive au pouvoir dans les années 1880, il reprend ces thèses à son compte.

Je prends un passage de Le Tonkin et la Mère Patrie (1890) :

Jules Ferry a écrit :
La politique coloniale est fille de la politique industrielle. Pour les Etats riches, où les capitaux abondent et s'accumulent rapidement, où le régime manufacturier est en voie de croissance continue [...] où la culture d ela terre elle-même est condamnée pour se soutenir à s'industrialiser, l'exportation est un facteur essentiel de la prospérité publique. S'il avait pu s'établir entre les nations manufacturières quelqeu chose comme une division du travail industriel, une répartition méthodique et rationnelle des industries selon les aptitudes, les conditions économiques, naturelles et sociales des différents pays producteurs [...] l'Europe eût pu ne pas chercher en dehors de ses propres limites les débouchés de sa production [...] Mais tout le monde aujourd'hui veut filer et tisser, forger et distiller.


Il y a aussi l'argument politique (Discours aux Débats Parlementaires, 28 juillet 1885)

Jules Ferry a écrit :
Rayonner sans agir, sans se mêler aux affaires du monde, en se tenant à l'écart de toutes les combinaisons européennes, en regardant comme un piège, comme une aventure toute expansion vers l'Afrique ou vers l'Orient, vivre de cette sorte pour une grande nation, croyez-le bien, c'est abdiquer, et dans un temps plus court que vous ne pouvez le croire, c'est descendre du premier rang au troisième et au quatrième.


Et enfin, effectivement, il y a un argument "humaniste". Mais il faut voir ce qu'est l'"humanisme" de Ferry, et bien comprendre qu'il prétend ainsi prendre le contrepied des opposants au colonialisme qui sont opposants, justement, par humanisme (même discours) :

Jules Ferry a écrit :
Messieurs, il y a un second point [...] c'est le côté humanitaire et civilisateur de la question. Sur ce point, l'honorable M. Camille Pelletan [radical] raille beaucoup [...] : "Qu'est-ce que cette civilisation qu'on impose à coups de canon ? Qu'est-ce, sinon une autre forme de la barbarie ? Est-ce que ces populations de race inférieure n'ont pas autant de droits que vous ? Est-ce qu'elles ne sont pas maitresses chez elles ? [...]" Voila Messieurs, la thèse ; je n'hésite pas à dire que ce n'est pas de la politique, cela, ni de l'histoire : c'est de la métaphysique politique [...] Messieurs, il faut parler plus vrai et plus haut ! Il faut dire ouvertement que les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures [...] Je répète qu'il y a pour les races supérieures un droit, parce qu'il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. [...] De nos jours, je soutiens que les nations européennes s'acquittent avec largeur, avec grandeur et honnêteté de ce devoir supérieur de civilisation.


On notera d'ailleurs au passage l'argument majeur de Ferry à l'appui de cette dernière thèse :

Jules Ferry a écrit :
Est-il possible de nier que ce soit une bonne fortune pour ces malheureuses populations de l'Afrique équatoriale de tomber sous le protectorat de la nation française ou de la nation anglaise ? Est-ce que notre premier devoir, la première règle que la France s'est imposée, que l'Angleterre a fait pénétrer dans le droit coutumier des nations européennes et que la conférence de Berlin vient de traduire en droit positif, en obligation sanctionnée par la signature de tous les gouvernements, n'est pas de combattre la traite des nègres, cet horrible trafic, et l'esclavage, cette infamie ?


Celui qui fera la promotion de la colonisation par vrai et profond humanisme, en-dehors de toute considérations économiques et politiques, c'est Jaurès, qui voit dans la colonisation une oeuvre de progrès, particulièrement grace à l'éducation (Discours pour l'Alliance Française, 1884)

Jean Jaures a écrit :
Il n'y a en ce moment en Algérie qu'une multitude vaincue et cent mille conquérants : il n'y aura là un vrai peuple et une autre France que par une large diffusion de la langue française.
[...]
Nous pouvons dire à ces peuples, sans les tromper, que jamais nous n'avons fait de mal à leurs frères volontairement ; que les premiers nous avons étendu aux hommes de couleur la liberté des Blancs et aboli l'esclavage [...] qu'au Congo, M. de Brazza traversait sans tirer un coup de feu, de vastes territoires et des tribus guerrières, parce qu'il a su se faire aimer ; que récemment encore nous refusions de dépouiller les Arabes à notre profit et que nous en recevions leurs remerciements [...] que là, enfin, où la France est établie, on l'aime, que là où elle n'a fait qu'un passage on la regrette ; que partout où sa lumière resplendit, elle est bienfaisante [...] voila ce que gagne une nation à pratiquer envers les faibles l'humanité et la justice : le jour où elle doit produire son histoire, elle peut la montrer tout entière et ne rien cacher de ce qu'elle a fait.


Peut-on mieux dire ?

Auteur :  MonteCristo [ 19 Fév 2008 13:23 ]
Sujet du message : 

Non en effet on ne peut mieux dire.

Ce discours de Ferry et plus encore la déclaration Jaures sont totalment révélatrices de l'aspect humaniste et méssianique que j'évoquais plus haut.

Auteur :  Duc de Raguse [ 19 Fév 2008 13:29 ]
Sujet du message : 

MonteCristo, je cherchais simplement à nuancer un peu vos propos, rien de plus. :wink:

Citer :
Bien au contraire !

Je ne comprends pas bien le sens de cette remarque Bergame, puisque vous ne faîtes qu'illustrer la politique de Ferry par ses discours à la Chambre. :?

Citer :
Celui qui fera la promotion de la colonisation par vrai et profond humanisme, en-dehors de toute considérations économiques et politiques, c'est Jaurès, qui voit dans la colonisation une oeuvre de progrès, particulièrement grace à l'éducation

Oui, effectivement, mais cela complète la pensée de Ferry, ne trouvez-vous pas ? La France a toujours cette mission selon-lui.
Il faut noter que Jaurès est élu la première fois à la Chambre sous une étiquette ferryste et qu'il ne supporte pas les socialistes et le marxisme, trop dogmatiques selon lui.
Il changera d'avis au milieu des années 1890... Sur la colonisation aussi, d'ailleurs. :wink:

Auteur :  Bergame [ 19 Fév 2008 19:44 ]
Sujet du message : 

Duc de Raguse a écrit :
Citer :
Celui qui fera la promotion de la colonisation par vrai et profond humanisme, en-dehors de toute considérations économiques et politiques, c'est Jaurès, qui voit dans la colonisation une oeuvre de progrès, particulièrement grace à l'éducation

Oui, effectivement, mais cela complète la pensée de Ferry, ne trouvez-vous pas ? La France a toujours cette mission selon-lui.


Voyons, duc de Raguse, ne me dites pas que vous ne voyez pas que, chez Ferry, les préoccupations humanistes constituent un argument rhétorique ! J'avais pourtant essayé de bien choisir mes extraits ! :)
Bon, mais comme cela ne semble pas vous sauter aux yeux, peut-être la réponse de Clémenceau, le même jour, vous fera-t-elle entrevoir ce qui est ici en jeu :

Clémenceau a écrit :
Voilà, en propres termes, la thèse de M. Ferry et l'on voit le gouvernement français exerçant son droit sur les races inférieures en allant guerroyer contre elles et les convertissant de force aux bienfaits de la civilisation. Races supérieures ! Races inférieures ! C'est bientôt dit. Pour ma part, j'en rabats singulièrement depuis que j'ai vu des savants allemands démontrer scientifiquement que la France devait être vaincue dans la guerre franco-allemande, parce que le Français est d'une race inférieure à l'Allemand. Depuis ce temps, je l'avoue, j'y regarde à deux fois avant de me retourner vers un homme et vers une civilisation et de prononcer : homme ou civilisation inférieure !
[...]
Je ne comprends pas que nous n'ayons pas été unanimes ici à nous lever d'un seul bond pour protester violemment contre vos paroles. Non, il n'y a pas de droit des nations dites supérieures contre les nations inférieures. Il y a la lutte pour la vie qui est une nécessité fatale, qu'à mesure que nous nous élevons dans la civilisation nous devons contenir dans les limites de la justice et du droit. Mais n'essayons pas de revêtir la violence du nom hypocrite de civilisation. Ne parlons pas de droit, de devoir. La conquête que vous préconisez, c'est l'abus pur et simple de la force que donne la civilisation scientifique sur les civilisations rudimentaires pour s'approprier l'homme, le torturer, en extraire toute la force qui est en lui au profit du prétendu civilisateur. Ce n'est pas le droit, c'en est la négation. Parler à ce propos de civilisation, c'est joindre à la violence l'hypocrisie.


Vous voyez, Monte Cristo, si vous n'êtes pas au clair surles motivations des promoteurs de la politique coloniale, et surtout si vous y voyez a posteriori un humanisme sincère et messianique, sachez que ce ne fut pas le cas de tous les contemporains... :wink:

Auteur :  Narduccio [ 19 Fév 2008 20:43 ]
Sujet du message : 

Bergame a écrit :
Voyons, duc de Raguse, ne me dites pas que vous ne voyez pas que, chez Ferry, les préoccupations humanistes constituent un argument rhétorique ! J'avais pourtant essayé de bien choisir mes extraits ! :)


Voyons Bergame! à ce compte là on peut faire dire ce que l'on désire à qui l'on désire : pure réthorique.

Au fait ! Si vous abandonniez ce ton condescendant, ça ne serait pas mieux et surtout plus sain ?

Auteur :  Duc de Raguse [ 19 Fév 2008 21:13 ]
Sujet du message : 

Citer :
chez Ferry, les préoccupations humanistes constituent un argument rhétorique !

Oui et non : il me semble qu'au moment où il prononce ces mots il les pense.
Le concept de "race" n'est pas encore péjoratif à l'époque, ni teinté politiquement, il n'y a qu'à lire Gustave Le Bon pour s'en convaincre.

Citer :
peut-être la réponse de Clémenceau, le même jour, vous fera-t-elle entrevoir ce qui est ici en jeu

Je connais fort bien cet échange à la Chambre.
Clemenceau est un adversaire de Ferry et brigue sa place à ce moment, ne l'oublions pas : il n'y a pas que de l'idéologie derrière ces envolées lyriques, mais aussi un pragmatisme politicien.
Par ailleurs, il faut recontextualiser l'échange : Ferry souhaite étendre les possessions françaises au Tonkin - suivi par le jeune Jaurès d'ailleurs.
Clemenceau y est opposé fermement, justement à cause de la revanche face à l'Allemagne (on comprend bien mieux la pertinence de son exemple alors ! :wink: ) et de l'argent qu'il estime perdu dans l'entreprise tonkinoise.
Peut-être était-il convaincu de ce qu'il affirmait, mais je me demande alors pourquoi il n'a plus tenté par la suite de mettre fin au système colonial - tant décrié ici -, puisqu'il maîtrise la vie politique française de 1906 à 1920... :?

Auteur :  MonteCristo [ 19 Fév 2008 22:36 ]
Sujet du message : 

Duc de Raguse a écrit :
Je connais fort bien cet échange à la Chambre.
Clemenceau est un adversaire de Ferry et brigue sa place à ce moment, ne l'oublions pas : il n'y a pas que de l'idéologie derrière ces envolées lyriques, mais aussi un pragmatisme politicien.
Par ailleurs, il faut recontextualiser l'échange : Ferry souhaite étendre les possessions françaises au Tonkin - suivi par le jeune Jaurès d'ailleurs.
Clemenceau y est opposé fermement, justement à cause de la revanche face à l'Allemagne (on comprend bien mieux la pertinence de son exemple alors ! :wink: ) et de l'argent qu'il estime perdu dans l'entreprise tonkinoise.
Peut-être était-il convaincu de ce qu'il affirmait, mais je me demande alors pourquoi il n'a plus tenté par la suite de mettre fin au système colonial - tant décrié ici -, puisqu'il maîtrise la vie politique française de 1906 à 1920... :?


Vous m'avez encore une fois devancé Duc :wink: .

En effet lors de cet échange il me semble pertinent et crucial de souligner le contexte politique et les positions politiques des protagonistes!

Clémenceau partage ici le même point de vue que la droite royaliste française à la fin du XIXe siècle qui était unilatéralement opposée à la colonisation car vue comme un gaspillage d'argent alors qu'il fallait mieux se concentrer sur la revanche face à l'Allemagne après le déshonneur de 1870.

Dans ce cas-ci, je partage l'avis du Duc tant qu'à l'importance d'un pragmatisme politique certain.

Auteur :  Bergame [ 19 Fév 2008 23:00 ]
Sujet du message : 

Duc de Raguse a écrit :
Citer :
chez Ferry, les préoccupations humanistes constituent un argument rhétorique !

Oui et non : il me semble qu'au moment où il prononce ces mots il les pense.
Le concept de "race" n'est pas encore péjoratif à l'époque, ni teinté politiquement, il n'y a qu'à lire Gustave Le Bon pour s'en convaincre.


Allons ! Il n'en reste pas moins qu'établir une hiérarchie des races, et distinguer des races supérieures et des races inférieures au sein de l'espèce humaine, ne ressort pas véritablement d'une doctrine humaniste. Ai-je vraiment besoin d'argumenter sur ce point ?

Et pardonnez-moi, Narduccio, mais il me semble que pour ne pas voir que les arguments "humanistes" de Jules Ferry sont rhétoriques, il faudrait, ou être un peu de mauvaise foi, ou être ignorant de la vie politique française du XIXe s. Et duc de Raguse n'est sans doute ni l'un ni l'autre.
D'ailleurs, nous sommes bien d'accord que Ferry et Clémenceau sont d'abord des politiciens pragmatiques. Je partage donc tout à fait l'opinion de Duc de Raguse lorsqu'il précise les motivations de Clémenceau, dont le regard est d'abord dirigé vers l'Alsace-Lorraine. Chez lui aussi, les arguments "humanistes" sont rhétoriques.
Et duc de Raguse aurait d'ailleurs pu m'objecter également que Clémenceau se ralliera, lui aussi, à la politique coloniale. D'ailleurs, à part l'extrême-gauche, toute la classe politique française s'y ralliera peu à peu, même l'extrême-droite conservatrice (je pense à Barrès). Mais j'espère qu'on n'est pas naïf au point de croire que ce sont des arguments humanistes qui emporteront l'adhésion !

En fait, ce qui me semble important dans ce débat, c'est de commencer par reconnaitre le colonialisme pour ce qu'il fut. Affirmer que les tenants de la politique coloniale à l'époque étaient colonialistes par humanisme, j'espère quand même qu'on pourra en convenir, est difficilement soutenable.
Et non seulement, c'est difficilement soutenable historiquement (sauf dans le cas particulier de Jaurès peut-être), mais surtout, ce n'est certainement pas de nature à dépassionner l'histoire coloniale aujourd'hui. Clémenceau disait déjà que c'est ajouter l'hypocrisie à la violence, il me semble que c'est une parole que nous pourrions continuer à méditer.

Auteur :  Duc de Raguse [ 20 Fév 2008 0:08 ]
Sujet du message : 

Citer :
Allons ! Il n'en reste pas moins qu'établir une hiérarchie des races, et distinguer des races supérieures et des races inférieures au sein de l'espèce humaine, ne ressort pas véritablement d'une doctrine humaniste. Ai-je vraiment besoin d'argumenter sur ce point ?

Non, mais de nuancer : ce n'est pas la "race supérieure" définie par les théoriciens et "scientifiques" nazis dont on parle ici.
Le terme de race appliquée à l'espèce humaine avant 1945 - ou 1935, cela dépend où l'on se situe - ne concerne que les branches de cette dernière, afin de les distinguer, sans aucun a priori raciste.
Les scientifiques et sociologues français utilisent très souvent la notion de race dans leurs écrits, sans que cela soit discriminatoire à cette date.
Et Ferry fait de même, car c'est un homme de son temps et ce serait lui faire un très mauvais procès que de le faire passer pour un "raciste" alors que notre définition contemporaine du terme n'existe pas.

Citer :
mais il me semble que pour ne pas voir que les arguments "humanistes" de Jules Ferry sont rhétoriques, il faudrait, ou être un peu de mauvaise foi, ou être ignorant de la vie politique française du XIXe s.

Non, je ne le crois pas et je vous suggère, humblement, de vous plonger dans la lecture et l'appréhension de cette vie politique et vous seriez surpris des réponses que vous y trouverez. :wink:
Car beaucoup de clichés que l'on possède actuellement sur cette époque se trouveraient démentis rapidement.
Je reste persuadé que Ferry pense vraiment ce qu'il dit, ou alors ce serait en contradiction flagrante avec toute la politique qu'il mena ces années-là.

Citer :
Et duc de Raguse aurait d'ailleurs pu m'objecter également que Clémenceau se ralliera, lui aussi, à la politique coloniale.

Ce que j'ai fait : puisqu'étant aux affaires, il n'a jamais désavoué le régime colonial. Il a même fait "pacifier le Maroc ! :wink:
Clemenceau (sans é :wink: ) est un vieux renard de la politique et après s'être fait les dents sous l'Empire et la Commune, il était la personne politique en vogue en cette fin des années 1880. Si le scandale de Panama ne l'avait pas éclaboussé, il aurait formé un gouvernement avant 1906. Remarquez, il s'est bien "rétabli" des effets de ce scandale...

Citer :
D'ailleurs, à part l'extrême-gauche

Elle est elle-même très divisée sur la question de la colonisation. Si on parle de l'extrême-gauche parlementaire, c'est-à-dire les socialistes, ils ne s'entendent pas vraiment sur ce point.
Les "indépendants" comme Jaurès, Viviani ou Millerand composent en fonction du moment.
Les Guesdistes (ou "marxistes orthodoxes") suivent les préceptes de Engels et Marx et sont favorables à la colonisation, puisqu'elle permettra aux indigènes de s'industrialiser et de créer une bourgeoisie locale, une classe ouvrière naîtra, etc. Ils sont très opportunistes et calculateurs finalement... :wink:
Les Allemanistes, eux, sont farouchement opposés à la colonisation en laquelle ils voient une manifestation de l'impérialisme capitaliste.

Citer :
En fait, ce qui me semble important dans ce débat, c'est de commencer par reconnaitre le colonialisme pour ce qu'il fut.

Il me semble qu'il est inutile d'enfoncer des portes ouvertes pour déclamer haut et fort que la colonisation ne s'est pas réalisée par humanisme. Qui peut penser l'inverse ?
Mais, force est de constater que certains le pensaient à cette date - puisqu'on en parle - et c'est cela qui compte lorsqu'on étudie une période ancienne en Histoire : se placer dans l'environnement social de ses contemporains, tenter d'appréhender leurs perceptions, afin de mieux les éclairer, les comprendre.
Si, à chaque citation ou discussion, il faut obligatoirement ajouter un qualificatif péjoratif sur leurs propos ou leurs actes - issu de nos valeurs actuelles - on n'aura pas fait grand chose d'autre que de la conversation de comptoir. :roll:

Citer :
Clémenceau disait déjà que c'est ajouter l'hypocrisie à la violence, il me semble que c'est une parole que nous pourrions continuer à méditer.

Ma parole, vous auriez dû entrer dans les ordres Bergame ! :wink:
Ce n'est pas un forum de morale ici, mais d'Histoire.

En plus vous êtes partial dans votre démarche :
Citer :
Et non seulement, c'est difficilement soutenable historiquement (sauf dans le cas particulier de Jaurès peut-être)

Pourquoi ? Parce qu'il est socialiste ? Je rappelle simplement que lorsqu'il rédige son article sur l'éducation des indigènes, que vous citez plus haut, c'est un député "ferryste", qui soutient la politique d'implantation française au Tonkin et qu'il aurait pris le parti de Ferry dans son débat avec Clemenceau.
Voilà pour le cliché dont je faisais allusion plus haut ! :wink:

Message modéré, suite à l'ouverture du nouveau sujet. Duc de Raguse.

Auteur :  Bergame [ 22 Fév 2008 20:24 ]
Sujet du message : 

:) Je ne suis pas tout à fait d'accord avec cette présentation de mes propos.
Je suis d'accord pour dire qu'il n'est pas nécessaire de poser un jugement de valeur péjoratif sur les agissements des personnages historiques, mais poser un jugement de valeur positif ne me semble pas franchement plus profitable.
Et par ailleurs, j'aimerais bien être d'accord avec vous pour dire qu'il est inutile de clâmer haut et fort que la colonisation ne s'est pas réalisée par humanisme, mais il se trouve pourtant que c'est ce qu'affirme Monte-Cristo. Voila surtout ce à quoi je répondais, et je crois que nous étions d'accord là-dessus.
Et j'ajoute que l'intervention de Monte-Cristo venait après celle d'un autre intervenant qui, lui, tendait manifestement à montrer que la colonisation avait été au fond une sorte de partenariat gagnant-gagnant sur le modèle contractualiste. Je pense que si l'on veut parler de la politique coloniale, il ne faut pas avoir peur de dire les choses simplement et franchement, sans périphrases ni euphémismes. Cela n'empêche pas les nuances, bien entendu, et là comme ailleurs, rien n'est tout noir ou tout blanc. Mais l'humanisme colonisateur, la politique coloniale fille des Lumières, ça me semble tout de même outré -et je répète, j'ai bien noté que nous étions d'accord là-dessus.

Maintenant, est-ce que Ferry, au fond, était un humaniste, et ne développait-il des arguments économiques et politiques que pour mieux masquer son dessein profond, après tout pourquoi pas. Disons donc simplement que personnellement, je ne partage pas l'idée :wink:

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