Mouais.
Bon, je dirais pour ma part qu'il y a déjà quelque chose qui ressemble à un fait : Nietzsche se vend et se lit actuellement beaucoup. C'est sans doute le philosophe du moment, celui qui semble en phase avec l'époque. Du coup, Nietzsche est trituré, interprété, synthétisé, etc. et particulièrement au sein de la jeune génération. Personnellement, je dirais que Nietzsche est peut-être en train de devenir ce que Marx fut pour une (ou plusieurs) génération(s) précédente(s) : Le philosophe emblématique de la jeunesse révolutionnaire.
Car il y a quelque chose comme une révolution, chez Nietzsche. Mais une révolution de l'élite, une révolution cynique, une révolution contre la "moraline" par exemple, comme le dit alain.g. Nietzsche peut être décrit comme celui qui inspire les "révolutions conservatrices", hier (dans l'Allemagne des années 20-30) comme aujourd'hui. Dire cela, ce n'est pas dire que Nietzsche a influencé ou inspiré le régime nazi. On sait que Hitler lui-même aimait surtout Schopenhauer. On sait aussi toutefois que la soeur de Nietzsche etc. etc. tout le monde connaît cette histoire. On sait enfin que "Zarathoustra" a connu un immense succès d'édition dans les années 30-40 en Allemagne. Mais s'il est un peu déplacé de chercher un lien entre Nietzsche et Hitler -c'est déplacé aujourd'hui, d'ailleurs, mais la génération des Allemands d'après-guerre ne s'est pas gênée pour clouer Nietzsche au pilori- en revanche, il y a un lien clair et assumé avec toute la génération des intellectuels de droite radicale et/ou conservatrice des années 20, Jünger, Schmitt, Heidegger, etc. etc.
Et pourtant, lorsqu'on lit Nietzsche, et lorsqu'on tente au moins de le lire sérieusement, on ne peut que noter une chose : Sa pensée est effroyablement complexe. Elle est surtout complexe en ce sens très particulier : Elle est constamment autocontradictoire. Ce qui est formidable avec Nietzsche, c'est que vous pouvez isoler un aphorisme dans son oeuvre, vous en trouverez toujours un autre qui dit exactement le contraire. Et ce n'est pas là une entrave à son succès, bien au contraire : Chacun trouve chez Nietzsche exactement ce qu'il veut y trouver. La droite radicale d'aujourd'hui s'en nourrit tout aussi bien que ne le faisaient hier les penseurs de Mai 68, Deleuze, Foucault, Lyotard et cie. Et le pire, c'est que cette autocontradiction permanente, Nietzsche l'assume parfaitement, c'est ce qu'il veut, c'est le chemin qu'il suit, et il le dit. Et il prédit même quel effet elle aura sur les foules. Et il dit même qu'il s'en fiche, et que tout ce qui lui importe, c'est de trouver des hommes qui savent lire. Il se moque à l'avance de tous ceux qui tomberont dans les pièges dont il a parsemé son oeuvre. Il se moque même de la fatuité du nietzschéen qui prétend avoir mieux lu Nietzsche que les autres -la mienne à l'instant. Bah ! Nietzsche, c'est Nietzsche, un génie, et nous ne sommes que des hommes.
Le problème n'est donc pas Nietzsche, ni ce qu'il écrit, ni même ce qu'il a véritablement voulu dire, mais ce que son succès actuel signifie. Et ce que j'ai envie de conclure, c'est qu'à mon sens, ça ne nous promet pas des lendemains qui chantent. Non, Nietzsche n'a pas été dépassé, mais c'est parce qu'il est une impasse.
_________________ ...que vont charmant masques et bergamasques...
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