Le retour d'une monarchie en France, même "à l'anglaise", paraît peu probable pour le moment...
Je m'en tiendrai dans ce débat à la perspective d'une république (pouvant donc être monarchique comme l'est il me semble l'Australie, non?).
Voici un avis quant à nos institutions actuelles paru dans le Figaro de ce jour:
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CHRONIQUE En marge des projets d'instauration d'une VIe République
Quand la France baisse les bras
PAR ALAIN-GÉRARD SLAMA
[30 août 2004]
Une société n'existe que par son projet. Y a-t-il place encore en France pour un projet? Ce projet existe, pourtant. Ou plutôt existait. C'est celui qui, né avec les Lumières, a fixé à la république pour objectif de concilier la liberté individuelle, considérée comme une valeur ontologique, avec les solidarités nécessaires. Les premiers penseurs et acteurs de ce projet ont posé dans ce but un certain nombre de principes: volonté générale, égalité devant la loi, laïcité, séparation des ordres et des pouvoirs, distinction entre espace public et sphère privée, etc. C'était un objectif immense, pour plusieurs siècles. Devant cette seule idée, il semble que le pays ait baissé les bras. Le moindre obstacle, la moindre difficulté incitent à proclamer son échec, et à y renoncer.
C'est vrai dans le domaine de la laïcité, qui cède de plus en plus de terrain devant la montée des intérêts communautaires. Et vrai encore en matière d'institutions, où la gauche, non contente d'avoir arraché à la droite la réforme du quinquennat, repart en guerre pour mettre en place une VIe République. C'est, dira-t-on, la revanche des vaincus de De Gaulle, tel Jack Lang, qui combattit la Constitution de 1958 au côté de Pierre Mendès France. L'ancien ministre de la Culture, inspiré des modèles américain pour l'exécutif et suédois pour le législatif, se défend de plaider pour un retour à la IVe (1). Ce n'est pas le cas, au sein du PS, des amis de M. Montebourg, qui remettent spontanément leurs pas dans ceux de leurs aînés par défaut de mémoire.
La sincérité de ces projets de réforme n'est pas en cause. Certains s'inspirent des thèses de juristes aussi illustres que désintéressés, convaincus de détenir la martingale qui résoudra enfin tous les problèmes (2). Il n'en reste pas moins que, dans tous les cas, le rejet en bloc du projet initial reflète, au mieux, un profond découragement devant la possibilité pour le politique d'agir sur le cours de l'histoire. Ce serait une erreur de croire y reconnaître une résurgence de la passion révolutionnaire de la table rase. Il s'agit, bien plutôt, d'adapter une offre institutionnelle à une demande. Et en l'occurrence, cette demande est celle des communautés, des mouvements sociaux et des partis de gauche, associés dans un même rejet des institutions mises en place par le fondateur de la Ve République.
En 1958, de Gaulle avait espéré sortir la France de l'instabilité en asseyant des institutions pour plusieurs décennies. Certes, il ne se faisait guère d'illusions. Il disait volontiers, en tirant sur ses bretelles, qu'une Constitution doit être «élastique». Il a attendu 1962 pour lui donner un visage définitif en soumettant au référendum l'élection du président de la République au suffrage universel. D'autres réformes capitales ont pu intervenir depuis, comme l'extension de la saisine du Conseil constitutionnel et le quinquennat, qui n'entraient pas, à l'origine, dans ses projets.
Sans doute de Gaulle n'avait-il pas prévu la tendance à la bipolarisation qui a été le principal résultat de la combinaison de l'élection présidentielle avec le scrutin majoritaire à deux tours. Mais son objectif prioritaire a été atteint: il s'agissait, dans la conjoncture de l'époque, de tirer la leçon des échecs de la politique des partis sous les deux précédentes républiques en garantissant les capacités de décision et d'action de l'exécutif. A plus long terme, les pères de la Constitution de 1958 ont réalisé, par volonté et par hasard, le premier compromis réussi entre la culture légitimiste des Français et leur tempérament individualiste. La mise en œuvre de ce texte a démontré la solidité d'une synthèse qui a permis aux citoyens de résister à leur pente historique, qui est la double tentation du nationalisme et du repli sur soi.
Il est vrai que ces deux tentations, nationaliste et narcissique, refont surface aujourd'hui. Mais leur remontée est loin d'être imputable aux institutions. Elle s'explique au contraire par leur dévoiement. Quand l'individualisme propre au tempérament national conduit les citoyens à se rebeller contre la volonté générale, ce n'est pas, comme on le répète à l'envi, en raison du déclin supposé du principe d'autorité, présenté un peu vite comme un des traits distinctifs de notre modernité. C'est le détournement de la volonté générale, telle qu'elle s'est exprimée dans le vote, qui fait descendre le peuple dans la rue. De Gaulle en a fait le juste et génial diagnostic, en reconnaissant le défaut fondamental de la cuirasse dans le fait que les majorités électorales ont été systématiquement remplacées, sous la IIIe et la IVe République, par des majorités gouvernementales combinées par les partis.
Loin d'être obsolète, cette analyse pourrait être étendue à l'ensemble des autres institutions, scolaire, judiciaire, médicale, dont on signale la crise d'autorité, pour la déplorer ou pour s'en réjouir (3). Dans tous les cas, le rétablissement de la légitimité d'une institution passe par son recentrage sur ses fins. En matière politique, le vrai problème aujourd'hui n'est pas l'excès des pouvoirs du président de la République par rapport à son premier ministre, depuis la mise en place du quinquennat, bien au contraire: dans la logique de la Ve République, à un premier ministre faible correspond inévitablement un président faible, et aucun des deux ne peut espérer étendre son autorité au détriment de l'autre. La crise a une tout autre cause, qui est une crise de confiance réciproque entre le pouvoir et les citoyens: les citoyens n'ont pas confiance dans le pouvoir, parce qu'ils ont l'impression que le pouvoir se défie d'eux, en n'étant plus accessible qu'au discours des minorités les plus actives.
Peu de peuples cultivent, autant que les Français, le respect de la règle majoritaire: après l'élection présidentielle de 1981, la victoire de François Mitterrand a eu beau ne tenir qu'à un fil, cela n'a pas empêché ce dernier de mettre en œuvre, jusqu'en 1983, un programme de rupture devant lequel l'opposition a dû s'incliner. Vingt et un ans plus tard, la réélection de Jacques Chirac à l'Elysée a eu beau être arrachée à la suite de la victoire de Jean-Marie Le Pen sur Lionel Jospin au premier tour, la légitimité conférée par cette élection s'est répercutée sur les législatives qui ont suivi. Aucun autre régime n'aurait pu résister à un tel choc de façon aussi efficace.
C'est aujourd'hui, malgré les efforts méritoires du gouvernement, le sentiment d'un brouillage des termes du mandat issu du vote qui favorise l'abstentionnisme et fait obstacle aux réformes. Comment en irait-il autrement quand il apparaît que la laïcité est chaque jour un peu plus sacrifiée aux intérêts communautaires et aux pressions de l'intolérance, quand l'égalité devant la loi cède le pas à une rhétorique de «l'équité», avec la mise en place de discriminations positives, et quand le principe de responsabilité est dissous, à la base, dans l'abus des mesures préventives de l'Etat providence et, au sommet, dans les prudences de la gouvernance qui réintroduit au cœur de l'Etat les poisons et délices des combinaisons partisanes sans les partis?
(1) Jack Lang, Un nouveau régime politique pour la France, éditions Odile Jacob.
(2) Olivier Duhamel, Vive la VIe République! Seuil, 2002.
(3) Alain Renaut, La Fin de l'autorité, Flammarion.