Aigle a écrit :
Merci cher Pierma d avoir ouvert ce débat et merci à ceux qui l'alimentent brillamment (en particulier vous Thierry M).
Je me bornerais à quelques pistes interprétatives complémentaires et secondaires...
La plus importante est que en nos jours il n existe plus beaucoup d intellectuels ou de militants marxistes et souvent ceux qui le sont se situent dans la mouvance trotskiste. Ils adhèrent donc aux deux thèses de Trotsky : Trotsky est le véritable héritier de Lénine qui est lui-même le véritable interprète de Marx. Dès lors ces intellectuels ont du mal à séparer et encore plus à opposer Marx et marxisme-léninisme ...
Quand aux marxistes non léninistes, il y en a eu. Par exemple à la SFIO...mais en fait avec le temps ils se sont dilués dans les idées républicaines libérales (droits des l'homme, démocratie libérale...) et ont peu à peu renoncé de facto à la Révolution ou à la lutte des classes...
De sorte qu aujourd hui le débat devient difficile vu le faible nombre de penseurs et de militants qui s'intéressent à Marx...et quand ils s y intéressent c'est souvent via la vision trotskiste...le prisme stalinien maoïste ou brejenvien étant trop manifestement discrédité pour attirer qui que ce soit ...
Je constate que je ne suis pas capable de citer un grand penseur marxiste contemporain, comme je pourrais citer, en économie, Keynes, Friedman, Hayek etc. En revanche, ce que je constate également, c'est que chacun des économistes "célèbres", du moins plutôt connus, il est possible d'associer un épisode de concrétisation pratique de leur théorie. Donc, il semble que l'on connaisse surtout les économistes dont la théorie a été mise en œuvre (et la célébrité de Marx me semble aussi largement dû à la révolution de 1917 ; avant cela, le marxisme est quand même en compétition/rivalité avec pas mal d'autres théories socialistes ou de gauche). Du coup, si je ne connais pas d'économiste/philosophe marxiste actuel, est-ce parce qu'il n'y en a pas ou parce que leur théorie n'a connu, à ce jour, aucune mise en œuvre, je suis incapable de le dire.
Ensuite, je suis d'accord, il n'y a que l'épaisseur d'un papier de cigarette entre Lénine et Trotsky. Il est plus intéressants, pour les penseurs marxistes, de se tourner vers Luxemburg, dont, parmi les principaux axes, figurent, d'une part, la révolution par les masses (par opposition à la révolution par l'avant-garde éclairée, déjà évoquée par Marx et que Lénine porte à son comble avec le parti unique) et, d'autre part, la liberté de conscience, c'est-à-dire qu'en fait elle abandonne l'aspect économique (et donc scientifique) du marxisme pour n'en faire qu'une philosophie.
Et pour revenir sur l'absence de penseurs marxistes contemporains, je pense que l'une des difficultés est que l'un des aspects scientifiques du marxisme, à savoir qu'à terme le capitalisme s'effondre de lui-même reste à vérifier. Certes, il a connu de sacrées crises et il est peut-être passé pas très loin de l'effondrement total. Mais, à ce jour, il a toujours réussi à revenir. Alors, je ne dis pas que, du coup, le capitalisme serait éternel et indépassable ; ce que je dis, c'est que la résilience avérée du capitalisme bat en brèche la prédiction marxiste de son effondrement, sauf à se placer dans une perspective de très long termee (mais, comme le disait Keynes, "Le long terme est un mauvais guide pour les affaires courantes. A long terme nous serons tous morts. Les économistes se fixent une tâche (...) peu utile s'ils peuvent seulement nous dire que lorsque l'orage sera passé, l'océan sera plat à nouveau" ; et ce qui vaut pour le libéralisme vaut largement pour le marxisme).