Roméo a écrit :
Voyez l'exemple des pays communistes.
A cuba Fidel castro dispose d'une fortune de plusieurs milliards de $ pendant que le peuple vit dans la misère.
Il s'agit là d'un exemple effectivement frappant de dictature. Mais qu'il s'agisse de dictature "socialiste" ou de dictature 'libérale" comme celle de Pinochet -je me permets l'oxymoron au regard, comme chacun sait, des orientations socio-économiques du général- ne change pas grand-chose à la fortune de ses dirigeants.
Tonnerre, vous mettez bien le doigt sur ce qui m'apparaît, personnellement, le problème n°1, à savoir que "libéralisme" est devenu une sorte d'écran de fumée qui recouvre des théories extrèmement différentes et même, parfois, étonnament opposées dans leurs conséquences doctrinaires. A cet égard, je propose cette explication que j'assume comme étant la mienne : Dans les 25 dernières années, une vague d'intellectuels se réclamant du libéralisme se sont lancés dans une prodigieuse opération de réinterprétation des grands auteurs canoniques de la pensée occidentale. Ils y sont tous passé : Aristote, Descartes, Montesquieu, Locke, Hume, bien sûr, mais également les allemands, Kant, Weber, même Spinoza, le théoricien du holisme absolu s'il en est, même Nietzsche, qui n'a pas de mots assez durs pour tout ce qui ressemble de près ou de loin au type du "marchand", qu'on a pourtant réussi à rapprocher de l'anarcho-capitalisme parce qu'il critique également l'Etat, même Hegel ! pourtant théoricien de l'idéalisme et de l'esprit objectif, parce qu'il a affirmé que l'Etat était "le plus froid des monstres froids" -ce qui était plutôt une caractérisation positive pour lui, mais peu importe -et même, au final, Marx, dont un certain nombre de commentateurs anglo-saxons ont réussi à nous montrer qu'il était un tenant de l'individualisme méthodologique avant l'heure, autant dire un précurseur de Hayek.
La pensée occidentale est libérale, voila ce qu'on s'est acharné à nous démontrer pendant 25 ans.
Alors évidemment, aujourd'hui, le libéralisme, c'est tout et n'importe quoi. C'est aussi bien un Nozick ou un D. Friedman, qui n'hésitent pas à se réclamer de Rawls, càd, en amont, de Kant, alors qu'ils prônent une forme d'anarchie -essayons d'imaginer Kant en anarchiste !- un peu de la manière dont Edwards présente les choses dans ce topic, d'ailleurs, je ne sais si c'est volontaire : Certes, les politiques de redistribution doivent tendre vers 0, ce qui contribue, selon des mécanismes qu'on peut détailler, à l'inégalité
et donc à l'enrichissement de quelques uns au détriment du grand nombre,
mais ces quelques-uns sont des êtres moraux à qui l'Impératif Catégorique (voila Kant) intime de rendre une part de leur fortune aux couches les plus défavorisées. Notons d'ailleurs qu'il existe des versions plus cyniques de l'anarcho-capitalisme qui escamotent l'élément moral et le remplacent par des forces de sécurité (privées, bien entendu) destinées à protéger la fortune des nécessiteux qui menaceraient de passer à l'acte.
Donc, le "libéralisme", aujourd'hui, c'est aussi bien cela, que par exemple, Rawls et sa théorie de la justice, ou Amartya Sen, dont les travaux ont directement inspiré la création de l'IDH (Indice de Développement Humain) qui est, pour compléter l'échange entre Roméo et Plantin-Moretus, l'indice utilisé par le Programme de Développement des Nations Unies pour évaluer de manière comparative les conditions de vie des individus dans le monde. On est aux antipodes !
Et autant le dire, cet aspect nébuleux du "libéralisme" est très pratique, pour ceux qui s'en réclament. Parce que lorsqu'on critique un aspect de la doctrine "libérale", par exemple, ses éléments les plus ouvertement cyniques ou anarchistes, ou tout simplement, en effet, son inégalitarisme, hé bien il est toujours possible de présenter un autre auteur, reconnu également comme "libéral", mais qui lui est beaucoup plus acceptable. De fait, il est acceptable parce qu'il dit tout le contraire. C'est ce que Socrate, lorsqu'il s'adresse aux sophistes, appelle "faire le Protée", se métamorphoser, passer d'une position à une autre afin de dérouter la critique.
Or, un autre penseur libéral, du nom de Karl Popper, nous a bien enseigné que le propre de l'idéologie était de se rendre hermétique à la critique. C'est cet aspect nébuleux lui-même qui commande donc, à mon sens, d'appréhender le "libéralisme" comme une idéologie, étape n°1 pour essayer d'y voir clair.