J'ai relu attentivement l'article du professor Amy Livingstone que Foulque a eu la bonne idée d'insérer dans son intervention.
C'est un article tout à fait passionnant, mais, qui soulève un certain nombre d'interrogations.
Je précise tout de suite ne pas être très pointu sur le sujet, aussi, mes remarques vaudront sûrement quelques réponses de la part des passionés les plus savants !
D'abord, je suis un peu surpris de la construction intellectuelle même de l'article. En effet, il est entièrement basé sur une opposition aux propositions de G. Duby sur le statut des femmes au Moyen Age, et plus particulièrement dans sa partie centrale.
L'auteur se réfère au livre du maître
Mâle Moyen Age, de l'amour et autres essais, recueil d'essais publiés, dans le cas qui intéresse A. Livingstone, en 1967, 1970, 1976, 1980, 1983 et 1986. Elle se réfère également à sa thèse, parue en 1971 (peut-être plus tôt, je n'ai pas d'autre mentions), mais insiste pour l'essentiel sur le premier.
Déjà un petit problème de méthode se pose.
Depuis la parution de ce livre (1988), Georges Duby a continué ses recherches sur le statut et l'image de la femme au Moyen Age, et nombre des contestations que lui oppose Amy Livingstone étaient déjà insérées dans la trilogie
Dames du XIIè siècle (1995). Pour mémoire, son article à elle date de 1998.
Or, tout se passe comme si elle n'avait pas lu cette trilogie !
Je fais une petite digression, qu'une chercheuse du CNRS en anthropologie historique nous avait confié sans rougir : dans la recherche, on hérite du travail des maîtres, mais on doit aussi quelque part "tuer le père" !
Autrement dit, il est souvent admis implicitement ou pas d'ailleurs, de remettre en cause (de préférence après sa mort) l'apport d'un grand maître à penser...let les raisons ne sont pas toujours purement scientifiques !
Ceci pour dire que la méthode employée par Amy Livingstone, à première vue, relève aussi d'une entreprise de déconstruction, et quand même avec une petite dose de mauvaise foi!
Elle n'a du reste pas beaucoup publié depuis cet article, ni article ni ouvrage depuis 8 ans :
Voir son C.V. ici :
http://www4.wittenberg.edu/academics/hi ... index.html
Il apparaît que ses études portent essentiellement sur le pays Chartain, ce qui est assez circonscrit, et donc les conclusions ne peuvent s'étendre à tout un royaume,
a fortiori à l'Occident chrétien.
Donc, prudence...sur la méthode et les conclusions.
Alors maintenant passons au contenu !
La première partie de l'article est un "résumé" des thèses de Duby, prises dans son ouvrage "Mâle Moyen Age".
Elle commence au préalable par souligner le fait que "
nous avons dégagé une autre vision des femmes dans le monde médiéval ; une vision qui insiste sur le pouvoir et la participation féminine"
Voyons voir !
Les assertions basées sur les sources, parfois identiques à celles de Duby (les chartes), mais utilisées différemment, manquent de clarté parfois, ou bien sont à la limite de l'interprétation :
Sur le contrôle du patrimoine :
Elle dit : "
(...) même les filles issues de familles comptant de nombreux fils pouvaient espérer une part, ou du moins un droit sur le patrimoine familial. L'absence de leur consentement ou de celui de leur mari faisait courir le risque de futures contestations"
"Espérer" une part et non pas "avoir" effectivement une part ! C'est très différent. L'auteur aurait dû mentionner une satistique, ici, capitale pour sa démonstration !
Le rôle du mari n'est quand même pas occulté. Car Il aurait aussi fallu que l'auteur nous dise somment s'obtenait le consentement d'une épouse...Un consentement peut être tout à fait formel...
Petite précision au passage : L'auteur se base sur les donations mentionnées dans les cartulaires de l'abbaye de Marmoutier où pour 1/3 des transactions ce sont des femmes les donatrices, témoins ou apportant consentement. (le détail aurait été intéressant, car ces 3 actes ne se valent pas )
Or cette abbaye est connue pour son immense richesse, sa connaissance de la médecine également, et recevait des quantités de dons de toute sorte. Il n'est donc absolument pas étonnant de voir des femmes de l'aristocratie doter cette abbaye, pratique du reste continue avec celle du haut Moyen Age.
Plus loin, l'auteur dit que si des fmmes contestaient un bien légué aux moines, ceux-ci acceptaient de leur "[octroyer] un contre-don en échange de leur
renonciation"
Renonciation et non restitution...LE contre-don était-il à la mesure du don initial? On aurait aimé des précisions, faute de quoi, cela apporte peu.
Elle précise tout de même que : "si les filles de l'aristocratie n'obtenaient pas une part d'héritage
égale à celle de leurs frères, du moins pouvaient-elles
espérer une part du patrimoine"
A. Livingstone reconnaît l'infériorité de la femme dans la part successorale, réduite à une espérance de miettes patrimoniales. Sa place n'est pas si évidente que cela ...
Ce qu'elle dit sur la lignée maternelle et les stratégies matrimoniales qui procédent de cette structure lignagère est vrai, mais n'est pas excessivement novateur. On le savait déjà avant 1998 !
Sur le pouvoir des femmes aristocratiques:
Déjà le terme
domina que A. Livingstone semble découvrir, les historiens, dont Duby, le connaissaient déjà! On le traduit généralement par Dame, sont le statu renvoie à l
'épouse du seigneur du château (dominus).
Il s'étend ensuite, au cours du XIIIè siècle aux autres catégories sociales, et perd sa spécificité aristocratique.
Georges Duby cite plusieurs exemples de ces
dominae, dans le 2è volume de son
Dames du XIIè siècle, p 205 sq...
Ce sont des exemples pris dans la famille des comtes de Guînes.
"La haute qualité de leur sang et la puissance de leur parenté dotaient Emma et Gertrude d'un ascendant certain sur leurs conjoints et sur les hommes de la maison où elles étaient entrées"
" Le comte, devant les témoins rassemblés, approuve solennellement la donation. Sa femme est à ses côtés. Ils sont tous deux, dit la charte "assis sur leur lit". Ainsi se montrent les époux, publiquement, installés sur le même siège, la
domina au même rang que le
dominus et semblant participer à l'autorité qu'il détient.
Cette image en suggère une autre, (...), le Christ couronnant sa mère, l'associant à son pouvoir (...)
Pour Lambert [un chroniqueur], Emma et le comte
formaient une communauté d'égaux. Ils étaient associés,
consortes, au matériel et au spirituel (...)"
C'est on-ne-peut-plus clair non ?
Sur les cas des femmes patrons de monastères, ou les veuves, qui n'étaient pas " automatiquement soumises à la domination d'un patriarche ou d'une lignée masculine" G. Duby le dit également.
Il n'y a pas d'opposition forte entre ce que A. Livingstone dit et les deniers livres (inachevés...) de Duby à ce sujet...
Il y a d'autres remarques, notamment sur les veuves, mais ...
je pousuis demain...il se fait tard !