Je poursuis donc quelques commentaires de l'article de Amy Livingstone.
Je continue à m'interroger...Elle insiste pour faire de G. Duby un historien qui aurait vu tout en noir la condition des femmes aristocratiques, notamment aux XIè et XIIè siècles. Par exemple, au sujet des veuves :
" Selon G. Duby, cependant, la patrilignage assurait le maintien des veuves sous la domination de leurs parents masculins. Des recherches récentes ont toutefois sapé cete assertion".
Bien sûr...Mais c'est ignorer volontairement les derniers travaux de Duby, qui restèrent inachevés, emporté qu'il fur par la maladie le 3 décembre 1996.
Tout ce le professeur Livingstone déclare à ce sujet n'est pas novateur. On peut en lire les mêmes approches à peu près dans
Dames du XIIè siècle., ouvrage antérieur à cet article de 2 ans...
Voici un extrait du livre de Duby cité au-dessus (tome 2, pp 220-221) : " L
eur époux décédé, mûres, ces femmes ne siégeaient plus dans la chambre, sur le lit, elles régnaient dans la salle, et l'on s'accoutumait, à la fin du XIIè, à voir les vassaux s'agenouiller devant elles les maints jointes, les plaideurs écouter leurs sentences (...). Qu'il [le pouvoir d'Etat] passât dans les mains féminines n'apparaissait plus aussi scandaleux (...). ET ces veuves se montraient d'autant plus fortes qu'elles pouvaient s'appuyer sur leurs garçons, sur l'affection très vive et chaude de ces fils qu'on leur avait arrachées dans leur prime enfance, sur celle des cadets surtout qu'lles préféraient souvent à l'aîné. Elles accédaient alors pleinement à la puissance consentie à la féminité "
Dans le
Dictionnaire du Moyen Age (sous la direction de Cl. Gauvard, A. de Libera et M. Zink),2002, à l'article "Femme", s'appuyant sur des historiennes comme C. Klapisch-Zuber par exemple, l'auteur, Anita Guerreau-Jalabert décrit le sort médiéval des femmes peu ou prou comme les travaux de Duby les avaient faites apparaître.
"
L'Occident médiéval est incontestablement marqué par une domination sociale des hommes sur les femmes, qui s'exprime dans les normes comme dans les pratiques.
Ainsi, dans tous les milieux, ce sont les hommes qui exercent largement les pouvoirs de domination, de décision, d'organisation"
Mais, en fin d'article, elle précise :
"L'évolution des structures de parenté fait que le système de filiation cognatique et le modèle chrétien du mariage aboutissent à une amélioration de la position de la femme dans le couple et la famille. Dans toutes les couches de la société, on voit des femmes jouer un rôle social non négligeable : dotées par leur père et leur époux, elles sont détentrices de seigneuries, actives dans le monde rural comme dans celui, plus urbain, du commerce et de l'artisanat. Elles apparaîssent comme chefs de famille lors de l'absence de l'époux et plus encore lorsqu'elles sont veuves ; or ces deux cas sont fréquents (...)
Le tableau est donc contrasté ; toutefois, l'on ne peut sans doute nier que la société médiévale, dominée par les hommes, mais structurée par le christianisme, ait concédé aux femmes une position plus favorable que bien d'autres sociétés"
On peut lire également, le livre d'Eliane Viennot,
La France, les femmes et le pouvoir. L'invention de la loi salique, Vè siècle - XVIè sicèle
P108 : "ALors qu'elle disposait autrefois des biens mobiliers ou immobiliers accordés à cette occasion [mariage] en toute propriété, elle n'en jouit plus qu' en usufruit. Ils passeront obligatoirement à ses héritiés après son décés".
Mais elle nuance ce tableau en rappelant que l'épouse du seigneur est bien le n°2, et deviens le n°1 quand le mari est absent ou mort!
Et si la pression subie par les femmes, dans la "chasse à l'héritière" est forte (pas de place aux sentiments!), si'il y a encore des rapts, le consentement de la femme devient de plus en plus nécessaire.
P112 (citant Duby): "plus l'épouse détient une position supérieure à celle de son époux, plus est associée au pouvoir"
Tout ceci permet d'avoir une vision plus nuancée du statut social des femmes pendant cette période.
Pas d'angélisme béat au nom d'un combat féministe anachronique, et pas de vision manichéenne et machiste non plus, bien que la proportion des dominants pèse davantage sur le genre masculin.
Pour compléter le tableau, il faudrait mettre en rapport l'essor du culte marial avec une certaine promotion de la femme. Et un phénomène nouveau, brillament mis en lumière par André Vauchez, la canonisation plus ou moins longue d' une certaine expérience mystique féminine qui vit l'émergence, et le rôle politique de certaines figures exceptionnelles telles que Marie Robine, Catherine de Sienne, Brigitte de Suède, Claire d'Assise, Marguerite de Hongrie, Claire de Montefalco, Marie d'Oignies etc...
Mais c'est un peu long à développer...