Nous sommes actuellement le 01 Mai 2024 10:16

Le fuseau horaire est UTC+1 heure




Publier un nouveau sujet Répondre au sujet  [ 9 message(s) ] 
Auteur Message
Message Publié : 11 Août 2008 16:46 
Hors-ligne
Salluste
Salluste
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 02 Juil 2006 20:33
Message(s) : 230
Localisation : Nalanda Monastery, France
L'histoire des psychédéliques (San Pedro, Peyolt, Ayahuasca) dans les rituels religieux.

Pardonnez-moi d'introduire la chose plutôt du côté socio-ethnologique, c'est que je suis un mauvais en Histoire... cela dit, j'espère que mon intro permettra d'embrayer sur les aspects plus historiques (plus "hirozontaux" comme on dit) :

En pays européens, la démarche hallucinée est incomprise, on n'en comprend pas les signes, elle se dessine en marge de la société qui a voulu se quadriller comme une feuille selon les lignes de la raison. Les pas et les tribulations du "voyageur" sont des signes étranges et étrangers, il « ne font pas sens ». A l’instar de la démarche titubante de l’homme ivre, on l’accuse. Celui qui consomme, en Europe, va dans un « ailleurs » insignifiant et il demeure sans jalons, perdu, sans savoir ni ce que son itinéraire veut dire, ni s'il va revenir. Tout ce qu’on retient de cet « ailleurs » c’est qu’il s’offre comme une alternative à l’existence, comme un moyen dissociatif, un dérivatif. C’est « à la dérive » que l’on va, lorsqu’on veut fuir la dure réalité qui se présente.


En Bolivie, en revanche, cet « ailleurs » transcendant est compris dans une optique religieuse. Alors que l’européen parlait du « cactus hallucinogène », l’indien parle du « cactus sacré des chamans ». Cet « ailleurs » auquel le voyageur se donne est un lieu sacré : il s’agit du monde des esprits, des créatures surnaturelles et des déités. C’est avec de telles êtres que l’on communie en état de « flip » - le cactus sacré des chamans ouvre les portes de cet en-deçà.

Le voyage, le "trip" est suivi, jalonné, encadré, accompagné et il s'inscrit dans une démarche initiatique et religieuse. Ce n’est donc pas en marge de la société qu’il s’inscrit. Au contraire, il trouve sa place et son sens dans le système social en tant que moyen cohésif et structurant, il figure un « baptême » et marque le passage à l’âge « adulte ». A ce propos, l’ethnologue Michel Perrin disait « chez les indiens la drogue structure, chez nous elle détruit ».
Comme le « trip » est signifiant, chaque pas acquiert une signification particulière, il est chargé de sens, il est parlant : un pas dans le désert, c'est une lettre sur une feuille blanche. La société indienne dispose même d'un vocabulaire et d'un certain nombre de signes pour traduire le périple, là ou pourtant les mots n'ont plus cours[...] Bref, l'usage du cactus est codifié.


Il y a, comme disait Michel de Certeau "une énonciation piétonnière" : le marcheur s'inscrit dans l'existence, sa démarche a du sens, il "énonce" quelque chose, son itinéraire est parlant, il occupe significativement l'espace comme on occupe une feuille blanche. Mais cet espace qu'il occupe est un ailleurs transcendant et signifiant, il s'agit d'un autre monde, celui des créatures merveilleuses et des forces naturelles personnifiées (les Pülasü). Si une telle mythologie se présente à l’indien, une autre se présente à l’européen. C’est la raison pour laquelle Michel Perrin soulignait le côté profondément culturel du voyage. Peut-être la psychologie et la chimie se disputent-elles au culturel, en tous les cas, il est important de ne pas laisser la culture de côté. Le sort du voyageur ne relève pas de sa seule psychologie ou de sa seule constitution singulière.

_________________
« Suffering also has its worth. Through sorrow, pride is driven out, and pity felt for those who wander in samsara; Evil is avoided, goodness seems delightful. »

Shantideva


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 11 Août 2008 18:01 
Hors-ligne
Tite-Live
Tite-Live
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 14 Déc 2007 13:07
Message(s) : 333
Vincent S. a écrit :
[i][color=#000080]En pays européens, la démarche hallucinée est incomprise, on n'en comprend pas les signes, elle se dessine en marge de la société qui a voulu se quadriller comme une feuille selon les lignes de la raison. Les pas et les tribulations du "voyageur" sont des signes étranges et étrangers, il « ne font pas sens ». A l’instar de la démarche titubante de l’homme ivre, on l’accuse. Celui qui consomme, en Europe, va dans un « ailleurs » insignifiant et il demeure sans jalons, perdu, sans savoir ni ce que son itinéraire veut dire, ni s'il va revenir. Tout ce qu’on retient de cet « ailleurs » c’est qu’il s’offre comme une alternative à l’existence, comme un moyen dissociatif, un dérivatif. C’est « à la dérive » que l’on va, lorsqu’on veut fuir la dure réalité qui se présente.


L'occident a aussi parfois vu ces pratiques comme une forme de transcendance quasi-religieuse (cf. Psychédélisme US des années 60 puis 70). En outre, mais je ne suis pas spécialiste de la question, je suis sûr qu'il existe au fil de l'histoire de l'occident de nombreuses sectes ou rituels qui visent -via l'ingestion de substances- à atteindre des experiences sensorielles transcendentales (ici, peut être qu'un spécialiste pourra nous éclairer). Enfin, si on ne considère pas l'ingestion des substances comme centrale dans la recherche de la transcendance, l'ascèse -je crois- peut aussi mener à des états similaires (cf. Moyen Age, même si j'ai conscience du flou de cet exemple).

Enfin, la pensée occidentale et certains grands penseurs actuels sont aussi marqué par ces pratiques (au moins par diffusion - référence à votre autre sujet) => cf. Michel Foucault qui marqua profondément la pensée de la fin du XXème Siècle.

Il est vrai du reste, même si vous semblez assez radical, que notre monde a du mal (au moins à l'échelle de l'ensemble de la société) à assimiler ces pratiques qui lui sont souvent assez éloignées (relativiser la toute puissance de nos systèmes de représentation n'est jamais facile). Sur ce thème de l'incapacité de l'occident à saisir le coeur de ces pratiques, je trouve que le film "Las vegas parano" est vraiment parlant: le narrateur y parle du "mensonge fondamental de la culture psychédélique"...

Voilà ma petite contribution, en esperant avoir ouvert des pistes... :wink:

_________________
"Un monde ne saurait être fictif par lui-même, mais seulement selon qu'on y croit ou pas." - Paul Veyne


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 14 Août 2008 11:01 
Hors-ligne
Polybe
Polybe

Inscription : 17 Avr 2007 19:48
Message(s) : 68
Localisation : à droite en dessous de la pile de livres...
une idée qui ne vaut que ce qu'elle vaut; je pense que si la démarche hallucinée est marginalisée et incomprise dans les sociétés occidentales alors qu'au contraire elle est intégrée à la société en Bolivie par exemple (au passage, je ne connaissais pas du tout cette pratique et vous remercie de l'avoir porté à notre cnnaissance :wink: ) c'est peut-être en raison de la manière de consommer les drogues; en effet, comme vous le dites, celui qui consomme va dans un "ailleurs" jugé insignifiant en Europe. Mais comment lui-même, ie le consommateur, appréhende-t-il cet ailleurs? c'est peut-etre là que reside toute la différence: si celui qui a une demarche halluciné et consomme pour cela des substances a un but précis, qui fait sens, alors il trouve pleinement sa place dans une société qui le comprend...ce qui n'est pas le cas en Europe. Dans un cas nous avons affaire a une pratique sociale alors que dans l'autre, la pratique est au contraire plutot asociale...


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 14 Août 2008 12:13 
Hors-ligne
Marc Bloch
Marc Bloch
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 09 Août 2006 6:30
Message(s) : 4160
Localisation : Allemagne
A une époque à laquelle je me suis intéressé au sabbat des sorcières, j'avais lu un auteur qui émettait l'hypothèse que derrière tout cela il y avait un usage de plantes hallucinogènes qui existeraient dans nos contrèes européennes. Je ne me souviens plus de l'auteur ( il faudrait vraiment tout noter !).
Quelqu'un peut-il infirmer ou confirmer ?

_________________
" Je n'oublie pas le Colonel Arnaud Beltrame "


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 15 Août 2008 7:59 
Hors-ligne
Modérateur Général
Modérateur Général
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 13 Mars 2006 10:38
Message(s) : 2476
Localisation : Lorraine
Probablement dans Carlo Ginzburg, Le sabbat des sorcières, NRF Gallimard 1992.
On croyait que la belladone en particulier permettait aux sorcières de voler: je ne sais plus si on disait qu'elles s'en enduisaient le corps ou alors le manche du balai.

_________________
Tous les désespoirs sont permis


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 15 Août 2008 10:10 
Hors-ligne
Marc Bloch
Marc Bloch
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 09 Août 2006 6:30
Message(s) : 4160
Localisation : Allemagne
Oui, sans doute. J'avais lu Ginzburg, en effet.

_________________
" Je n'oublie pas le Colonel Arnaud Beltrame "


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 23 Août 2008 18:05 
Hors-ligne
Jean-Pierre Vernant
Jean-Pierre Vernant

Inscription : 17 Oct 2003 18:37
Message(s) : 5364
Citer :
A une époque à laquelle je me suis intéressé au sabbat des sorcières, j'avais lu un auteur qui émettait l'hypothèse que derrière tout cela il y avait un usage de plantes hallucinogènes qui existeraient dans nos contrèes européennes. Je ne me souviens plus de l'auteur ( il faudrait vraiment tout noter !).
Quelqu'un peut-il infirmer ou confirmer ?


J'ai lu aussi une interprétation du "sabbat des sorcières" comme la conséquence d'hallucinations créées par une mixture à base de belladone. On s'enduisait la peau de cette pommade, là où elle est la plus mince, et les alcaloïdes passant dans le sang faisaient le reste.
Sans doute risqué, sachant que la consommation de trois à cinq baies de belladone peut tuer un enfant. Ma source n'est "que" le numéro 34 de la revue nature "La Hulotte", qui a la triste habitude de ne pas fournir sa biblio mais qui est réputée pour son sérieux.


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 24 Août 2008 8:48 
Hors-ligne
Grégoire de Tours
Grégoire de Tours

Inscription : 05 Nov 2007 12:53
Message(s) : 435
Sauf que le sabbat des sorcières est une pure invention tout comme le droit de cuissage.

Par contre, des hallucinogènes ont été retrouvés dans les tombes de "sorcières" scandinaves. Les ouvrages de Niels Price doivent en dire plus.


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 24 Août 2008 13:57 
Hors-ligne
Marc Bloch
Marc Bloch
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 09 Août 2006 6:30
Message(s) : 4160
Localisation : Allemagne
Citer :
Fylgja a écrit :
Sauf que le sabbat des sorcières est une pure invention tout comme le droit de cuissage.

Citer :


On a aussi émis l'hypothèse que sous ce nom on désignait en fait des partouzes en pleine nature. Et oui, mon bon monsieur, nous n'avons rien inventé lol :oops: :P

_________________
" Je n'oublie pas le Colonel Arnaud Beltrame "


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Afficher les messages publiés depuis :  Trier par  
Publier un nouveau sujet Répondre au sujet  [ 9 message(s) ] 

Le fuseau horaire est UTC+1 heure


Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 25 invité(s)


Vous ne pouvez pas publier de nouveaux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas éditer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas supprimer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas insérer de pièces jointes dans ce forum

Recherche de :
Aller vers :  





Propulsé par phpBB® Forum Software © phpBB Group
Traduction et support en françaisHébergement phpBB