Comme je passais sur ce sujet, j'en profite pour y ajouter un récit du Ragnarök que j'avais écrit pour un concours de nouvelles; en effet, sur internet on ne trouve pas de belle version de cet épisode remarquable, plutôt le simple enchaînement des évènements. C'est une version écrite dans un style volontairement outré qui plaira aux âmes wagnériennes mais peut-être pas aux amateurs de nouveau-roman. J'en suis même sûr... Dans tous les cas je trouve que ça ajouterai une version plus vivante du mythe et plus moderne (le récit n'est pas au futur ici). Je vous prie de m'excuser pour certaines libertés prises par rapport à ce que l'on sait de la mythologie germanique. En ce qui concerne les Walkyries par exemple.
En espérant ajouter quelque chose d'utile et que vous ayez un certain plaisir lors de la lecture.
Bien à vous.
Le Ragnarök
« Les dieux sont condamnés et la mort est la fin ». (Edda)
Il y eut trois hivers, chacun étant un vieillard plus terrible, plus ridé, plus glacial que le précédent. Ils passèrent tour à tour semant la faim, le froid, la désolation. Les animaux ne se montrèrent plus jamais ; ensuite, les peuples furent accablés de coups terribles : le malheur régna en maître, les maladies tels de rapides et silencieux serpents frappèrent toute vie. Le vol, le mensonge, la déloyauté et la fourberie furent autant de vassaux apportés par ces trois hiver. Les pires choses se produisirent, les pères tuaient leurs fils, chacun dans la noirceur d'un monde glacé et sans saveur convoita d'un œil aussi fourbe et mauvais que Loki son voisin ; les batailles se firent plus nombreuses, la terre se nourrissait d'un sang maudit. Le fort battit le faible, les dieux se déchirèrent tout comme les hommes, ils ne leur apportèrent nul secours tant leur aveuglement était grand. Ce fut le temps de la hache, des cieux bas et lourds et des viles actions. Nulle créature joyeuse ne se montra dès lors, les nains creusèrent plus loin leurs cavernes se coupant ainsi du monde.
Tout cela était inéluctable. Il y eu enfin ce jour, cette aube que personne ne voulait voir. Deux loups fils de l'énorme Fenrir que l'on confondit avec la nuit ouvrirent leurs gueules béantes, l'un avala le soleil, l'autre la lune. Toutes les étoiles s'éteignirent et il n'y eu plus d'autre lumière que les deux paires d'yeux de ces frères voraces. Alors, la terre se souleva, énorme, dans un craquement inouï, les arbres, déjà accablés par le gel et la neige furent déracinés, même les plus vigoureux qui osaient encore de leur insolentes verdures résister au funeste destin. Les océans, lâchés par le serpent Jörmungand qui se libéra la queue se soulevèrent et de leur masse ils se déversèrent sur les terres - déjà éprouvées - dans un cataclysme gigantesque et une musique barbare. On entendit alors plus que le craquement des sapins brisés, les cris d'hommes tués, les roches libérées des montagnes qui roulaient et se fracassaient comme un furieux orage, des pans entiers de solides glaciers foudroyés qui s'écrasaient dans un bruit assourdissant de verre brisé. Le feu s'invita aussi et ravagea de ses langues affamées les forêts.
Là, le serpent Jörmungand, qui entourait la terre et avait connu le marteau de Thor gagna le rivage en sortant des mers démontées Son corps vert sombre, aux écailles que nulle lame ne pouvait érafler se traîna en se tordant hideusement. Il se cambra et fit entendre un appel guttural qui sortit des tréfonds de son corps gonflé de haine, de colère et de vengeance. A son cri mémorable répondit l'énorme loup Fenrir que les dieux avaient attaché comme un vulgaire chien. Ses muscles roulèrent nerveusement, ses pattes aux griffes enracinées dans la terre s'y agrippèrent puissamment. En même temps qu'il poussa son hurlement rauque à faire trembler les ténèbres elles-mêmes, la chaîne que les nains avaient forgée avec mille et mille choses se brisa d'un coup, explosant follement. Il entama sa course, droite, effrénée pour rejoindre les forces mauvaises. Il laissa un sillage désolé où les animaux pleurèrent à son passage. Ses yeux énormes dont aucun mortel ne pouvait supporter le regard, fixaient l’horizon et sa destination ; sa gueule écumante comme une tempête brûlait d'une rage indescriptible. Loki, le fourbe, se détacha à son tour, subtil dans sa vengeance. Sa libération sonna comme un fausse note hideuse dans un morceau jusque là harmonieux. Tous les géants sentant leur heure proche trépignèrent d'une folle envie de tuer, ils quittèrent leurs montagnes et refuges crasseux, bientôt suivis par tous les guerriers du mal : dragons, bêtes sauvages enivrées, cavaliers revenus des mondes infernaux crachant le feu. Ils furent menés par Surt le plus hideux et le plus fort des géants, semant les flammes et la lave. Il y avait aussi les massifs géants de glace. Pire encore, du monde des morts – ceux des morts indignes - aux demeures d'acier et aux grilles hurlantes déferlèrent les fantômes décharnés en hayons des maudits, des lâches, des traîtres, des vindicatifs, des criminels..., part immonde de l'humanité ressortie, guidée par Garm, le chien féroce au collier d'ombres hurlantes, attachées entre elles. La horde venait de loin mais elle se rapprochait, pleine d'une rage insupportable : la fin annoncée depuis longtemps !
Heimdall, gardien du monde des dieux, du haut de l'arc-en-ciel scintillant, de sa vue et de son ouïe fine entendit au loin les guerriers de l'ombre qui commençaient à peine à se mettre en marche. Il s'empara de Gjallarhorn et souffla à s'en déchirer les poumons. Cette note fut noble, grave, puissante et résonante, portant le message du Ragnarök et du devoir à accomplir dès lors. Les dieux et déesses s'armèrent tous en réponse à cet appel dont ils savaient depuis la naissance qu'elle percerait un jour le ciel souillé. Dans un silence pesant, ils mirent des cottes d'armes impossibles à décrire tant elles se paraient de motifs magnifiques. Les écus, boucliers ronds décorés et rondaches furent à leur tour saisis, et enfin toutes les armes extraordinaires, sorties de leur coffres de bois brut. Toutes ces merveilles étaient œuvre des nains, forgerons chevronnés et minutieux, disposant des métaux les plus rares. Odin, fier dans sa lourde cape rouge, entouré par ses corbeaux de jais et de ses chères filles guerrières prit sa lance qui ne manquait jamais sa cible. Son œil unique, observait avec une sagesse étonnante Thor qui enroulait sa main puissante autour de Mjöllnir. L'immense demeure sculptée dans le bois, parée d'entrelacs divins chargés d'une signification cachée, le Valhalla, s'anima à son tour. Ses six-cent-quarante portes d'or s'ouvrirent, les plus nobles guerriers, les plus fiers hommes en sortirent par flots entiers et résolus. Tous ceux morts l'épée à la main, dans l'honneur, choisis de longue date par les Walkyries qui ne se trompaient jamais. Ils avaient festoyé encore et encore dans la grandes salle et s'étaient affrontés chaque jour en prévision de l'aube fatale, à présent ils devaient honorer leur serment : défendre le monde au côté des Ases. Les meilleurs d'entre eux, les grands combattants des temps jadis, revêtus de peaux d'ours d'argent et de loups de sang, allèrent en premier de leurs jambes puissantes à la bataille, torse nu, peints en vert de motifs complexes, armés d'une lourde hache à deux mains, chargée des exploits de son porteur. D'autres partirent à même vitesse, portant lance d'estoc et épée à double tranchant, le bouclier en avant, couvert de runes magiques tracées dans les veines du bois qui prenait vie pour la lutte. Ils criaient leurs exploits, leurs aventures et la noblesse de leur lignage sur le chemin qui menait au champ de bataille. L'armée de hommes et de Ases semblait gigantesque et invincible mais celle des forces sombres l'était plus encore, animée par nul autre but que la destruction.
L 'armée des dieux arriva la première à Vigrid, le champ de bataille, plaine immense qui attendait avec impatience l'affrontement final. Ils se déployèrent : les dieux commandaient chacun une compagnie de l'armée divine, ils étaient épaules contre épaules avec les hommes, égaux dans le mur de boucliers. Des archers furent déployés à l'arrière, l'arc déjà bandé, prêt à tirer. En première ligne allèrent des guerriers choisis, les porteurs de haches qui ralentiraient la charge maléfique. Le gros des troupes (avec les dieux) se déploya afin de pouvoir former le mur de bouclier. Les monstres, Loki et toute leur hideuse suite avancèrent peu après, ils ne prirent pas même le temps de s'arrêter pour reprendre leur souffle. Ils crièrent d'un seul et même braillement rauque, la plaine en fut ébranlée et les bannières si nombreuses des dieux furent pour bon nombre arrachées des hampes. Sans ordre ils foncèrent aveuglément ; de l'autre côté, les milliers de carnyxs, de trompes et de martèlements de boucliers répondirent d'une clameur plus grande encore. La noble armée forma rapidement, tel un verrous qui se ferme le mur de boucliers, le plus grand et solide qui n'ai jamais existé, aussi résistant que les murailles d'Asgard, pas seulement par sa force pure mais par une solide résolution, commandé par les dieux en personnes ! Un instant, un rayon d'une chaude lumière d'or perça les ténèbres installées, il se refléta sur le mur de boucliers plaqué de métaux précieux et vermeils, aveuglant ainsi les maléfiques créatures, les arrêtant dans leur charge frénétique. Mais le serpent, le loup et toutes les autres créatures énormes le cachèrent et il se retira aussi vite qu'il était apparu. Les meilleurs Heinherjar, les porteurs de haches partirent dans une première charge puissante. Une fois dans la mêlée ils accomplirent maintes et maintes prouesses et massacrèrent chacun des rangs entiers de ces horribles créatures, certains même tuèrent quelques géants, exploit que seul les dieux parvenaient à réaliser. Mais tous une fois recouverts d'un sang sombre furent finalement tués ou moururent d'épuisement. L'armée de Loki restait malheureusement toujours aussi nombreuse... la masse déchaînée se rua alors sur le mur de bouclier et sur les dieux, les hommes décharnés s'aidant de leurs longs doigts griffus et crispés pour escalader les écus. Garm sauta à la gorge du dieu de la guerre Tyr - manchot depuis qu'il avait laissé sa main en gage à Fenrir. Le dieu l'affronta à main nues et ils s’entre-tuèrent dans un flot de sang. Thor, énorme, brandit Mjöllnir et frappa encore, encore et encore le serpent infini, son ennemi de toujours qui se tordait follement, immense tempête verte, ruant, claquant brutalement, soulevant et écrasant tous les guerriers à proximité, jusqu'à lui écraser la tête dans un hurlement sauvage de soulagement et de victoire. Il jeta à bas le monstre cria encore d'allégresse oubliant un instant la mêlée et le sort qui était sien, il s'élança de son ardeur légendaire afin de se ruer sur un nouvel ennemi. Il fit trois pas plus lents chacun que l'autre ; puis vaincu par le venin brûlant, qui dégoulinait et suintait sur sa côte que Jörmungand lui avait craché tout le long de la lutte, il s'effondra pesamment pour ne plus jamais se relever, lâchant son marteau. Le guetteur du Bifrost, Heimdall, fonça sur Loki qu'il détestait plus que quiconque. Leur affrontement fut d'une durée incomparable, ils brisèrent épées sur épées, écus sur écus et moururent de leurs blessures en même temps, tombant dans un râle l'un sur l'autre.
Odin, le sage, armé comme personne vêtu de courage, casqué d'intelligence, botté de force alla sur Fenrir, le plus redoutable adversaire, il brandit Gungnir et même le monstre eût peur de cet instrument implacable. Pourtant, à ce moment, Odin le dieu des dieux, trembla de sa main comme n'importe quel homme, sachant que la lutte était perdue d'avance, perdue depuis qu'il était né. Fenrir n'eut, lui, aucune hésitation, sa charge fut terrible, il renversa le dieu de son corps terrible et l'engloutit - non sans mal - dans sa mâchoire béante, tunnel de mort, véritable fournaise. Le dieu du silence et de la vengeance, Vidar, empli de douleur, de colère et d'une rage calme tua la bête froidement avec les même coups puissants et répétés, il lutta longtemps, arracha de ses muscles luisants déchirés par l'effort surhumain la gueule du loup dans un craquement dégoûtant. Freyr, le dieu de la vie toujours accompagné de son sanglier roux Gullinbursti se mesura au géant de feu Surt mais il fut vaincu et consumé dans les flammes dévorantes, lâchées de toute la haine de leur porteur... Pendant encore des jours la bataille se prolongea, indécises comme le sont souvent les mêlées, la plaine résonna des coups répétés du fer contre le fer, de la clameurs de ces deux troupes immenses, décidées à écraser l'adversaire jusqu’au dernier homme, la terre, dégoûtée vomit le sang qu'elle ne pouvait plus boire tant elle en était pleine, les combattants pataugeaient dans un sang infâme, mélangé à une terre meuble, les montres et leur suite s'y complaisaient et noyaient parfois les Heinherjar dans le sang qui pouvait être celui de leur famille ! Le champ de bataille se couvrit de monceaux de corps des guerriers des deux bords, de lambeaux de bannières innombrables comme autant de brins d'herbe, de blessés implorant la fin et des cadavres des dieux sur ceux des géants qu'ils avaient occis. Tous s’entre-tuèrent. La plupart des dieux trouva la mort dans cet affrontement infernal, tous gisant dans la même boue : hommes, dieux, monstres... Le grand frêne Yggdrasil, qui reliait des ses ramures sacrées les neuf mondes défailli, rongé depuis longtemps par un mal ancien. Alors les mondes s'écroulèrent, engloutis dans les océans, le pont d'Asgard disparut et tous les hommes d'alors moururent. Le combat héroïques des Ases et des hommes du Valhalla avait-il été vain ?
Le soleil éclaira d'une vive lumière les lambeaux de terre qui avaient échappé au cataclysme universel, la terre reverdit. Pendant un moment, qui semblait une seconde ou une éternité, il n'y eu aucun bruit... Seulement les brins d'herbes qui poussaient. Il y avait peu, le monde succombait dans des grondements mémorables et des cris déchirants; là, rien, l'éveil après un cauchemar, un silence béni, les cascades se remirent doucement à couler, ce n'était pas de gigantesques chutes arrogantes, juste un tapis d'eau fluide produisant une musique lointaine, la vie refaisait une apparition bien timide, en douceur dans un élan inconnu, un lent crescendo musical... Dans ce fugace et inespéré lever de soleil sur ces terres d'espoir, se montrèrent alors les deux seuls humains épargnés qui s'étaient cachés dans les branches rassurantes d'Yggdrasil : Lif et Leifhtrasir, ce furent avec quelques animaux rescapés les premiers à fouler de leurs pas innocents ce nouveau monde, encore engourdis dans la fureur aveugle de l'ancien ; tout cela sonnait comme un timide réveil. Certains dieux avaient également survécu à l'affrontement : trois fils d'Odin Vidar, Vali et Hoenir, deux fils de Thor Modir et Magni, qui conservèrent le marteau enchanté de leur père et enfin Balder « le dieu bon ». Quand le vent se remit à souffler et la nature reprendre son ancien cycle, un souffle énorme mais rassurant arracha du sol une bannière loqueteuse, seule et oubliée, dans un tourbillon résolu elle s'envola, brisée, en un lointain souvenir... Soudain, les quelques hommes et dieux sentirent une force nouvelle et libérée les animer. Ensemble ils reconstruisirent un nouveau monde et la création suivit la destruction...
_________________ Þat skal at minnum manna meðan menn lifa
Cela restera dans la mémoire des hommes tant qu'ils vivront (pierre de Runby, Upland)
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