Helios a écrit :
Le fond a une importance majeure, mais justement, dans Voyage au bout de la nuit, il n'y a absolument pas un mot, pas une allusion, qui renvoie à de l'antisémitisme ni même à des opinions d'extrême-droite.
Il y a bien eu une phrase, qui en a fait tiquer certains dès la sortie du livre, en 1932 (parmi ceux-là, je crois me rappeler qu'il y a eu d'abord Nizan, qui le premier a flairé ce que tant de misérabilisme et de hargne comportait comme ambiguïté et comme risque politiques), ou plutôt une référence, celle au
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grand désespoir de la musique négro-judéo-saxonne
ce qui est, à propos du jazz, une manière d'essentialisation curieuse et, dans le contexte politique de l'époque, une topique bien connue.
La dénonciation du colonialisme est aussi manifeste dans le
Voyage, mais l'image projetée du "nègre" a parfois quelque chose de gênant (mais peut-être que je sur-interprète, en regard de sa production ultérieure).
Il faut dire enfin que le
Voyage occupe une position tout à fait particulière dans l'oeuvre célinienne, et qu'il reste de facture assez traditionnelle (mais d'un souffle qu'Helios a raison de vanter).
Concernant
A l'agité du bocal dont il était question initialement, effectivement, cela peut paraître "peu ragoûtant", et bien sûr ça n'a rien à voir avec la joyeuse scatologie rabelaisienne qui a été déjà citée, ou l'importance ontologique et véritablement puissante accordée à la merde par Artaud par exemple mais Céline, précisément, c'est aussi ça (un oeil jeté sur les pamphlets, dans lesquels il est au sommet de sa verve, comme on le dit souvent, suffit à s'en convaincre...).
Si l'expérience vous tente, Dédé, il y a aussi un court récit, roman beaucoup plus ample dont il ne nous reste que le début, où Céline transfigure ses souvenirs de caserne. Récit épique, et véritable document ethnologique (!) trop peu connu :
Casse-pipe.
Un extrait :
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- Pourquoi donc tu t'es engagé ? T'as jamais été cocher ? Tailleur des fois de son état ? Voleur, mon petit homme ? Acrobate par hasard ? T'es pas palefrenier non plus ? Parfumeur au bout du compte ? Charbonnier alors ? Rémouleur ?
- Non, monsieur.
Ils se désopilaient les autres de la façon que je me trouvais cul devant les questions. Ils s'en tortillaient dans leur paille, ils s'en convulsaient de rigolade.
- Alors qu'est-ce que tu viens foutre au 17è cavalerie lourde ? Hein ? Tu sais pas toi-même. Merveilleux ! Y a plus rien à manger chez toi ? Le four a chu ?
Je voyais qu'il fallait rien répondre.
- Allez ! au commandement, oust ! Décarre ! Suivez la musique ! Perds pas le brigadier ! Et la brouette, hein, Meheu ! De la brouette, je veux plus le voir ici ! Tu m'entends ? quatre escadrons, quatre ! Et puis un cinquième pour ta gueule ! On les gâte ici les beaux mômes ! Tu sais combien ça fait de rondins, dis, quatre escadrons, ta poire ? et puis encore un cinquième ? Tout ça pour la croque à Zonzon ! T'es pas fini, mon dévorant, d'en régaler des brouettes, pardon ! T'en reprendras ! trois ans ! Cinq ans ! T'auras jamais tout fini ! Comme ça de brioches pour ta claque ! Ah, pardon ! Salut ! ma tronche, tu vas jouir ! C'est de l'instruction, ça, mon Russe ! C'est de la théorie pratique du cavalier gras ! de la crotte ! Ah ! Fixe ! Pour combien que t'en as pris ? Tu me dis pas ? Pour combien t'en as signé ? Dis voir ? C'est écrit ?
- Trois ans.
- C'est pas assez, tiens, ma vache ! Sors ! Débine ! Je veux plus le voir ! Secouez-moi ça, Le Meheu. Il empoisonne absolument. Quelle heure il est, brigadier ? Minuit 10 ? Minuit 12 ?
Il sort son oignon, un morceau.
- Quel jour on est ? C'est pas le 22 ? Non, hein ? Le 25 ? Faudrait savoir, mes empaffés ! Non ! On est le 24, que je vous annonce. Ca vous surprend ? N'est-ce pas, les taupes ?
Casse-pipe, Gallimard, pp. 17-18