"Le nom d'Europe appartient à une série de noms féminins préhelléniques portés par des minoennes ou des Têtes Noires, jamais à l'extérieur des lignages mélano-égéens.
Leur distribution géographique épouse étroitement celle des Min, Lukos, Argos and Co dont elles sont généralement les épouses ou les mères.
Khalkiopê, mère d'Argos le Colche, Niobê, mère d'Argos le "Grec" sont à classer parmi les mères au même titre que la légendaire Europê mère de Minos.
Kassiopê, fille d'Arabos et femme de Phoinix, Eurunomê femme de Glaukos, parmi les épouses.
La place occupée par ces noms dans la mythologie grecque, leur morphologie particulière, leur singularité phonétique suggèrent l'hypothèse que ces noms qualifient un statut social.
1) Toutes ces femmes sont des mères ou des épouses de Min. Le pouvoir semble s'articuler autour d'elles, s'organiser à partir d'elles, se reproduire à partir d'elles.
En qualifiant Niobê de "mère des vivants", en juchant Europe sur un taureau, la légende leur ajoute une dimension sacerdotale, fait apparaître la première comme une servante de la grande parturiante sacrée, la seconde comme une version indienne de celle-ci.
2) La fréquence de ces noms à l'intérieur du cadre ethnique et institutionnel défini consolide l'hypothèse du statut dont ils seraient le signe.
Sans doute n'avons-nous recensé qu'une Khalkiopê et qu'une Eurunomê.
Mais, nous avons dénombré au moins trois Kassiopê : une soeur d'Europê, une femme de Phoinix, ceci pour les Agenorides, la femme de Kepheus l'Ethiopien, cela pour les Dananéens.
Plusieurs Niobê : une fille d'iune Europê, épouse de Phoroneus, la mère de Phoroneus et d'Argos, une fille de Phoroneus. La permanence du nom, porté successivement par la mère, l'épouse, la fille du roi d'Argos nous confirme dans l'idée qu'il s'agit d'un titre. Une fille de Tantale le Phrygien, soeur de Pelops, en est aussi gratifiée.
Nous avons enfin compté cinq Europe. L'une, mère de Niobê ; la seconde mère de Kar, "le Noir" ; la troisième femme de Danaos ; la quatrième, souer d'Ankhinoê, fille du Nil ; la cinquième et la plus connue, fille de Phoinix, mère de Minos.
C'est donc par rapport à son statut social dans la civilisation minoenne que le nom d'Europê doit être examiné. On ne peut proposer pour l'expliquer des valeurs étrangères à la mouvance sociale qui le produit. Ceci exclut toute étymologie hâtive fondée sur des approximations d'un nom minoen au vocabulaire d'une langue indo-européenne.
3) L'inventaire onomastique des mères royales dégage une constante morphologique. Khalkiopê, Kassiopê, Europê, Niobê, Eurunomê, Benthesikumê fille de Poseïdon ont en commun une finale en -opê qui ne doit rien au Grec.
En effet, elle se caractérise par des traits phonétiques propres au préhellénique avec alternance des labiales et des nasales p, b, m, connue du dravidien où la suffixation en uppu, umu est très pratiquée ; du phrygien, avec les toponymes Olumpos, Olumos ; du carolycien, où le toponyme d'Euromê ville d'Euromos le mythique petit-fils de Kar identifie la nature préhellénique, dravido-égéenne de la finale du nom d'Europe. Cela élimine une étymologie en -ops, et solidairement l'explication d'euru- par le grec, l'hypothèse "ionisante" de AUTRAN..."
cf. Alain ANSELIN, "Le mythe d'Europe. De l'Indus à la Crète", éd. Anthropos, 1982, Pp160-161
_________________ "La langue est la boîte noire de toute civilisation"
Alain ANSELIN
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