Takata a écrit :
En lisant rapidement les réponses, je vois que tout le monde se focalise sur "l'idée d'appartenance à une communauté nationale" pour tenter de répondre à cette question.
Donc, sans nier le fait que cette "idée d'appartenance à une communauté nationale" puisse exister au sein d'une population, je dis que cette idée n'est pas une réalité tangible puisque personne n'est en mesure de la définir précisément selon des critères objectifs ; de répondre simplement à "qu'est-ce que l'identité nationale ?". Certains vous répondront sur la base de critères ethniques, d'autres linguistiques, d'autres culturels, d'autres politiques, ou en mélangeant tous ces éléments pour arriver à une conception personnelle de la "Nation".
Ce qui veut dire en substance que cette idée n'est pas la même pour tous et que "l'identité nationale", bien que tout le monde sache plus ou moins de quoi il s'agit, se matérialise d'une manière extrêmement floue chez la plupart des gens.
Je vous entends bien, mais nos avis divergent lorsque vous soutenez que la nation n'existe pas parce qu'il n'en existe aucune définition universelle. C'est un peu comme si vous disiez que la France n'existe pas, parce qu'on discute aujourd'hui encore de savoir quand elle est née ou parce que la plupart des gens ne sauront pas vous en donner une définition complète : pour certains la France est la terre comprise dans les frontières que j'ai citées plus haut ; pour d'autres, c'est cette terre + les Français (avec une infinité de variétés de définitions de ce qu'est un Français), etc...
Il en est de même pour la nation et l'idée de nation : ce n'est pas parce qu'on a du mal à la définir en 2 lignes, que la chose n'existe pas.
Takata a écrit :
A partir de là, il devient extrêmement difficile de mesurer quelque chose qu'on ne peut définir, et de dire combien "l'idée d'appartenance à une communauté nationale" était forte avant 1789 et de pouvoir comparer ce niveau avec la situation ultérieure.
Il est difficile en effet, de mesurer et de comparer dans le temps ou dans l'espace quelque chose d'aussi complexe que cet ensemble de liens qui fondent le sentiment d’une appartenance commune à une nation. Mais il est souvent difficile de "mesurer" en histoire.
Takata a écrit :
Ce qui change en France à partir de 1789 est le fait que l'on institutionnalise la Nation en précisant dans la constitution quels sont les critères subjectifs retenus et en les traduisant sous une forme légale. A partir de là, la Nation et l'État se confondent en une seule et même entité. Deviendront membres de la communauté nationale tous les habitants résidant à l'intérieur des frontières de l'État Français, quelle que soit leur "nationalité subjective" (Bretons, Picards, Basques, Gascons, Alsaciens, Savoyards, Corses, etc.).
Je dirais comme François Furet, que la révolution a "
coagulé les trois sens du mot nation : le sens social : un corps de citoyens égaux devant la loi ; le sens juridique : le pouvoir constituant par rapport au pouvoir constitué ; le sens historique : un collectif d'hommes unis par la continuité, un passé et un avenir".
Takata a écrit :
En substituant l'État à "l'idée (naturelle) de Nation" par l'intermédiaire de la loi, on supprime aussi de la même manière le droit des gens à revendiquer une autre nationalité que celle de la France.
Encore cette confusion entre nationalité et nation. L'appartenance à une nation ne se réduit pas toujours à la possession de la nationalité. D'ailleurs, on peut avoir une double nationalité.
Par ailleurs, la nation (ou au-moins idée de nation si vous niez son existence) pré-existait à la révolution : pour le roi, qui reconnaissait implicitement son existence, puisqu'un des principes de l'absolutisme louisquatorzien affirmait que "la nation ne forme pas corps en France" et "réside tout entière en la personne du roi" ; et pour le peuple, comme en témoigne le nombre de brochures et de cahiers de doléances qui évoquent la nation et qui demandent que des décisions importantes soient confiées à la "nation assemblée" et non plus aux états généraux. Et de fait, le rapport entre Etat et Nation a changé dès la réunion des états généraux : si en mai 1789 on ne sait pas dire clairement ce qu'est la nation, on sait parfaitement ce qu'elle n'est PAS : on affirme clairement que les états généraux tels qu'ils sont, ne sont pas la nation et ne représentent pas la nation. Ils ne sont qu'un instrument de l'Etat, c'est-à-dire du roi, comme Louis XVI le rappelle lui-même lorsqu'il ordonne aux ordres de se réunir séparément.
Takata a écrit :
De même, on institutionnalise l'idéologie de la Nation à travers l'enseignement pour créer de manière artificielle un sentiment national qui soit plus fort que tous les liens ethniques, culturels et linguistiques qui pouvaient unir des communautés à l'intérieur des frontières de l'État. Avant tout, on combat farouchement tout lien politique qui pouvait résulter de ces sentiments "nationaux" qu'on réprime.
En fait, le transfert de souveraineté du roi vers la nation prononcé par la Révolution abolit la frontière ancestrale qui séparait le roi de ses sujets, et définit plusieurs "frontières" nouvelles, beaucoup plus concrètes pour les gens, qui donnent une consistance réelle, concrète à la Nation : des frontières territoriales intérieures plus lisibles pour le peuple (départements) ; une frontière juridique claire qui définit la nation comme l'ensemble des individus égaux en droits et en devoirs ; une frontière psychologique, beaucoup plus subtile et mobile (d'où la difficulté à définir la nation en quelques mots simples) qui fait de la nation "une valeur refuge, l'extension de la communauté, un symbole d'appartenance et de ralliement, un instrument d'enracinement à la terre et au sol" (F. Furet). Cette dernière "frontière", qui est la moins tangible et la plus difficile à mesurer, est sans doute l'élément constitutif de la nation le plus important, car c'est lui qui renferme la double potentialité fraternité-agressivité inhérente à l'idée de nation.
Takata a écrit :
Le problème, c'est qu'aujourd'hui, il semble que l'on ait un peu perdu de vue tout ce qui s'est passé et que l'on puisse s'imaginer que les choses ont toujours été comme ça. L'idée de Nation n'est que la résultante d'une volonté politique ; elle s'appuie sur des sentiments "naturels" très subjectifs qui se tissent au sein des communautés humaines, mais ces sentiments sont extrêmement divers et volatils et ne peuvent constituer, à eux seuls, l'expression de véritables liens nationaux, et par là même, justifier de l'existence d'une "Nation". Cette distinction entre les "Nations" ne vient pas des gens eux-mêmes mais des pouvoirs politiques représentés par les États. Le seul moyen viable qui permettent de trancher les différence "nationales" est la loi.
Je crois au contraire que l'idée de nation n'est pas seulement le produit d'une volonté politique, mais aussi le produit de sentiments "naturels" plus ou moins subjectifs qui trouvent leur justification dans un fait : "nous formons un collectif d'hommes unis par la continuité, un passé et un avenir". Si un Romain faisait une distinction claire entre Rome et les différentes nations "barbares", ce n'est pas seulement parce que l'empereur avait décrété une différence.