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Message Publié : 01 Mai 2008 16:36 
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Philippe de Commines
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Artigas a écrit :
Huyustus a écrit :
En relisant tout ce fil, je note les extraits suivants qui me font bondir ; j'avais dû les survoler trop vite la première fois :

Alain de Libera a écrit :
Le « creuset chrétien médiéval », « fruit des héritages d’Athènes et de Jérusalem », qui a « créé, nous dit Benoît XVI, l’Europe et reste le fondement de ce que, à juste titre, on appelle l’Europe », est d’un froid glacial,
[...]
Cette Europe-là n’est pas la mienne. Je la laisse au « ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale » et aux caves du Vatican.


Ce que Alain de Libera semble vouloir affirmer en l'occurence à travers ces extraits, c'est le fait que l'héritage, les racines de l'Europe ne sont pas uniquement chrétiennes. Ce que l'actuel Pape semble penser fortement. Et ceci est une forme de sectarisme plus que prononcé, une vision de la notion de ''civilisation européenne'' plus que restreinte et surtout fausse.

L'Europe a des racines paiennes, grecques, latines, juives, musulmanes... L'Europe en tant que ''civilisation'' a connu ses différents apports au fil des siècles. Et n'avoir qu'une seule et une unique sorte de vision fortement centrée sur le Christianisme, basée sur des socles judéo-grecques est une erreur historique.


Ca, je suis bien d'accord. Ce que je ne comprends pas c'est cette mention de "froid glacial", que je trouve pour le moins malsaine.

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Les facultés de conceptualisation de l'empereur Constantin paraissent avoir été très limitées ; malgré de longues séances, les évêques ne semblent pas avoir réussi à lui faire bien comprendre la différence qui séparait l'orthodoxie de l'arianisme. (Y. Le Bohec)

Bref, un homme "au front étroit mais à la forte mâchoire" (J.P. Callu)


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Message Publié : 01 Mai 2008 16:54 
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Eginhard
Eginhard

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Alain de Libera semble avoir employé cette formule de ''froid glacial'' afin de démontrer en accentuant le trait ( de manière métaphorique) son opposition à cette vision ''historique'' de l'Europe par Benoît XVI.

Comme on opposerait par exemple le froid au chaud.

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''L'histoire, je le crains, ne nous permet guère de prévoir, mais, associée à l'indépendance d'esprit, elle peut nous aider à mieux voir.'' Paul Valéry


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Message Publié : 01 Mai 2008 17:07 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines
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Artigas a écrit :
Alain de Libera semble avoir employé cette formule de ''froid glacial'' afin de démontrer en accentuant le trait ( de manière métaphorique) son opposition à cette vision ''historique'' de l'Europe par Benoît XVI.

Comme on opposerait par exemple le froid au chaud.


Oui, vous me le confirmez donc, c'est exactement le problème : par là, il dit qu'une Europe issue exclusivement de la culture gréco-latine et du christianisme serait d'un froid glacial, et que heureusement qu'il y a eu d'autres influences pour "réchauffer" tout ça.

Qualifier l'héritage gréco-latin et chrétien de la sorte me laisse pantois, et c'est un euphémisme. Je ne vois pas ce que cet héritage a de "froid"...

_________________
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Message Publié : 01 Mai 2008 18:14 
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Grégoire de Tours
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Huyustus a écrit :
Oui, vous me le confirmez donc, c'est exactement le problème : par là, il dit qu'une Europe issue exclusivement de la culture gréco-latine et du christianisme serait d'un froid glacial, et que heureusement qu'il y a eu d'autres influences pour "réchauffer" tout ça.

Qualifier l'héritage gréco-latin et chrétien de la sorte me laisse pantois, et c'est un euphémisme. Je ne vois pas ce que cet héritage a de "froid"...


Je dirais le christianisme exclusivement gréco-latin, plutôt que la culture gréco-latine et chrétienne ! Je pense qu'il y a aussi une référence implicite à la culture gréco-latine comme culture académique de langues mortes, donc froides. C'est cela auusi que Libera rejette (pas le grec et le latin, mais l'usage qu'on en fait, surtout en les érigeant sur un piédestal au mépris des autres cultures), un savoir figé dans une Vérité unique et une série de dogmes (celle du catholicisme tridentin, dont l'Eglise actuelle a essayé de sortir avec Vatican II, et la tâche n'est pas aisée !)
Cela dit, reprocher à Gouguenheim d'être repris et cité par les sites d'extrême droite, ce n'est pas franchement un argument valable, car combien de savants se voient cités ainsi sans qu'on jette l'anathème sur leurs travaux ? Mais il est vrai que les deux derniers chapitres de son ouvrage qui tentent d'établir une hierarchie des civilisations (la rationalité grecque ne serait pas accessible aux arabes islamisés, ils ont une autre rationnalité, étroite celle-ci, héritée du Coran), sans toutefois oser le dire très clairement, sont vraiment limites au niveau de la réflexion. En gros, il démontre qu'il y a un déterminisme dans l'évolution de telle ou telle civilisation, un déterminisme dû à sa nature intrinsèque _ notamment sa langue et/ou sa religion_ ce qui est assez contestable en soi, surtout en histoire où le présent n'est pas la seule conséquence possible du passé. Ou alors j'ai tout compris de travers.
Mais il semble que l'affaire elle-même soit surtout une affaire éditoriale et journalistique.

Contrairement à Florian, je n'ai pas trouvé ce livre si stimulant. Il est bien écrit, érudit, mais franchement court. Je dirais volontiers que l'auteur s'est aventuré sur un terrain qui n'était pas sa spécialité, et dans lequel il faisait une synthèse d'un certain nombre d'ouvrages sans avoir consulté lui-même les sources anciennes dont il parle (pratique-t-il l'arabe ? s'est-il confronté aux textes originaux d'Avicenne, Averroès, Aristote ou d'autres ? A-t-il étudié le passage d'une langue à une autre ? J'ai des doutes là-dessus, mais peut-être que je me trompe lourdement)

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Message Publié : 02 Mai 2008 2:57 
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Polybe
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Il est tout de même extravagant (et même inquiétant) que Libération fasse signer une pétition contre une thèse historique. Et que sera la prochaine étape ? Une loi Gayssot contre Gouguenheim ?

Notons que lorsque Max Weber oppose protestantisme et catholicisme en termes d'efficacité civilisationnelle, tout le monde trouve cela pertinent.

Mais que Gougenheim pratique une démarche voisine en osant toucher à l'islam, quel scandale !


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Message Publié : 02 Mai 2008 6:30 
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Citer :
Il est tout de même extravagant (et même inquiétant) que Libération fasse signer une pétition contre une thèse historique. Et que sera la prochaine étape ? Une loi Gayssot contre Gouguenheim ?


Je ne vois pas en quoi on n'aurait pas le droit de critiquer une thèse parce qu'elle est historique. L'histoire, c'est par définition une construction dont on peut et on doit débattre. Or précisément, en débattre via la presse, les revues ou les livres constitue le meilleur moyen d'éviter que législateur vienne y mettre son nez. Le livre de Gouguenheim lui-même constitue une charge contre les thèses de certains de ses collègues (Libera, Détienne). C'est son droit (et même son métier) que d'en débattre ainsi, et c'est aussi le droit et le métier de ses collègues d'y répondre.

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Message Publié : 02 Mai 2008 6:53 
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Citer :
Or précisément, en débattre via la presse, les revues ou les livres constitue le meilleur moyen d'éviter que législateur vienne y mettre son nez.

Vu l'état actuel de notre législateur - puisqu'il médiatise tous les sujets qui lui semblent important avant d'intervenir -, j'ai plutôt peur que l'inverse ne se produise... :'(

Citer :
C'est son droit (et même son métier) que d'en débattre ainsi, et c'est aussi le droit et le métier de ses collègues d'y répondre.

Certes, mais depuis quand une pétition médiatisée et politisée constitue-t-elle un moyen argumentaire pour critiquer de façon constructive et impartiale un travail scientifique ?

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Un peuple sans âme n'est qu'une vaste foule
Alphonse de Lamartine


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Message Publié : 02 Mai 2008 9:05 
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Grégoire de Tours
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A propos de phrases malheureuses échappées à des historiens reconnus, à propos de Détienne, voici ce que j'ai lu sous sa plume, dans Les Dieux d'Orphée (version malheureusement abrégée de l'Ecriture d'Orphée, parue récemment en livre de poche), au chapitre III "Des dieux parmi les hommes" (p.53, et qui m'a choquée de la part d'un savant. Et pourtant je suis beaucoup plus athée que lui !

Marcel Détienne a écrit :
La bonne nouvelle, un intermezzo permet de la faire savoir, c'est qe nous sommes des milliards de "polythéistes", c'est-à-dire des gens riches en dieux multiples : dans l'Inde, en Afrique, en Océanie, en Chine, au Japon et en bien d'autres lieux. La mauvaise nouvelle, on la connait déjà, c'est qu'une petite tribu, en milieu syro-cananéen, s'est donné entre deux campements un dieu colérique, de genre eunuque-unique, exigeant bientôt de ses dévôts une entière allégeance : un seul dieu, un seul peuple, une seule terre, avec pour conséquence une des plus regrettables erreurs de l'esprit si faible de l'espèce humaine. Je veux parler de la verrue monothéiste souvent cancérigène et qui continue de produire sous nos yeux les guerres et les massacres entre les "croyant d'un seul vrai dieu" s'affrontant au nom du Bien contre le Mal. Incident bien fâcheux mais qui ne doit pas nous surprendre en une si longue marche de l'humanité avec ses rêves et ses illusions de plusieurs centaines de milliers d'années.


Dans le genre injurieux, ça va loin. Et je ne suis pas sûre que ça ait beaucoup à voir avec une démonstration scientifique, ni avec la réflexion historique, d'autant qu'avant ou après ce paragraphe, Détienne se garde bien de développer davantage sa pensée, ne serait-ce que pour justifier ce qu'il vient de balancer parfaitement gratuitement.
Ce n'est pas pour faire le procès de Détienne ici, car ce n'est pas le sujet du fil, mais voilà de quoi relativiser les thèses douteuses de Gouguenheim.

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Message Publié : 02 Mai 2008 13:41 
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Florian a écrit :
Citer :
j'ai lu quelque part que l'ouvrage serait épuisé et en attente de réimpression. C'est inexact : il est disponible sur Amazon, et dans ma petite fnac de quartier, il y en avait 5 exemplaires cet après-midi.



C'est tout à fait vrai: j'en ai vu des exemplaires dans toutes les librairies parisiennes que j'ai visité ces derniers jours.


Oui et non. Du fait du faible tirage et de la polémique, la plupart des librairies ont dû réservé un certain nombres d'exemplaires. Les exemplaires disponibles doivent donc tous se retrouver en ce moment dans les devantures des diverses librairies et autres points de ventes et le distributeur ne doit plus avoir de stocks disponibles (avec peut-être même des librairies qui n'auront pas les exemplaires commandés). Donc, le libraire qui n'en a pas réservé à temps, ce voit déclaré que le livre est en rupture de stocks, les journalistes qui se sont renseignés auprès de l'éditeur doivent avoir eu la même réponse. Il y en a pourtant en vitrine chez de nombreux libraires qui profitent du soudain engouement pour ce livre pour faire de bonnes affaires, tandis que ceux qui ne furent pas prévoyants doivent espérer que la polémique ne se dégonfle pas avant qu'ils aient été fournis.

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Message Publié : 02 Mai 2008 14:14 
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Philippe de Commines
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Aspasie mineure a écrit :
A propos de phrases malheureuses échappées à des historiens reconnus, à propos de Détienne, voici ce que j'ai lu sous sa plume, dans Les Dieux d'Orphée (version malheureusement abrégée de l'Ecriture d'Orphée, parue récemment en livre de poche), au chapitre III "Des dieux parmi les hommes" (p.53, et qui m'a choquée de la part d'un savant. Et pourtant je suis beaucoup plus athée que lui !

Marcel Détienne a écrit :
La bonne nouvelle, un intermezzo permet de la faire savoir, c'est qe nous sommes des milliards de "polythéistes", c'est-à-dire des gens riches en dieux multiples : dans l'Inde, en Afrique, en Océanie, en Chine, au Japon et en bien d'autres lieux. La mauvaise nouvelle, on la connait déjà, c'est qu'une petite tribu, en milieu syro-cananéen, s'est donné entre deux campements un dieu colérique, de genre eunuque-unique, exigeant bientôt de ses dévôts une entière allégeance : un seul dieu, un seul peuple, une seule terre, avec pour conséquence une des plus regrettables erreurs de l'esprit si faible de l'espèce humaine. Je veux parler de la verrue monothéiste souvent cancérigène et qui continue de produire sous nos yeux les guerres et les massacres entre les "croyant d'un seul vrai dieu" s'affrontant au nom du Bien contre le Mal. Incident bien fâcheux mais qui ne doit pas nous surprendre en une si longue marche de l'humanité avec ses rêves et ses illusions de plusieurs centaines de milliers d'années.


Dans le genre injurieux, ça va loin. Et je ne suis pas sûre que ça ait beaucoup à voir avec une démonstration scientifique, ni avec la réflexion historique, d'autant qu'avant ou après ce paragraphe, Détienne se garde bien de développer davantage sa pensée, ne serait-ce que pour justifier ce qu'il vient de balancer parfaitement gratuitement.
Ce n'est pas pour faire le procès de Détienne ici, car ce n'est pas le sujet du fil, mais voilà de quoi relativiser les thèses douteuses de Gouguenheim.


Merci pour cet extrait. Je le trouve dans la droite ligne du "froid glacial" de Libéra (je sais, je sais, j'en ai déjà parlé, je vais arrêter avant que cela ne devienne une obsession :oops: )

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Message Publié : 02 Mai 2008 16:26 
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Une tribune de Youssef Seddik sur Télérama.fr

Citer :
Grecs et Arabes : déjà d’antiques complicités

Youssef Seddik est philosophe et anthropologue. Il est notamment l'auteur de Qui sont les barbares ? (L'Aube) et de L'arrivant du soir : cet islam de lumière qui peine à devenir (L'Aube). Il répond, dans cette tribune, à l'historien Sylvain Gouguenheim qui a déclenché une violente polémique et la fronde de dizaines d'universitaires avec son livre, Aristote au Mont Saint-Michel (Seuil), déniant le rôle des Arabes dans la transmission, au Moyen Age, du savoir grec à l’Europe.

Ce répugnant dessein de raturer les Arabes de la surface visible de l’Histoire n’est ni nouveau ni original : le grand Saladin, icône en Occident médiéval du « preux chevalier », n’était pas arabe mais kurde. Târîq Ibn Ziâd, l’hyponyme de Gibraltar, auteur d’une victoire éclair en Ibérie sur les Wisigoths, était berbère. Ishâq Ibn Huneyn, immense traducteur des œuvres grecques en arabe n’était que syriaque, chrétien qui plus est. Voilà parmi tant d’autres exemples ce qui tend à réduire à néant la notion même d’arabité. Il s’agit tout au plus, et surtout dès l’avènement de l’islam, d’établir l’idée que ces « gens-là » n’étaient qu’une poussière de bédouins dont la gestion de l’espace et du temps se reconnaît de l’éphémère et ne peut donc ni bâtir ni instituer ni rien avoir à transmettre au monde. Ces hommes n’avaient même pas droit pendant des siècles à se faire nommer par ce vocable d’Arabes qu’ils se donnaient à eux-mêmes : ils n’étaient que « Sarrasins » ou « païens » pour ces hordes de croisés qui allaient leur disputer une sépulture du Christ dont ils avaient toujours protégé et défendu la sacralité.

Car, la réplique à Sylvain Gouguenheim et à son fumeux pamphlet devrait commencer bien avant la querelle qu’il ramène sur la transmission à l’Europe renaissante d’Aristote et de l’hellénité du savoir. D’abord par la dénonciation de cette réduction raciste de l’Arabe au bédouin. Une telle dénonciation est inscrite à plusieurs reprises à même le Coran. Le geste de baptiser la première capitale de l’islam, du vivant même du prophète, par le vocable « Médine » ( La Cité), montre à quel point l’idée d’une « polis » constituait l’horizon du projet islamique. Mieux : le touriste, aujourd’hui, à travers les vestiges de la ville d’al-Hijr, au nord-ouest de l’Arabie Saoudite (ville qui donne son nom à la sourate XIV du Coran), peut admirer des édifices à frontons et colonnes dans la pure tradition architecturale grecque.

L’heureuse et profonde complicité des espaces grecs et arabes est bien plus étonnante et beaucoup plus ancienne dans l’énorme puzzle de l’histoire ancienne, très loin aujourd’hui d’être reconstituée et dont historiens, archéologues et épigraphistes ne disposent que de rares pièces. Avant de contester aux Arabes leur rôle de médiateurs et de passeurs, il convient pour la sérénité et l’humilité du savant de se poser des questions auxquelles l’état des matériaux et des recherches dont l’humanité dispose ne permet pas de répondre. Comment se fait-il en effet que, aussi loin que la mémoire puisse remonter, ce que les orientalistes appellent « le domaine arabe » ne connait en matière de monnaie que deux entités désignées de deux mots grecs : le dinar (qui donne denier en français) pour la pièce d’or, et le drachme pour la pièce d’argent, dirham, deux mots qui se trouvent dans le Coran ? Et comment expliquer ces nombreux emprunts coraniques au lexique grec, tels que « sema » (signe ou marque d’où « sémantique »), ou « zukhruf, » encore une fois l’intitulé d’une sourate (de « zoghrophiô », « je peins », « je décore », « j’enjolive »). Et puis, comment lire cette inscription en grec sur un ex-voto de l’île de Délos où il est dit qu’un commerçant arabe et son ami grec ont offert une libation, le premier à Appolon et le second à Wadd, l’équivalent du Dieu hellène dans le panthéon arabique, divinité curieusement citée dans la bouche du très biblique Noé dans le Coran ? Enfin, et toujours à titre seulement d’exemple, par quel « miracle » les Dioscures (ces dieux dynamiseurs du monde, venus tout droit de la tradition védique) se voient porter dans les temples de Samothrace le nom de « Cabires », mot qui signifie en arabe depuis toujours et aujourd’hui encore, les « grands » ?

Il est stupide qu’un historien, même quand il est spécialiste d’une époque ou d’une période, s’engage à asséner ces vérités comme si son sujet venait à la pensée et à la lisibilité, tout habillé de vérité et d’un ex nihilo historique. Par ailleurs, l’entreprise de ce médiéviste est frappée d’une amnésie bien plus dangereuse quand il s’agit d’un historien contemporain. Sylvain Gouguenheim oublie en effet, ou feint d’oublier, que l’espace du savoir arabe dont il parlait n’était pas régi par les normes et les frontières des nationalités et des appartenances territoriales, ethniques ou religieuses. La grande majorité des théoriciens de la grammaire arabe étaient persans. Les jurisconsultes qui ont fait passer les prescriptions coraniques dans les sommes juridiques venaient de tous les horizons du vaste empire. Médecins, chimistes et alchimistes, géographes, philosophes et théologiens de Fès, Kairouan, Alexandrie, Moussoul ou Bagdad ne se reconnaissaient que d’une appartenance commune, celle qui leur faisait consigner en arabe leur pensée et leurs découvertes. Peu importe qu’ils aient été musulmans ou chrétiens, sabéens ou juifs. Dès le début de l’islam, un des pères fondateurs de l’Eglise, Saint Jean Damascène (676-749), de son vrai nom Mansour Ibn Sarjûn, était tout à la fois vizir auprès du calife Marwân et grand pourfendeur de ce qu’il appelait l’hérésie islamique, sans que cela l’ait conduit au bûcher, comme il était d’usage en Europe jusqu’aux époques chantées par Sylvain Gouguenheim, et pour beaucoup moins que cela.


Un papier de Pascal Riché sur l'affaire, qui n'apporte rien de nouveau pour ceux qui ont suivi notre discussion, si ce n'est sa petite enquête sur le mobilisation de la blogosphère réactionnaire en soutien à Gouguenheim :

http://www.rue89.com/2008/05/02/baston- ... -de-lislam

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Message Publié : 02 Mai 2008 16:52 
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Philippe de Commines
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Florian a écrit :
Un papier de Pascal Riché sur l'affaire, qui n'apporte rien de nouveau pour ceux qui ont suivi notre discussion, si ce n'est sa petite enquête sur le mobilisation de la blogosphère réactionnaire en soutien à Gouguenheim :

http://www.rue89.com/2008/05/02/baston- ... -de-lislam


Eh bien, ça vole haut, de part et d'autre si on peut dire :rool:

A part les textes de PY Grenier et de RP Droit, je n'ai pour le moment lu qu'outrances, hors-sujet et calomnies, aussi bien de la part des pro que des anti...

Quatre exemples frappants (3 pro et 1 anti) pour compléter le tableau :

Désolant :
Le Figaro a écrit :
Félicitons M. Gouguenheim de n'avoir pas craint de rappeler qu'il y eut bien un creuset chrétien médiéval, fruit des héritages d'Athènes et de Jérusalem. Alors que l'islam ne devait guère proposer son savoir aux Occidentaux, c'est bien cette rencontre, à laquelle on doit ajouter le legs romain, qui 'a créé, nous dit Benoît XVI, l'Europe et reste le fondement de ce que, à juste titre, on appelle l'Europe'


Parfait exemple de calomnie (la dernière phrase est un régal de ce point de vue) :
Pierre Assouline a écrit :
Pierre Assouline, relaie l'émotion des historiens sur son blog. Il relève (non sans arrière pensée?) que Gouguenheim est un "spécialiste des chevaliers teutoniques, de la mystique rhénane ainsi que des croisades". Il accuse:

"Non seulement le site Occidentalis a publié les 'bonnes feuilles' de ce livre neuf mois avant sa parution, alors qu’il était encore à l’état de manuscrit, mais Sylvain Gouguenheim a semble-t-il posté des commentaires, nettement plus vifs et directs que dans son livre, pour défendre la même thèse (le rôle de l’islam dans la transmission du savoir gréco-latin à l’Occident est un mythe) sur le blog d’Occidentalis, site d’'islamovigilance', et sur Amazon.fr, commentaires signés 'Sylvain G.'… Encore reste-t-il à établir s’il s’agit bien de lui et non provocateur ayant parfaitement épousé sa rhétorique.


Des arguments précis et savamment étudiés :
Un abruti a écrit :
"Mon Dieu mon Dieu mon Dieu. Des groupes xénophobes s’expriment sur Internet. Que fait la police. Et alors, bordel de cul. Mais qu’est ce que ça peut faire, bon sang? Depuis que le monde est monde, les écrivains voient leur livres recyclés par des types auxquels ils n’auraient pas été serrer la main, c’est regrettable, mais c’est ainsi.

"Je préfère voir les groupes xénophobes et islamophobes plongés dans les bouquins de M. Gouguenheim qu’en train de taguer des croix gammées sur les cimetières, personnellement."


Ca ne vole pas haut, mais c'est au niveau de la plupart des arguments développés par les "anti" pour le moment :
Un autre blogueur a écrit :
"Cette fois-ci c’est au tour du médiéviste Sylvain Gouguenheim de comparaître devant le tribunal du Politburo islamogauchiste. Il n’est pas le premier. Il ne sera pas le dernier. [...] Moralité de l’histoire, au lieu de nous proposer un intéressant débat, ces historiens préfèrent nous proposer un petit procès moscovite, visant à classer cette thèse dans 'l’islamophobie ambiante', le tout à quarante contre un. Bravo, quel courage."


Finalement, la conclusion est lucide :
rue89 a écrit :
Toute cette controverse, qui aurait pu partir d'un bon pied -celui d'un échange musclé mais riche sur les racines de l'Europe, entre intellectuels adultes- semble donc tourner à l'échange stérile de noms d'oiseaux (l'insulte "fascistes" marche d'ailleurs dans les deux sens): de part et d'autre, on est invité à choisir son camp, sans forcément avoir lu le livre en question, et le débat ne passe plus que par des termes formatés, tranchés et définitifs. Dommage.


Bon, je retourne le lire.

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Message Publié : 02 Mai 2008 18:30 
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Dans toute cette histoire, je suis surtout frappé par le mutisme de Gouguenheim. Je ne sais pas trop qu'en penser ni comment l'interpréter.

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Message Publié : 02 Mai 2008 19:20 
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Deux papiers intéressants sur l'affaire à lire sur le blog de Blaise Dufal (EHESS):

http://www.mediapart.fr/club/blog/blais ... ievistique

http://www.mediapart.fr/club/blog/blais ... istoriques

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Message Publié : 02 Mai 2008 21:16 
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Merci pour ces deux références, ça me rassure, parce que plus je réfléchis au livre de Gouguenheim, que j'ai lu, je précise pour ceux qui auraient des doutes, plus je le trouve médiocre avec des démonstrations bancales.
Je me permets du coup de reproduire ici ce que j'en ai écrit cet après-midi à un ami universitaire (à part le voussoiement, je suis beaucoup moins policée qu'ici ! Mais je ne fais aucune révélation fracassante ni croustillante, je n'ai juste pas envie de réécrire ce que j'ai déjà écrit, c'est de la paresse) : Il y a un scandale qui agite le monde éditorial et la presse, et celui des médiévistes en ce moment, il s'agit du livre de Sylvain Gouguenheim Aristote au Mont-Saint-Michel. En avez-vous entendu parler ? J'ai du coup lu le livre pour me faire une idée et bof. Sous des apparences d'érudition et une belle écriture, je n'ai rien trouvé de bien neuf, ni de bien emballant, et quelques idées reçues qui ressortent régulièrement comme "on nous serine depuis notre plus tendre enfance avec l'Europe qui redécouvre les savoirs grecs antiques grâce aux auteurs arabes". Personnellement, on ne m'avait jamais serinée avec ça. J'ai plutôt eu la tendance "grandeur de la civilisation gréco-latine-à laquelle nous devons tout", et c'est beaucoup ça que je retrouve dans ce livre, passablement médiocre sur le fond à mon sens. En plus il n'évite ni les contradictions ni les incohérences : il fait toute une démonstration technique sur les différences entre les langues sémitiques et les langues indo-européennes et en tire comme conclusion que les langues sémitiques, dont l'arabe, sont impropres à traduire et à saisir la philosophie d'Aristote, par conséquent elles ne peuvent l'avoir appréciée, encore moins l'avoir fait passer à l'occident médiéval. CQFD. Soit. Mais comme il a peur de se faire traiter d'imbécile, il n'oublie pas de rappeler que des savants et penseurs arabes ont bien traduit et travaillé les oeuvres d'Aristote. Mais comment diable ont-ils donc réussi ? En bien ils étaient chrétiens... donc presque occidentaux. Soit, soit. C'est donc une affaire de religion (diable, diable, avec un Aristote païen, on n'est pas sorti d'affaire...). Mais alors si c'est une affaire de religion, pourquoi développer l'argument de la linguistique ? Eh bien, c'est linguistique ET religieux. Ah ah, je rigole. Un bon arabe est un arabe Chrétien. D'ailleurs, ils n'étaient pas arabes, mais syriaques, araméens et j'en passe. Pas persans. Pourtant, le persan est une langue indo-européenne (mais ça ne compte pas, il n'y a que des hérétiques, des païens et des musulmans). Est-il allé voir du côté du persan notre homme ? Pas à mes souvenirs, il faut dire qu'il cite beaucoup de noms exotiques pas catholiques du tout. Et qu'il entire rien moins qu'une grammaire des civilisations dans ses deux derniers chapitres, les plus contestables. Qu'est-ce qui pousse donc certains de nos savants à s'accrocher à notre héritage exclusivement chrétien gréco-latin comme à une bouée de sauvetage ? Ils ont peur de se noyer ?
Fallait-il s'emballer contre ce bouquin et contre son auteur ? Des étudiants et prof de l'ENS Lyon à laquelle il appartient ont même lancé une pétition pour demander "que la lumière soit faite sur des propos que SG aurait tenus sur des sites d'extrême droite". Rien ne va plus dans le monde universitaire (lyonnais !). Avait-il beaucoup d'ennemis qui attendaient un faux pas ?

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