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 Sujet du message : Re: L'historien à abattre
Message Publié : 17 Juil 2008 0:30 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines
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Shinji a écrit :
Ouille ouille ouille...
Le Figaro a écrit :
(...) des mots malsonnants aux oreilles d'une gauche bien-pensante pour laquelle l'Europe ne peut être que sans identité ni frontières.
(...) une police de la pensée.
(...) En France, où le terrorisme intellectuel a de beaux restes,
(...) une de nos spécificités nationales : la machine à discréditer.

Au Figaro, on n'a pas peur des mots. Et on a de grandes idées bien arrêtées. Un peu comme ces ahuris de détracteurs-gaucho-terroristes, finalement...


Ca doit être un remplaçant de l'été, en effet :wink:

Cela étant, c'est à la mesure du déferlement auquel on a assisté quand même...


Shinji a écrit :
on n'a pas peur des mots

Excellente émission d'actualité malheureusement supprimée par la direction de i-télé à la rentrée...

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Les facultés de conceptualisation de l'empereur Constantin paraissent avoir été très limitées ; malgré de longues séances, les évêques ne semblent pas avoir réussi à lui faire bien comprendre la différence qui séparait l'orthodoxie de l'arianisme. (Y. Le Bohec)

Bref, un homme "au front étroit mais à la forte mâchoire" (J.P. Callu)


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Message Publié : 28 Juil 2008 19:37 
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Historien, métier à hauts risques

Et si l'Europe ne devait pas ses savoirs au monde islamique?, demande Sylvain Gouguenheim

L'histoire est-elle devenue une discipline à hauts risques? C'est ce que l'on serait tenté de croire, tant les polémiques historiques suscitent de vives réactions en France depuis quelques années. Il y a trois ans, Olivier Pétré-Grenouilleau, un spécialiste de l'esclavage, avait dû affronter des menaces de poursuites judiciaires pour avoir publié un livre sur les traites négrières. Un collectif de militants proche du comédien Dieudonné lui avaient reproché d'étudier non seulement la traite européenne, mais celles qui se sont aussi déroulées dans le monde arabe et à l'intérieur du continent africain. Résultat: l'historien de réputation internationale avait été réduit au silence pendant des mois.

Cette fois, le couperet s'est abattu sur un personnage moins connu, Sylvain Gouguenheim, professeur d'histoire médiévale à l'École normale supérieure de Lyon, spécialiste du XIIe siècle et des chevaliers teutoniques. Pas moins de deux pétitions ont été lancées contre lui. La première, publiée dans le quotidien Libération et signée par 56 chercheurs, l'accusait de «racisme culturel». La seconde, signée par 200 élèves et employés de l'École normale supérieure de Lyon, demandait une «enquête approfondie» sur l'auteur.

L'objet du scandale est un livre, Aristote au Mont-Saint-Michel, les racines grecques de l'Europe chrétienne (Seuil), dans lequel l'historien entend ramener à de justes proportions le rôle du monde arabo-musulman dans la transmission à l'Europe des savoirs grecs qui furent à l'origine de la Renaissance. On s'en doute, l'enjeu est des plus actuels. Gouguenheim s'est donné pour tâche de remettre en question la thèse selon laquelle ce seraient essentiellement des savants du monde arabe, comme Averroès, Al-Farabi et Avicenne, qui auraient permis à l'Occident de renouer avec la rationalité grecque et donc de connaître la révolution scientifique et artistique qui a suivi.

Lorsque nous l'avons rencontré à Paris, l'historien sortait de deux mois de silence pendant lesquels, assommé par la violence des réactions, il avait refusé toute entrevue. «Les pétitions, j'en ai marre! Ce n'est pas une façon de faire des débats historiques.»

Le livre avait pourtant d'abord été encensé par le quotidien Le Monde, qui l'avait jugé «courageux» car il permettait «une étonnante rectification des préjugés de l'heure». «Somme toute, contrairement à ce qu'on répète crescendo depuis les années 60, la culture européenne, dans son ensemble et son développement, ne devrait pas grand-chose à l'islam», concluait le philosophe Roger Pol-Droit. Même jugement très flatteur du côté du Figaro, pour qui Gouguenheim n'a «pas craint de rappeler qu'il y eut bien un creuset chrétien médiéval, fruit des héritages d'Athènes et de Jérusalem».

C'est par la suite que les choses se sont gâtées. Plusieurs chercheurs ont attaqué une démarche qui n'avait «rien de scientifique», disaient-ils, de «prétendues découvertes» et des «raisonnements fallacieux». Certains iront jusqu'à accuser l'auteur de «révisionnisme» et de sympathies d'extrême droite, en invoquant la publication de certaines pages du livre dans un site anti-islamique avant sa sortie au Seuil. Une critique que réfute l'auteur en disant qu'il n'est pas responsable de ce qu'ont fait les personnes à qui il a distribué des extraits de son manuscrit. La critique a atteint une telle véhémence que le grand historien Jacques Le Goff est sorti de sa réserve. Si elle est évidemment «discutable», la thèse de ce livre demeure «intéressante», a soutenu Le Goff, qui a invité l'auteur à son émission sur France Culture en signe de solidarité.

Les origines de la Renaissance

S'il connaît bien le Moyen Âge et Byzance, Gouguenheim avoue ne pas être un spécialiste de l'islam. C'est lors d'un cours qu'il a donné à la Sorbonne sur les échanges culturels en Méditerranée qu'il a commencé à s'intéresser à la question. «À l'époque, je défendais la thèse communément admise de la transmission de l'héritage grec par l'islam, sans trop me poser de questions. J'ai alors découvert de nombreux textes érudits d'auteurs très différents qui démontraient la volonté des hommes du Moyen Âge de découvrir le savoir grec.»

C'est alors qu'il s'intéresse à Jacques de Venise, grand traducteur d'Aristote. «Évidemment, les spécialistes connaissaient Jacques de Venise depuis longtemps, mais dans les manuels ça ne faisait que quelques lignes. Je suis allé consulter ses manuscrits à Avranches. J'ai été renversé en voyant le nombre de traductions annotées et les centaines de copies qui en avaient été faites. Au total, j'ai découvert entre 200 et 300 copies de certains textes. Je me suis alors dit que la traduction des Grecs était certes passée par des intermédiaires arabo-musulmans, cela ne fait aucun doute. Mais que la transmission directe du grec au latin avait aussi eu son importance.»

Gouguenheim dit avoir essentiellement voulu rétablir un équilibre. «Il faut arrêter de dire qu'on n'a rien fait et que la filiation directe du grec au latin est mineure. Moi, je dis qu'elle n'est pas si négligeable que ça. Les textes grecs suivent trois chemins: le monde arabo-musulman, les monastères à la périphérie de l'Europe et Byzance qui avait conservé la filiation grecque. Je ne sais pas quelle filière a été la plus importante, mais il n'y en avait pas qu'une. Pour trancher, il faudrait faire des recherches plus poussées. Nous entrons là dans un vrai problème historique. J'ai malheureusement l'impression que ceux qui ont étudié le monde arabo-musulman ont eu tendance ne privilégier qu'une seule source.»

En discutant avec l'historien, on a le sentiment que deux grandes démarches historiques semblent aujourd'hui se télescoper. Depuis les années 1960, de nombreux chercheurs ont mis en lumière le rôle de Bagdad, de Tolède, de Cordoue et des grands savants arabes du début du second millénaire, dans la transmission de l'héritage grec. Mais, en même temps, les historiens ont rompu avec la vision d'un Moyen Âge qui n'aurait été que barbarie et ignorance. On parle aujourd'hui de la Renaissance carolingienne et même des Renaissances successives survenues au Moyen Âge.

Pas de grande noirceur

«L'idée d'un Moyen Âge qui aurait été une époque noire est radicalement fausse. Cette image a été cassée par Jacques Le Goff, Georges Duby et tous les médiévistes que j'ai eus comme professeurs. Depuis 30 ou 40 ans, plus aucun d'entre eux ne considère le Moyen Âge comme une époque noire. Pourtant, depuis quelques années, dans le public, on est en train de restaurer cette vision éculée, notamment dans certains manuels scolaires. Bien sûr, Charlemagne n'est pas Napoléon entouré de savants. Mais ce n'est pas non plus une sombre brute inculte. Il y a dès cette époque une demande de textes grecs. La motivation de départ est religieuse, évidemment. Les hommes du Moyen Âge savent que la culture antique a existé, ils en ont gardé un peu, mais ils cherchent à la retrouver. Chez les lettrés, on cherche ce monde gréco-romain.»

Gouguenheim ne cache pas son accord avec la thèse défendue par le théologien Joseph Ratzinger, devenu depuis le pape Benoît XVI, selon laquelle la raison et la philosophie grecque sont consubstantielles à l'héritage chrétien. Ce qui ne veut pas dire que la chrétienté n'a pas trahi ses racines grecques à plusieurs reprises, précise-t-il.

«Ce qui me gêne, c'est quand on dit que l'islam en tant que religion a influencé la civilisation européenne. Ça, je n'y crois pas. Si on dit que le monde islamique a eu des savants et des chercheurs -- qui étaient d'ailleurs souvent chrétiens ou juifs, même s'ils écrivaient en arabe -- et que, après, ces savants ont produit des travaux qui ont influencé l'Occident, alors je suis d'accord. Mais les théologiens chrétiens ne se sont pas inspirés des théologiens musulmans. Je tente de distinguer religion et civilisation. J'ai essayé de ne pas confondre la religion musulmane et la civilisation arabo-musulmane, qui est autre chose. Dans le grand public, on ne fait plus cette distinction.»

Dans son livre, Gouguenheim insiste pour rappeler que de nombreux savants du monde arabo-musulman étaient syriaques, persans, kurdes et souvent même chrétiens, bien qu'ils écrivaient tous en arabe. Mais un «dialogue», comme on dit parfois, entre l'islam et la chrétienté, il n'en voit guère. «Au Moyen Âge, le dialogue entre la chrétienté et l'islam n'existe pas. Il n'y a pas de dialogue entre philosophes, entre penseurs. Il y a eu des échanges. Mais des influences profondes d'un des deux mondes sur l'autre, je n'y crois pas.»

L'«islam des Lumières»?

C'est pourquoi Gouguenheim réfute l'idée d'un «islam des Lumières», dont il comprend pourtant bien qu'elle soit souvent défendue par des musulmans soucieux de faire évoluer leur propre religion. «L'expression "islam des Lumières" me pose problème. Pour un Européen, les Lumières, c'est Voltaire, la critique des religions et l'athéisme. Or les philosophes musulmans du XIIe siècle n'attaquent jamais la religion. Ce sont de grands penseurs, mais en faire des agnostiques tolérants, c'est faire de l'ethnocentrisme. Ils n'utilisaient pas la raison pour critiquer la religion. Que des gens comme Abdelwahab Meddeb et Malek Chebel souhaitent un islam des Lumières, j'en suis. Mais qu'ils disent que cet islam des Lumières a existé au Moyen Âge, ça me gêne. C'est normal, on est au XIIe siècle. Même en Occident, il ne faut pas confondre saint Thomas avec Voltaire et Descartes. Ce qui ne veut pas dire que certains instruments de la pensée ne sont pas nés à cette époque et qu'ils ne serviront pas un jour à critiquer la religion. On est parti d'une vision au XIXe siècle où le monde arabo-musulman n'avait rien fait du tout, pour basculer dans l'idée inverse. On m'accuse de racisme culturel. Les Chinois n'ont pas assimilé l'héritage grec. Ce n'est pas être raciste que de le dire.»

Cela n'implique pas que Sylvain Gouguenheim ne regrette pas certaines affirmations un peu péremptoires présentes dans son livre. Il ne réécrirait probablement pas, comme il l'a fait, que l'arabe est une langue plus portée vers la poésie que vers la raison, comme le lui a reproché Alain de Libera, spécialiste de la philosophie médiévale, dans un article virulent. Le chercheur dit avoir beaucoup appris des lettres que lui ont adressées plusieurs spécialistes de l'islam. Mais il n'est pas certain que l'universitaire intervienne à nouveau dans cette polémique. Échaudé par la violence des réactions qu'il a suscitées, il devrait revenir à son champ de prédilection, les chevaliers teutoniques et la mystique rhénane. Un domaine plus paisible où l'on ne risque pas de se faire écorcher sur la place publique. Du moins, pas pour l'instant...

Christian Rioux

Source: http://www.ledevoir.com/2008/07/28/199465.html

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Message Publié : 22 Août 2008 18:03 
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L'UMR 8163 « Savoirs, Textes, Langage » de Lille 3 et l’EA 2482 « Groupe de Recherche Antiquité, Moyen Âge, Transmission Arabe » de Paris 1 organisent le 4 octobre une table ronde autour d'Aristote au Mont-Saint-Michel de S. Gouguenheim.

Je reproduis ci-dessous le texte de présentation de la table-ronde:

Citer :
La récente polémique suscitée par le livre de Sylvain Gouguenheim, Aristote au Mont-Saint-Michel. Les racines grecques de l’Europe chrétienne, amène les médiévistes à se poser un certain nombre de questions. L’une d’elles est centrale : En quoi ce livre est un déni à la méthodologie historique et à la déontologie des historiens ? Elle sera traitée de différents points de vue : histoire de la philosophie, histoire des sciences, histoie de la médecine, histoire sociale (Maison de la Sagesse), codicologie (Jacques de Venise), analyse linguistique… Il s’ensuit deux autres questions, qui seront également abordées : Comment un éditeur prestigieux a pu faire paraître un pareil livre ? Pourquoi une presse de qualité a-t-elle pu lui réserver un accueil aussi élogieux ?

Il ne s’agit pas d’instruire le procès d’un auteur ni d’instaurer une police de l’intelligence. Il s’agit de s’interroger sur les conditions de la production et de la diffusion du savoir. Les médiévistes sont aussi des citoyens et leurs recherches conduites grâce aux deniers publics doivent dépasser le monde clos des spécialistes pour se faire entendre dès lors qu’une controverse touche au millénaire médiéval de l’histoire européenne.

Cette table ronde vise par dessus tout à introduire plus de rationalité et de sérénité dans les débats actuels sur les rapports entre les cultures.


Intervenants : Hélène Bellosta (CNRS), Franco Cardini (Istitut Italiano di Scienze Umane, Florence), Sten Ebbesen (Institute for Greek and Latin, Copenhagen), Abdelali Elemrani-Jamal (CNRS), Marie-Geneviève Guesdon (BNF), Danielle Jacquart (EPHE), Jean Jolivet (EPHE), Max Lejbowicz (Paris 1), Irène Rosier-Catach (EPHE) ; des contacts sont en cours pour couvrir d’autres champs de la recherche.

Le programme définitif sera arrêté au début du mois de septembre.

Source: http://gramata.univ-paris1.fr/Table-ron ... le-et.html



Informations pratiques:

Samedi 4 octobre 2008, de 9 à 18 heures
salle Cavaillès de l’UFR de philosophie de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne,
17, rue de la Sorbonne, Paris Ve Escalier C, 1er étage

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Message Publié : 12 Sep 2008 13:18 
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Flammarion réédite en poche deux ouvrages directement liés au débat autour des thèses de S. Gouguenheim:

Image

Présentation de l'éditeur:

Citer :
Qu'est-ce que la période pré-moderne, à savoir le Moyen Age, a apporté à la philosophie ? C'est l'objectif de ce livre que de l'expliquer. Rémi Brague nous montre ainsi que les médiévaux ont su aller chercher, en dehors de leur expérience immédiate, chez les Anciens, et même en dehors de leur tradition propre, dans le monde arabe, des données culturelles, qu'ils ont travaillées, développées, prolongées. Et cela, sans jamais oublier que ce qu'ils empruntaient venait du dehors. C'est l'époque - décisive - où l'Europe s'engage dans une dialectique sans fin : la voilà qui trouve son moteur dans l'étrangeté même de ce qu'elle veut assimiler et qui, restant au dehors, continue de susciter son désir. Loin des idées reçues et des querelles partisanes, Rémi Brague nous invite ici à une meilleure connaissance de nos racines intellectuelles et culturelles.


Image

Présentation de l'éditeur:

Citer :
Né à Cordoue en 1126, mort à Marrakech en 1198, Averroès (Ibn Rushd) fut l'un des penseurs les plus universels du Moyen Age musulman : tout à la lois médecin, cadi, juriste, philosophe, il s'est intéressé à l'ensemble des savoirs profanes et religieux de son temps. Ce polygraphe dont le grand œuvre - le cycle des commentaires d'Aristote - fera découvrir la pensée du premier maître à l'Occident chrétien est aussi le témoin des bouleversements qui ébranlent alors l'Andalousie : Averroès n'a guère plus de vingt ans quand la révolution almohade fond sur le pays, emportant le fragile édifice almoravide, et il devient dès lors un homme public, habitué des cours royales. Il connaît la faveur et l'exil, mais écrit inlassablement. L'immense postérité intellectuelle d'Averroès n'a d'égale que l'ampleur des entreprises de récupération dont il a fait l'objet. Les lacunes qui grèvent cette existence mythique ont en effet favorisé la floraison des représentations partisanes : incarnation de la rationalité philosophique selon les uns, théologien éminent selon les autres, Averroès est devenu le fantoche de ses disciples et hagiographes. En faisant œuvre biographique, Dominique Urvoy veut donner la mesure de celui qui fut, avant la lettre, un intellectuel musulman : un esprit curieux, cherchant à concilier sagesse et loi religieuse, en quête d'un statut qui restait à inventer.

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Message Publié : 01 Oct 2008 16:46 
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Le programme final du colloque de samedi :

Citer :
Identité culturelle et complexité

Publié le jeudi 21 août 2008 par Raphaëlle Daudé
Résumé

La récente polémique suscitée par le livre de Sylvain Gouguenheim, « Aristote au Mont-Saint-Michel. Les racines grecques de l’Europe chrétienne », amène les médiévistes à se poser un certain nombre de questions. L’une d’elles est centrale : En quoi ce livre est un déni à la méthodologie historique et à la déontologie des historiens ? Elle sera traitée de différents points de vue : histoire de la philosophie, histoire des sciences, histoire de la médecine, histoire sociale, codicologie (Jacques de Venise), analyse linguistique… Il s’ensuit deux autres questions, qui seront également abordées : Comment un éditeur prestigieux a pu faire paraître un pareil livre ? Pourquoi une presse de qualité a-t-elle pu lui réserver un accueil aussi élogieux ?

Il ne s’agit pas d’instruire le procès d’un auteur ni d’instaurer une police de l’intelligence. Il s’agit de s’interroger sur les conditions de la production et de la diffusion du savoir. Les médiévistes sont aussi des citoyens et leurs recherches conduites grâce aux deniers publics doivent dépasser le monde clos des spécialistes pour se faire entendre dès lors qu’une controverse touche au millénaire médiéval de l’histoire européenne.

Cette table ronde vise par dessus tout à introduire plus de rationalité et de sérénité dans les débats actuels sur les rapports entre les cultures.

Matinée
Présidence : Jean CELEYRETTE

9h-9h15 Accueil des participants

9h15-9h45, John TOLAN, Aristophane au Mont-Saint-Michel ? Les écueils de la recherche identitaire

9h45-10h15, Jean JOLIVET, Une escapade aventureuse

Pause

10h30-11h, Marie-Geneviève GUESDON, La Maison de la Sagesse : une institution hors de l’histoire ?

11h-11h30, Hélène BALLOSTA, S. Gouguenheim et la science arabe, ou qui veut noyer son chien…

11h30-12h, Danielle JACQUART, Titre à préciser

Après midi
Présidence : Christophe GRELLARD

14h-14h30, Abdelali ELEMRANI-JAMAL, Impuissance de la langue arabe

14h30-15h, Sten EBBESEN, Jacques de Venise

15h-15h30, Irène CATACH-ROSIER, « Mais qui connait Jacques de Venise ? »

Pause

15h45-16h15, Franco CARDINI, Encore au sujet de Dante et de l’Islam

16h15-17h45, Max LEJBOWICZ, La prison des mots et des passions. Brèves remarques sur l’itinéraire d’un médiéviste

Table ronde coorganisée par l’UMR 8163 « Savoirs, Textes, Langage » de Lille 3 et l’EA 2482 « Groupe de Recherche Antiquité, Moyen Âge, Transmission Arabe » de Paris 1

Samedi 4 octobre 2008, de 9 à 18 heures
salle Cavaillès de l’UFR de philosophie de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne,
17, rue de la Sorbonne, Paris Ve Escalier C, 1er étage

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Message Publié : 05 Oct 2008 16:27 
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Un article paru dans la dernière livraison des Lettres françaises (4 octobre):

Citer :
Transmission, appropriation ou circulation des savoirs ?

En mars 2008, Sylvain Gouguenheim, professeur d’histoire médiévale à l’ENS de Lyon, a créé la polémique avec son ouvrage Aristote au mont Saint-Michel. Les racines grecques de l’Europe chrétienne, en affirmant que « l’hellénisation de l’Europe chrétienne fut avant tout le fruit de la volonté des Européens eux-mêmes », et que l’islam n’y est pour rien.

Pour Alain de Libéra, philosophe, l’évidence est là : « que les "Arabes" aient joué un rôle déterminant dans la formation de l’identité intellectuelle de l’Europe… est une… (chose) qu’il n’est pas possible de « discuter », à moins de nier l’évidence » (1).

C’est cette « évidence » que Gouguenheim relève pour la « discuter ». L’auteur assène une série d’affirmations sur l’incapacité de l’islam à assimiler les sciences, ainsi interroge-t-il : « Y a-t-il des concepts, des représentations, du monde, des techniques (artistiques ou matérielles), spécifiquement islamiques, qui feraient de l’Europe une sorte d’héritière ou d’appendice du monde musulman ? » Pour mesurer la façon dont l’héritage grec fut transmis à l’Europe, l’auteur se propose d’« évaluer la place et le rôle des élites chrétiennes (européennes et arabes)… » Le glissement s’opère déjà, car les chrétiens arabes sont englobés dans « le monde occidental chrétien », notion qu’Alain de Libéra trouve « dangereuse. Celle d’Occident médiéval est universellement reçue ; on peut, cependant, lui en préférer une troisième : celle de Moyen Âge latin ». Pour Rémi Brague, philosophe, « l’Europe n’est pas seulement grecque, ni seulement hébraïque, ni même gréco-hébraïque. Elle est tout aussi décidément romaine ». Le christianisme n’est pas propre à l’Europe ; il « est dès le début africain, avec l’Église monophysite d’Éthiopie, et oriental, avec les nestoriens d’Asie centrale et de Chine… sans parler des chrétiens d’Orient… » (2).

Gouguenheim entend ainsi « rappeler tout ce que le développement scientifique du bassin méditerranéen et de l’Europe doit aux chrétiens syriaques des VIe-Xe siècles. La science arabo-musulmane, en particulier, leur est redevable du socle de ses connaissances ». Tous les historiens et philosophes qui ont travaillé sur la pensée musulmane s’accordent à dire que, sous les Abbassides, « il faut parler du grand héritage humain. De fait, « on puise aux six littératures alors connues - hébraïque, syriaque, persane, hindoue, latine et grecque -, et l’on envoie des missions chercher des livres en Perse, aux Indes, à Constantinople. Que traduit-on ? Tout ou presque… Que fait-on de ces textes ? On les lit, d’abord, on les commente, ensuite, et, par un choc en retour, on en conçoit d’autres, on invente, on innove, on continue l’héritage humain ; bref, il y a ce qu’on appellerait aujourd’hui une vie intellectuelle ». Ce que remet en cause Gouguenheim, disqualifiant les chroniqueurs arabes, ainsi en est-il d’Al Nadim, auteur du Fihrist : « Quel crédit accorder à l’auteur… dont le texte est postérieur de plus de cent cinquante ans aux faits relatés ? » Il n’a aucune remarque sur les chroniqueurs occidentaux.

Gouguenheim s’en prend à Bayt Al Hikma (maison de la sagesse) dont « la réputation est (…) en grande partie une légende… ». Quand bien même ce serait un mythe, il ne peut nier que « des clercs européens reprirent à plusieurs lettrés, arabes ou persans, musulmans, juifs et chrétiens, des commentaires philosophiques, dont l’influence fut réelle », ajoutant un bémol : « bien qu’ils aient fait l’objet d’un filtre et d’une réadaptation ».

Continuant son travail de « rééquilibrage scientifique », il affirme que « les prolongements ou les avancées effectués en mathématiques, en optique par des savants arabes, quant à eux, n’ont pas tous été connus de l’Europe, laquelle progressa de son propre chef ». Il n’empêche : les recherches récentes ont permis de savoir l’importante contribution des savants des pays d’islam, entre les VIIIe et XIIIe siècles, dans des domaines divers « il s’agit de la combinatoire, des carrés magiques, de la science du temps, de l’algèbre et de la trigonométrie ».

La démonstration de Gouguenheim est sujette à caution quand il affirme que la philosophie grecque est étrangère à l’islam, car elle l’est aussi au christianisme, dans son origine ! Et « la falsafa était partie intégrante de la pensée dans le monde musulman ». Distinguer les savants chrétiens Hunayn, Ishaq, Yahya Ibn ’Adi qui travaillaient à traduire et interpréter les ouvrages des Anciens est chose facile et injuste, ce sont des chrétiens d’Orient qui appartiennent et concourent à la civilisation arabo-musulmane. Ils n’ont rien d’européen, n’appartiennent pas à cet « Occident chrétien » que certains agitent aujourd’hui comme un épouvantail pour parler de « choc des civilisations ». Nier le rôle des penseurs d’islam est un argument entre les mains des tenants d’une histoire de la pensée purement occidentaliste, et Gouguenheim s’y risque allègrement, devenant le pendant de tout un courant politique et intellectuel arabo-musulman - islamiste plus précisément - qui, lui aussi, nie la filiation grecque en islam, en raison de son apport du politique.

Autre parti pris, « ce que nous appelons de nos jours sciences s’est développé à partir du XVIe siècle, bien que les premiers pas aient été accomplis dès le XIIIe », affirmant avec force : « l’Europe - et l’Europe seule - a créé la science moderne. » Quid de la science chinoise, indienne ? Non, la science est apparue aussi ailleurs : c’est une donnée reçue et acceptée par les historiens. Que « la physique mathématisée, en revanche, (soit) apparue en Europe avec la révolution attachée au nom de Galilée », oui. « Et de même, à sa suite, la technique et le machinisme industriel. » Gouguenheim va plus loin, affirmant que « l’Europe n’a pu être influencée par des politiques propres à des sociétés avec lesquelles elle n’eut aucun contact ». Aucun contact ? La longue proximité avec l’islam, notamment méditerranéen, atteste du contraire : « C’est avec cet islam-là que les Européens sont très vite entrés en contact et qu’ils sont surtout restés en rapport », précise Franco Cardini (3). L’écrivain Jean-Jacques Gonzalès ne dit pas autre chose en s’interrogeant « sur le tissu de médiations qui s’entremêla depuis l’Antiquité jusqu’au Moyen Âge pour se poursuivre jusqu’à notre plus extrême modernité » (4). Gouguenheim rappelle que « les Européens… ont été plus inspirés par les tragédies d’Eschyle ou les comédies d’Aristophane que par les débats des loya jirga afghanes ». Il y a là comme du mépris pour cette culture qui a créé les deux statues de Bouddha - dynamitées par les taliban -, classées patrimoine mondial de l’humanité. Ce sont ces mêmes loya jirga afghanes - en tout cas les représentants de cette culture - qui pourraient avoir donné naissance à la peinture à l’huile au VIIe siècle, alors que l’on croyait à une invention occidentale du XVe siècle (5).

Gouguenheim prend pour prétexte « la barrière de la langue », et son affirmation est sans appel : « dans une langue sémitique, le sens jaillit de l’intérieur des mots, de leurs assonances et de leurs résonances, dans une langue indo-européenne, il viendra d’abord de l’agencement de la phrase, de sa structure grammaticale (…) Par sa structure, la langue arabe se prête en effet magnifiquement à la poésie ».

Pourtant, c’est dans cette langue arabe que de nombreux ouvrages indiens, perses, grecs ont été traduits par des savants arabes, chrétiens ou musulmans (6). C’est dans la langue arabe que de nombreux savants occidentaux ont effectué leurs recherches, sinon leurs travaux : n’est-ce pas le cas, entre autres, du mathématicien italien Fibonaci à l’université de Bejaïa, au XIIIe siècle.

Gouguenheim donne en annexe II une liste de vingt « savants arabes chrétiens du VIIIe au XIe siècle » : quatre sont mentionnés comme traducteurs d’oeuvres. Nous savons cependant qu’au VIIIe siècle, « pour nous en tenir aux seuls traducteurs dûment répertoriés, leur nombre dépasse la centaine… en Orient, et souvent à Bagdad ». Dans son réquisitoire, Gouguenheim n’hésite pas à affirmer que « les traductions du grec en arabe par les chrétiens (sont) une oeuvre gigantesque et oubliée (c’est moi qui souligne) ». Une telle affirmation est injuste, sachant qu’ils sont nombreux les historiens, les philosophes, les chercheurs qui rappellent et / ou rapportent ces faits.

Et s’il faut parler « d’appropriation des savoirs grecs et arabes par des groupes encore très minoritaires dans les sociétés de l’Europe médiévale », comme l’entend Ahmed Djebbar, il y a lieu de relever qu’autour de cette notion de transmission, il y a un jeu confus et hypocrite, car la manière dont un savoir circule entre les nations, les peuples et les civilisations est un processus historique long et complexe qui ne se réduit pas à la volonté des uns de partager ni à celle des autres d’apprendre. Autrement dit, la notion de « transmission » doit être vidée de tout contenu volontariste et patrimonial pour faire place à celle de circulation objective des savoirs et des pratiques. C’est à ce titre qu’Henri-Irénée Marrou disait : « … je voudrais vous montrer qu’il y a eu un transfert du sud vers le nord… le christianisme africain a été l’agent fécond et efficace d’un transfert de culture d’Afrique en Europe. L’Église d’Afrique a été une des grandes éducatrices de la chrétienté latine. Elle est une des composantes essentielles de la création de cet Occident latin qui est devenu la civilisation occidentale au-delà du christianisme… Je crois que vous, Maghrébins, vous devriez être assez fiers de cela, d’avoir offert à l’Europe ces maîtres qui l’ont formée… qu’ils s’appellent Tertullien, Cyprien, Augustin… La chrétienté latine tout entière, l’Europe occidentale tout entière a été de la sorte fécondée, éduquée par vos ancêtres… chers amis maghrébins ». Et Sylvain Gouguenheim ne convainc pas du contraire. Adélard de Bath pourrait lui répondre : « Moi, j’ai en effet appris de mes maîtres arabes à prendre la raison pour guide, toi tu te contentes de suivre en captif la chaîne d’une autorité fabulatrice. »

L’historien arrête son essai « volontairement à la fin du XIIe siècle », passant sous silence l’Andalousie, « l’un des principaux centres culturels du monde médiéval », et la Sicile, foyer intellectuel important, pendant presque quatre siècles, du XIIIe au XVIe siècle. Cette « tentative de rééquilibrage scientifique », ainsi nommée par l’auteur, occulte un passé commun, une mémoire commune, une proximité longue et forte.

(1) Alain de Libéra, Penser au Moyen âge. éditions du Seuil(Points Essais), 1991.

(2) Rémi Brague, Europe, la voie romaine. éditions Criterium, 1992.

(3) Franco Cardini : Europe et Islam. Histoire d’un malentendu, collection Faire l’Europe, éditions du Seuil, Paris 2000 ;

(4) Jean-Jacques Gonzalès : Mémoire pour la Méditerranée : le Maghreb, l’immigration et l’identité européenne, in L’interpénétration des cultures dans le bassin occidental de la Méditerranée, actes du colloque Sorbonne 2001, éditions Mémoire de la Méditerranée, Paris 2003.

(5) Des scientifiques japonais, français, américains viennent de découvrir, dans la région afghane de Bamiyan, les plus anciennes peintures à huile jamais découvertes, datant du VIIe siècle, plusieurs centaines d’années avant que cette technique soit « inventée » en Europe. La peinture à huile, a en effet fait son apparition en Europe à partir du XIIIe et du XIVe siècle et avait été découverte à cette époque par le peintre hollandais Jan Van Eyck. Ces peintures religieuses décorent des grottes situées derrière l’emplacement des deux statues de Bouddha de Bamiyan, détruites par les talibans en 2001.

(6) Ahmed Djebbar : la Science arabe ; entre héritage gréco-indien et réception européenne, in L’âge d’or des sciences arabes, éditions Actes Sud / Institut du Monde Arabe, Paris, 2005 (catalogue de l’exposition présentée à L’Institut du Monde Arabe, Paris, 25 octobre 2005- 19 mars 2006).

Yahia Belaskri

Source: http://www.humanite.fr/2008-10-04_Cultu ... es-savoirs

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Message Publié : 10 Oct 2008 18:55 
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Dans le cadre des Rendez-vous de l'Histoire, "Le Monde des livres" organise un débat le 10 octobre, au château de Blois, de 16 heures à 17 h 30. Intitulé "Polémique sur les racines de l'Europe", ce débat reviendra sur la controverse provoquée par le livre de Sylvain Gouguenheim, Aristote au Mont-Saint-Michel (Seuil). Rencontre animée par Jean Birnbaum, avec la participation d'Anneliese Nef et Patrick Boucheron, historiens, Dominique Urvoy, islamologue, et Roger-Pol Droit, philosophe et collaborateur du Monde.

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Message Publié : 16 Oct 2008 12:38 
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Penser l'"affaire Gouguenheim"

Depuis le printemps, le petit monde des spécialistes du Moyen Age est dans tous ses états. En cause, la publication au Seuil, dans la prestigieuse collection "L'univers historique", d'un livre de Sylvain Gouguenheim, professeur d'histoire médiévale à l'Ecole normale supérieure de Lyon. Intitulé Aristote au Mont-Saint-Michel. Les racines grecques de l'Europe chrétienne, cet ouvrage relativise le rôle des savants arabes dans la transmission de l'héritage grec à l'Occident chrétien. "Le travail de Sylvain Gouguenheim va susciter débats et polémiques", avertissait Roger-Pol Droit dans "Le Monde des livres" du 4 avril. Juste pressentiment. De nombreux historiens, en effet, ne tardèrent pas à réagir, à la fois contre l'ouvrage et contre le compte rendu, jugé trop peu critique, paru dans nos colonnes.

Depuis, la controverse n'a pas cessé, quitte à donner le sentiment d'un décalage entre l'accueil plutôt bienveillant rencontré par le livre dans la presse et l'indignation qu'il suscite dans une large partie de la communauté historienne. Ce dont témoigne la publication de tribunes, l'organisation de tables rondes, et même - fait exceptionnel - la constitution d'un comité d'experts chargé d'examiner l'ouvrage. L'étude de ces tensions entre la scène médiatique et le monde académique était au coeur du débat consacré par "Le Monde des livres" à l'"affaire Gouguenheim", vendredi 10 octobre, lors des 11es Rendez-vous de l'histoire de Blois.

"Je ne connais pas d'exemple de livre qui ait été aussi unanimement réfuté par les historiens professionnels et qui, malgré cela, continue de mordre dans l'espace public", s'est étonné Patrick Boucheron, maître de conférences à l'université Paris-I, en regrettant l'absence de l'auteur à ce débat. M. Boucheron a par ailleurs dénoncé "un livre truqué", "un pamphlet déguisé en livre d'histoire". L'auteur, a-t-il déploré, s'est "affranchi de toutes les méthodes élémentaires qui fondent notre métier, notamment dans la critique des sources".

Une opinion partagée par Annliese Nef, maître de conférences à Paris-IV. Citée dans une note consacrée au géographe arabe Al-Idrîsî, l'historienne s'est emportée contre son collègue qui, selon elle, "utilise les notes à contre-emploi pour faire dire aux références le contraire de ce qu'elles disent en réalité". "Il s'appuie sur un article que j'ai écrit avec Henri Bresc pour expliquer qu'Al-Idrîsî n'avait aucune curiosité pour l'Occident, alors que c'est exactement le contraire que nous avons essayé de démontrer", a-t-elle expliqué.

D'autres critiques ont été formulées. En particulier sur le rôle de Jacques de Venise au Mont-Saint-Michel. Selon Gouguenheim, en effet, ce savant du XIIe siècle aurait joué un rôle pionnier dans la diffusion de la pensée aristotélicienne en Occident. Avant, donc, Averroès. "Ce sont les pages les plus fausses du livre", a affirmé Anneliese Nef, en se référant notamment à l'historien danois Sten Ebbesen.

La discussion s'est ensuite déplacée sur l'image que le livre donne de l'islam. Si Gouguenheim a été attaqué, n'est-ce pas aussi parce qu'il a cherché à torpiller quelques idées reçues ? C'est l'hypothèse de Dominique Urvoy, professeur de pensée et de civilisation arabes à l'université de Toulouse-II. "Depuis le XIXe siècle, l'idée s'est imposée que l'Occident devait son développement aux traductions faites de l'arabe. C'est contre cette doxa que Sylvain Gouguenheim a réagi", a-t-il expliqué. "Le livre se présente en effet comme révolutionnaire, mais le problème est que cela n'est pas vrai du tout", s'est emportée Annliese Nef, qui a dénoncé la tendance de l'auteur à "projeter" sur le Moyen Age une vision contemporaine de l'islam.

Le mot n'a pas été prononcé, mais c'est bien d'anachronisme que l'historien s'est rendu coupable aux yeux de nombre de ses collègues. Plus grave encore, l'anachronisme servirait en fait une cause politique. En suggérant par exemple que la langue arabe se prête plus à la poésie qu'au maniement des concepts philosophiques, Gouguenheim développerait, selon Patrick Boucheron, une vision du monde "huntingtonienne" (en référence aux travaux du politologue américain Samuel Huntington sur le "choc des civilisations").

Et si la clé de l'"affaire Gouguenheim" était là ? "La virulence des réactions est liée à l'après 11-Septembre, au fait que nous sommes dans une guerre idéologique", a suggéré Roger Pol-Droit. Ainsi s'expliquerait, selon Patrick Boucheron, l'intérêt suscité par le livre : "Quand vous écrivez, après le 11-Septembre, que nous ne devons rien aux Arabes, eh bien, vous dites quelque chose qui fait du bien." De là vient sans doute le malaise : du soupçon que l'histoire sert ici à conforter un propos avant tout politique.

Thomas Wieder

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Message Publié : 17 Oct 2008 21:30 
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Averroès et Thomas d’Aquin au centre de la querelle d’Aristote

Au XIIIe siècle, en réponse au commentaire d’Aristote par le philosophe musulman Averroès, Thomas d’Aquin signe l’un des textes majeurs de la philosophie médiévale

Thomas d’Aquin a 56 ans en 1270. Il ne lui reste plus que quatre ans à vivre. Célèbre, le dominicain est l’un des maîtres de l’université de Paris, le centre le plus important d’études philosophiques et théologiques de la chrétienté latine.

Dans cette capitale des arts et des lettres, l’œuvre d’un philosophe musulman de Cordoue, Averroès (1126-1198), enflamme les esprits, suscite de nombreux et passionnés débats dans l’université, notamment la Faculté des arts.

Au cœur de la mêlée, le commentaire que fait Averroès du Traité de l’âme d’Aristote. À la lumière du philosophe grec, Averroès postule l’éternité du monde, et que l’intellect n’est pas individualisé : autrement dit, le monde n’a pas été créé, et la faculté de penser chez l’homme n’est pas en soi personnelle.

Une des œuvres majeures de l’histoire de la philosophie
Thomas d’Aquin entre en lice. Sa cible, Averroès, mais aussi ses nombreux partisans parisiens, les averroïstes. Sa réponse : De l’unité de l’intellect contre Averroès, plus connue sous le nom de Contre Averroès.

Ce texte est perçu comme l’une des œuvres majeures de l’histoire de la philosophie. Elle traverse les siècles. Et on la trouve aujourd’hui encore en format poche. Thomas d’Aquin y réussit à la fois à présenter la doctrine de son adversaire, à critiquer puissamment la théorie averroïste de l’intellect et, enfin, à restituer au plus près la pensée d’Aristote. De sorte qu’il signe un maître livre de réfutation, mais aussi un commentaire saisissant du philosophe grec.

Cette dispute entre Averroès et Thomas d’Aquin est l’un des signes captivants de la pénétration des philosophes musulmans dans la chrétienté occidentale. Si les rapports entre les deux mondes sont âpres et souvent meurtriers au Moyen Âge (1270 est l’année de la croisade de Saint Louis), ils ne se traduisent pas, dans l’ordre de la science et de la pensée, par de l’indifférence. Bien au contraire.

De nombreux ouvrages cheminent vers l’Occident au XIIe s.
Les XIIe et XIIIe siècles ont été une grande période de traduction en latin des travaux scientifiques et intellectuels des savants arabes. Si les premières traductions d’astronomie et de médecine circulent dès la fin du XIe siècle, une impulsion décisive est donnée au milieu du XIIe : de nombreux ouvrages cheminent vers l’Occident, notamment par Tolède et Cordoue. Parmi ces livres, des commentaires arabes des philosophes grecs.

Or, la pensée médiévale occidentale était surtout dominée par saint Augustin et par le néoplatonisme. Avec ces nouveaux textes, de grands pans de la philosophie grecque, qui n’avaient pas été traduits en latin, sont accessibles.

En premier lieu Aristote, le « Premier maître » pour les philosophes arabes. Cette philosophie est née au IXe siècle sous les Abbassides, lorsque nombre de textes grecs sont traduits en arabe dans des centres comme la « maison de la sagesse » à Bagdad. Là, Syriaques, Juifs et Arabes travaillent pour établir les traductions et les commentaires.

Vérité révélée et vérité par la raison
Autour de ces centres se constitue une véritable philosophie hellénistique de l’islam, la falsafa. Et avec elle des falasifa (traduction du grec « philosophie ») : Al Kindi (mort en 813), Al Farabi (mort en 950), Ibn Sina (Avicenne, mort en 1037).

Ces falasifa distinguent, contre les traditionalistes, la vérité révélée et la vérité que l’on peut atteindre par la raison. Non pour les opposer, mais pour les unir, puisqu’il n’y a, à leurs yeux, qu’une seule vérité.

« Nous ne devons pas avoir honte d’admirer la vérité et l’accueillir d’où qu’elle vienne, même si elle nous vient de générations antérieures et de peuples étrangers, car il n’y a rien de plus important pour celui qui cherche la vérité, et la vérité n’est jamais vile ; elle ne diminue jamais qui la dit ni qui la reçoit », explique le premier de ces falasifa, Al Kindi. Une partie de ce corpus est introduite dans le Maghreb, en Andalousie.

Alors qu’en Orient ce courant étonnant s’éteint, victime de l’intransigeance des traditionalistes, une nouvelle génération de philosophes se lève à l’Ouest au XIe siècle. Parmi eux, Averroès, l’un des plus féconds et des plus importants.

Une polémique intense resurgit depuis peu
À la demande d’un prince andalou, il commente à son tour Aristote, jugé par ses contemporains trop « obscur ». Après sa mort en 1198, une partie de ses commentaires d’Aristote est traduite en latin et a gagné Paris. Aristote et Averroès sont désormais discutés avec ardeur à l’université parisienne.

Cette articulation entre philosophie grecque, arabe et latine au Moyen Âge resurgit depuis quelques mois sous la forme d’une polémique intense – comme pour témoigner que ce contact entre l’Orient et l’Occident reste, huit siècles plus tard, un sujet passionné et passionnant.

Au cœur de cette querelle, le livre du médiéviste Sylvain Gouguenheim, Aristote au Mont-Saint-Michel (Seuil). Pour l’auteur, l’apport des Arabes dans la transmission de la philosophie grecque à l’Occident serait quasi nul. Au XIIe siècle, le Mont-Saint-Michel était un centre actif de traduction des textes grecs, notamment d’Aristote.

Mais des dizaines d’historiens s’opposent à cette thèse. Pétitions, articles, colloque viennent dénoncer les erreurs et approximations du livre de Gouguenheim, jugé faux, voire politiquement orienté. Rarement, dans le monde feutré des médiévistes, on a assisté à une telle empoignade… qui de l’extérieur n’est pas sans rappeler le moment Averroès dans l’université parisienne du XIIIe siècle.
Laurent LARCHER

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Message Publié : 19 Oct 2008 10:51 
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Grec, arabe, européen, A propos d’une polémique récente par Rémi Brague

Commençons par rappeler les faits : Sylvain Gouguenheim, agrégé d’histoire, docteur ès-lettres, professeur d’histoire médiévale à l’École Normale Supérieure de Lyon (ex-Saint-Cloud), auteur de plusieurs ouvrages : sur Hildegarde de Bingen, sur les « terreurs de l’an Mil », sur les chevaliers teutoniques, publie en mars 2008 un livre dont le thème général est la transmission de l’héritage intellectuel de la Grèce à l’Europe médiévale[1]. La thèse est que l’essentiel de cette transmission s’est effectué directement, ce qui tend à réduire le rôle de la médiation arabe.

Le livre a suscité un scandale inaccoutumé. Il a débordé le milieu assez restreint des gens compétents. La polémique a dérapé vers des procédés inhabituels entre universitaires, pour lesquels l’arme absolue ne va pas plus loin, à l’accoutumée, que l’éreintement dans une revue spécialisée[2]. En l’occurrence, des manifestes furent publiés dans la presse et l’on fit circuler des pétitions.

J’aimerais ici, d’abord, présenter quelques observations sur les phénomènes qui me semblent avoir rendu possible une telle querelle. Puis, je traiterai sommairement la question du rôle de la culture arabe dans la formation de l’Europe intellectuelle.


Pourquoi le scandale ?

Université et médias

Le premier problème me semble être celui de l’articulation du savoir universitaire sur le discours médiatique.

La polémique est partie d’une recension parue dans Le Monde du 4 avril. Son auteur, Roger-Pol Droit, le chroniqueur philosophique habituel du journal, y présente le livre comme opérant une révolution totale : on croyait jusqu’alors que l’Europe devait tout au monde arabe ; on sait désormais qu’elle ne lui doit rien. Le langage médiatique rabote les nuances et traduit en binaire (tout/rien, bien/mal, etc.). Hegel disait que la philosophie peignait gris sur gris. Il en est de même des petits bouts d’ivoire que polissent les historiens. Les médias, eux, brossent leurs fresques en noir et blanc.

Des manifestes parurent donc, qui évoquaient l’article, sans en nommer l’auteur, et s’attaquaient au livre de S. Gouguenheim. Parmi les signataires, on trouvait des historiens unanimement reconnus dans l’étude de la question. D’autres étaient médiévistes, mais s’occupaient d’autres domaines. Certains, peu nombreux il est vrai, ne connaissaient à peu près rien au Moyen Age. En ce qui me concerne, je me suis abstenu de toute réaction positive ou négative, tout simplement parce que j’étais à l’étranger et n’avais pas encore pu me procurer le livre. On chuchote que certains signataires n’auraient pas eu ce scrupule…

Certaines critiques étaient tout à fait courtoises. On signala des erreurs de fait, des interprétations tendancieuses, une bibliographie incomplète et datée. Tous arguments recevables dans une discussion scientifique de bon ton.

Malheureusement, on lut et entendit aussi des amalgames peu compréhensibles. On mentionna pêle-mêle l’immigration, les discours du Pape, on cria au « racisme » et à l’« islamophobie ».


Une intelligentsia cloisonnée

Le second problème est celui de la structure de l’intelligentsia française. Elle souffre d’un manque de communication entre les chercheurs du CNRS, de l’Université ou des autres établissements d’enseignement supérieur, d’une part, et le grand public, d’autre part. Bien des chercheurs ne publient que dans des revues spécialisées qui ne sont guère lues que par leurs collègues. Certains auraient l’impression de déroger, ou tout simplement de perdre leur temps, s’ils écrivaient pour un public moins restreint. Ceux qui vulgarisent ne sont pas toujours regardés avec beaucoup de bienveillance par ceux qui s’en abstiennent.

Le résultat de ce divorce entre spécialistes et médias est que le marché du prêt-à-penser est entre les mains de gens fort peu compétents, dont personne ne prend soin de rectifier les allégations quand c’est nécessaire. D’où la présence sur ledit marché de plusieurs légendes, au gré des modes.

Les gens compétents ont raison de dire que ce que S. Gouguenheim a écrit, « tout le monde le savait déjà ». C’est exact si l’on prend « tout le monde » au sens où l’on parle du « tout-Paris », ce qui veut dire, dans les deux cas, quelques dizaines de personnes. Si en revanche, on pense au non-spécialiste qui cherche à s’informer dans la presse ou dans les médias, force est de constater que la légende qui y domine actuellement, « la thèse la plus médiatisée » (AMSM, p. 14), est bien celle contre laquelle s’élève S. Gouguenheim, lequel ne prétend pas faire plus que « donner à un public aussi large que possible […] des éléments d’information et de comparaison issus des travaux de spécialistes<s>, souvent peu médiatisés » (AMSM, p. 10).

On peut regretter qu’il ne soit pas sur ces questions le meilleur spécialiste dont on puisse rêver. Mais pourquoi les spécialistes lui ont-ils laissé la tâche désagréable de rectifier le tir ? Et pourquoi abandonnent-ils le terrain à des ignorants, des menteurs et/ou des propagandistes ?

La légende à la mode

Qu’il existe une telle légende constitue le troisième des problèmes que j’ai mentionnés. On peut la décrire à grands traits, telle qu’on la rencontre dans de larges secteurs des médias. L’idée générale est que, au Moyen Age, ce qui s’appelle aujourd’hui l’Europe, la chrétienté latine, si l’on préfère, était plongée dans une obscurité profonde. L’Église catholique y faisait régner la terreur. En revanche, le monde islamique était le théâtre d’une large tolérance. Musulmans, juifs et chrétiens y vivaient en harmonie. Tous cultivaient la science et la philosophie. Au xiie siècle, la lumière du savoir grec traduit en arabe passa d’Islam en Europe. Avec elle, c’était la rationalité qui y rentrait, permettant, voire provoquant la Renaissance, puis les Lumières.

Il est clair qu’aucun de ceux qui ont étudié les faits d’un peu près ne soutient une telle caricature. Il est clair aussi que ceux qui la rejettent le font soit pour de bonnes raisons, liées à un savoir plus exact, soit pour des raisons beaucoup moins avouables, comme le préjugé selon lequel les Arabes auraient de toute façon toujours été incapables de science ou de philosophie… Je suis payé (au sens propre) pour savoir que c’est on ne peut plus faux.

On a en tout cas un peu vite fait de dire que S. Gouguenheim s’en prendrait à des moulins à vent, que « personne » n’adhèrerait à la légende rose que j’ai dite. Car, encore une fois, si l’on veut dire : personne parmi les spécialistes, la cause est entendue. Si l’on veut dire en revanche : personne parmi ceux qui font l’opinion, on se trompe lourdement.

Un exemple : Sylvestre II

Comme exemple, ce discours du roi du Maroc prononcé à l’occasion de l’ouverture du festival de musique sacrée de Fez[3]. On y explique que Gerbert d’Aurillac, le futur Pape Sylvestre II (mort en 1003) a tiré le savoir mathématique qui faisait l’admiration de ses contemporains de ses études à l’Université de Fez.

On suppose donc que : 1) la Qarawiyin (fondée en 859) était une université au sens européen de ce terme et non simplement une mosquée « générale » (jâmi‘a), mot qui en est venu à désigner une université dans le monde arabe contemporain ; 2) on y enseignait non seulement l’exégèse coranique, les traditions sur le prophète et le droit islamique (fiqh), mais aussi les sciences profanes, dont les mathématiques—et pas seulement ce qu’il faut pour calculer la direction de La Mecque ; 3) un chrétien venu d’Europe était le bienvenu à Fez où il pouvait séjourner en toute sécurité[4] ; 4) Gerbert avait appris assez d’arabe pour suivre un enseignement supérieur dans cette langue[5].

Bien sûr, les gens compétents ont devant de telles sornettes le sourire distingué de la supériorité. Et ils me demanderont s’il était bien nécessaire d’épingler ainsi le malheureux écrivaillon qui a pondu ce laïus. Mais est-ce eux qui lisent les dépliants des agences de voyages ? Est-ce à eux que les guides serinent sur place de telles contrevérités ? Est-ce eux qui regardent la télévision ? Faut-il laisser à la merci du faux les braves gens tout prêts à apprendre ?

Et que faire lorsque des hommes politiques, des décideurs au plus haut niveau, sur les deux rives de la Méditerranée, s’en laissent accroire par ceux qui les conseillent ou rédigent leurs discours ?

La maison de la sagesse

Il me faut mentionner ici un second exemple, tant il est répandu. C’est celui de la « maison de la sagesse » (bayt al-hikma) de Bagdad. La légende y voit une sorte de C.N.R.S., un centre de recherche généreusement subventionné par les Califes amoureux du savoir, et où des traducteurs auraient été payés pour faire passer à l’arabe les trésors de la science et de la philosophie grecques.

La légende ne se nourrit que de soi ; rien de tout cela ne résiste à l’examen critique. La maison de la sagesse abritait bien une bibliothèque. Mais l’activité de tous les traducteurs que nous connaissons était commanditée par des clients privés, nullement par l’appareil d’État. Enfin, plus on remonte en arrière dans le temps, moins les chroniqueurs mettent en rapport l’activité de traduction avec cette fameuse maison[6].

Il semble que l’institution en question n’avait rien à voir avec les traductions, ni même en général avec le savoir profane, d’origine grecque. Elle semble avoir été avant tout à usage interne, plus précisément une sorte d’officine de propagande en faveur de la doctrine politique et religieuse que soutenaient les Califes de l’époque, à savoir le mu‘tazilisme, lui aussi objet de bien des légendes.

Rappelons en deux mots que les Mu‘tazilites étaient bien partisans de la liberté morale de l’homme comme indispensable pour penser la justice de Dieu qui ne peut récompenser et punir que des gens responsables de leurs actes. Mais n’oublions pas que, dans la pratique, ils ont lancé le pouvoir califal contre leurs adversaires en une campagne que bien des historiens nomment, au prix d’un anachronisme, « inquisition ».

L’Andalousie

Toute cette légende se replace dans le cadre d’un rêve rétrospectif, celui d’une société multiculturelle où aurait régné la tolérance. En particulier, l’Espagne sous domination musulmane (al-Andalus) aurait été la préfiguration de notre rêve d’avenir d’une société bigarrée de peuples et de croyances vivant en bonne intelligence. Le niveau culturel y aurait été fantastiquement élevé. Cela aurait duré jusqu’à la Reconquête chrétienne, laquelle aurait inauguré le règne du fanatisme, de l’obscurantisme, etc.

Les lieux où coexistaient effectivement plusieurs ethnies et religions ont tous disparu. Certains, comme Alexandrie ou la Bosnie, l’ont fait assez récemment pour que le souvenir de ces échecs, sanglant dans le dernier cas, ne se soit pas encore effacé. Et ne parlons pas de l’Irak… L’Espagne musulmane, elle, est assez éloignée dans le temps pour que l’on puisse encore en idéaliser la mémoire. De plus, l’Espagne est, depuis le xvie siècle, le lieu idéal des légendes et des clichés. Cela a commencé par la « légende noire » sur la conquête du Nouveau Monde. Répandue par les plumitifs stipendiés par les rivaux commerciaux des espagnols et des portugais, dont la France, elle permettait à ceux-ci de légitimer leur piraterie d’État (dite « guerre de course »). N’insistons pas sur les poncifs « orientalistes » de Gautier et de Mérimée. Donc, pourquoi ne pas ajouter aux castagnettes et aux mantilles un al-Andalus rose ?

Pour le dire en passant, il serait fort instructif de reconstituer les origines de ce mythe andalou, depuis l’américain Washington Irving en passant par Nietzsche.

Un arabisant espagnol, Serafín Fanjul, s’est donné pour tâche de détruire cette légende et de montrer que les régions d’Espagne sous domination musulmane n’étaient ni plus ni moins agréables pour les communautés minoritaires que les régions chrétiennes. Des deux côtés, on constate discriminations et persécutions, le tout sur l’arrière-plan d’expéditions de pillage et de rapt. Plutôt que d’une coexistence (convivencia) harmonieuse, il s’agissait d’un système voisin de l’apartheid sud-africain[7]. Là aussi, rien qui soit nouveau pour les historiens qui ont de cette époque une connaissance de première main. Mais qui les lit ?

Oublié ?

A toutes ces légendes vient se superposer ce que l’on pourrait appeler une « métalégende », une légende sur la légende. Cet état de choses si éminemment positif aurait été oublié. Voire, il aurait été refoulé de la mémoire de l’Occident par un processus volontaire, dû à quelque complot obscurantiste. De la sorte, la boucle paranoïaque est bouclée : si l’on ne trouve pas de traces du passé tel qu’on l’imagine, c’est que ces traces ont été effacées…

Mais est-ce bien vrai ? A-t-on jamais perdu de vue la contribution arabe au patrimoine culturel européen ? On parle à ce propos d’un « héritage oublié ». À ma connaissance, l’expression a été lancée par un livre de Maria Rosa Menocal, professeur de littérature comparée à Yale[8]. L’ouvrage portait surtout sur le domaine ibérique. Il montrait que les littératures de la péninsule ont emprunté genres et thèmes aux auteurs d’expression arabe. Ce qui est fort exact. Peu après, l’expression a été rendue populaire en France par un chapitre d’Alain de Libera qui portait ce titre et qui la transposait au domaine de la philosophie[9].

Or donc, je me demande si la mention d’un « oubli », devenue depuis lors une sorte de slogan, ne serait pas un « coup de pub ». Car il faut poser au niveau de l’histoire la même question que celle que j’ai posée un peu plus haut à celui de l’actualité, celle du sujet à qui on attribue le savoir ou l’ignorance. En un mot : cet héritage a été oublié par qui ? L’homme de la rue ne l’a jamais oublié, pour la bonne raison qu’il ne l’avait jamais su. Mais les gens un peu cultivés ?

Avec la « Renaissance » et le mouvement humaniste, il se produisit une réaction contre la scolastique et ses défauts prétendus : mauvais latin, subtilités, abstractions, etc. Elle engloba les arabes dans le mépris de ce qui n’était pas le platonisme et l’aristotélisme supposés « purs ». Mais il fut vite corrigé par les études précises produites par les générations d’orientalistes qui se sont succédées depuis le xvie siècle dans toute l’Europe : Guillaume Postel, Barthélemy d’Herbelot, Ignace Goldziher, et tant d’autres. Les érudits non orientalistes n’ont pas, eux non plus, oublié le rôle des Arabes. J’ai cité ailleurs deux textes du xviiie siècle qui le mentionnent. Et voici un passage d’Auguste Comte, trouvé au hasard de mes lectures : « Par une honorable transmission de la science grecque, la civilisation arabe figurera toujours parmi les éléments essentiels de notre grande préparation au Moyen Age[10] ».

On ne cesse de répéter, pour s’en faire honte, des déclarations sur l’incapacité prétendue des « Sémites » à la pensée philosophique. À y regarder de plus près, elles sont en fait presque exclusivement localisées au xixe siècle, voire au seul Ernest Renan. Celui-ci a en effet appliqué à l’histoire de la culture ce racisme tranquille, et d’ailleurs encore relativement de bon ton par rapport aux horreurs du siècle suivant, que partageaient bien de ses contemporains : la philosophie serait essentiellement « aryenne », et jamais « sémite » ; les philosophes de l’Islam auraient tous été des Persans, etc.[11] Mais les naïvetés de Renan font-elles le poids face aux travaux imposants des orientalistes que j’ai nommés ?

Des nuances

J’en viens à l’aspect positif de mon propos, et tenterai une rapide synthèse de la question. Pour ce faire, je me permettrai de reprendre quelques résultats, évidemment provisoires, de deux de mes livres, auxquels je renvoie pour plus de détails[12].

Commençons par rappeler un peu plus précisément la thèse de S. Gouguenheim. La contribution de la civilisation islamique à celle de l’Europe est réelle, et personne ne songe à la nier. Mais elle est moins exclusive que ce que certains voudraient nous faire croire[13]. La transmission directe à partir de l’Orient byzantin est plus importante qu’on ne l’a pensé. L’Europe latine n’a jamais cessé de loucher avec envie vers Constantinople. Un mince filet de savoir grec, venu d’Irlande ou de Byzance, a continué à irriguer l’Europe. En même temps qu’on traduisait Aristote de l’arabe, surtout en Espagne, on le traduisait directement du grec. Voire, avant. En particulier, S. Gouguenheim a attiré l’attention sur un personnage déjà connu, mais guère en dehors des cercles de spécialistes, Jacques de Venise, qui a traduit Aristote directement du grec au latin un demi-siècle avant les traductions sur l’arabe effectuées à Salerne, à Tolède, en Sicile, ou ailleurs (AMSM, p. 106-115).

Ensuite, sérions les questions et trempons notre pinceau dans les diverses nuances du gris.

La religion de l’islam

Il faut distinguer du côté de l’émetteur : l’islam-religion ne coïncide pas avec l’Islam-civilisation. Celle-ci a été rendue possible par l’unification du Moyen-Orient : d’abord unification politique sous le pouvoir des Califes et, plus tard, unification linguistique au profit de l’arabe. Cette civilisation a été construite autant par le travail des chrétiens, juifs ou sabéens du Moyen-Orient, et par les zoroastriens ou manichéens d’Iran, que par les musulmans qui n’étaient au départ qu’une caste militaire conquérante. Ainsi, les traducteurs qui ont transmis l’héritage grec à Bagdad étaient presque tous chrétiens, le plus souvent nestoriens. Les rares qui ne l’étaient pas appartenaient à la petite communauté « païenne » des Sabéens, comme le célèbre astronome Thabit ibn Qurra[14].

L’islam comme religion n’a pas apporté grand’ chose à l’Europe, et ne l’a fait que tard. Tout simplement parce qu’il n’y a été connu que tard. À la différence de Byzance, où le Coran avait été traduit dès le ixe siècle, l’Europe n’a connu le texte fondateur qu’après un long délai. La première traduction latine en fut faite à Tolède au milieu du xiie siècle sous l’impulsion de l’abbé de Cluny Pierre le Vénérable. Mais elle n’a à peu près pas circulé avant d’être imprimée, tard dans le xvie siècle[15]. Le premier examen du Coran à la fois un peu sérieux et ouvert est l’œuvre du cardinal Nicolas de Cuse, au xve siècle[16].

Parmi les traditions sur Mahomet (hadith), seul le récit merveilleux du « voyage nocturne » du Prophète au ciel (Scala Machumeti) est passé en Europe[17]. L’apologétique (Kalâm) fut connue surtout par la réfutation de son école dominante qu’effectue Maïmonide dans son chef d’œuvre philosophique et exégétique[18]. Elle a fourni à la physique d’Aristote une alternative discontinuiste (atomiste) qui fut exploitée par certains nominalistes, puis à l’époque moderne par Malebranche et Berkeley[19].

La civilisation de l’Islam

Sont venus de l’Islam comme civilisation deux sortes de biens culturels. D’abord, ceux qui ont transité par lui. Ainsi les chiffres dits « arabes », venus des Indes. Ou encore, ce qui d’Aristote ou d’Avicenne fut traduit à Tolède.

Est venue aussi de l’Islam la contribution originale par laquelle ses savants prolongeaient et dépassaient l’héritage grec. C’est le cas en mathématiques, y compris l’astronomie et l’optique avec la révolution introduite par Ibn al-Haytham (Alhacen). C’est le cas en médecine avec Razi (Rhazès) et Avicenne. Et bien sûr en philosophie, avant tout avec, encore une fois, Avicenne, peut-être le plus novateur.

La contribution des savants écrivant l’arabe est d’ailleurs loin de se limiter à ce qui a eu la chance de parvenir à l’Occident. Les travaux d’al-Biruni en géodésie, en minéralogie, etc., sans parler de l’exceptionnel miracle d’objectivité qu’est sa description de l’Inde, n’ont été connus qu’au xixe siècle[20]. En philosophie, al-Farabi n’a été que fort peu traduit au Moyen Age, et pas dans ses œuvres les plus originales de philosophie politique.

Il y a des mathématiques (ou de la médecine, de l’alchimie, etc.) arabes en ce sens que des œuvres relevant de ces disciplines ont été composées dans la langue de culture de tout l’Empire islamique, par des gens dont l’arabe n’était pas toujours la langue maternelle, qui n’étaient que très rarement originaires de la Péninsule Arabique, et qui n’étaient pas non plus tous musulmans.

En revanche, il n’y a pas de mathématiques musulmanes, pas plus qu’il n’y a une médecine chrétienne ou une botanique juive[21]. Il y a des gens de diverses confessions qui se sont occupés de diverses sciences. Même pour la philosophie, je préfèrerais parler d’un usage chrétien, juif ou musulman de la philosophie plutôt que d’une philosophie chrétienne, juive ou musulmane.

Quoi ?

Il faut distinguer aussi la nature de la marchandise : de l’héritage grec, seul est passé par l’arabe ce qui relevait du savoir en mathématiques, médecine, pharmacopée, etc. En philosophie, ne sont passés par l’arabe qu’Aristote et ses commentateurs, avec quelques apocryphes d’origine néoplatonicienne et eux-mêmes attribués à Aristote. Le reste a dû attendre le xve siècle pour passer directement de Constantinople à l’Europe, parfois sous la forme, réelle mais souvent un peu romancée, de manuscrits emportés par des savants byzantins fuyant la conquête turque.

Ce reste, ce n’est rien de moins que toute la littérature grecque : la poésie épique (Homère et Hésiode), lyrique (Pindare), dramatique (Eschyle, Sophocle, Euripide), l’histoire (Hérodote, Thucydide, Polybe), le roman. En philosophie, c’est le cas des traités d’Épicure cités par Diogène Laërce. C’est celui de Platon, de Plotin, et aussi, hélas, d’« Hermès Trismégiste », arrivés de Constantinople à la Florence des Médicis, où Marsile Ficin mit ces trois corpus en latin.

A plus forte raison, le legs théologique des Pères Grecs n’avait aucune raison d’intéresser les penseurs de l’islam. Il est entré en Europe, très partiellement d’ailleurs, en venant directement de l’Orient chrétien. Ce fut parfois par un transfert tout à fait matériel, comme ce manuscrit des œuvres du Pseudo-Denys l’Aréopagite, offert en 827 par le Basileus Michel III à l’empereur d’Occident Louis le Pieux, puis traduit par Hilduin, et à nouveau par Jean Scot Erigène, lequel traduisit aussi des morceaux de Némesius d’Emèse et de Maxime le Confesseur. Pour le reste, il fallut attendre, selon les cas, le xiiie siècle, ou la Renaissance, voire Erasme.

N’oublions pas enfin que la culture ne se limite pas à ce qui se lit et s’écrit. Outre les textes, il y a les œuvres plastiques : architecture, sculpture, peinture. L’Islam, par scrupule religieux, n’a, avant une date récente, développé de sculpture et de peinture que par exception. La plastique grecque n’a donc pu exercer sur ses artistes la même fascination que celle que l’on rencontre en Occident. Tout ce qui relève des arts plastiques est passé du monde grec à l’Occident, la plupart du temps par l’intermédiaire de copies romaines, mais en tout cas sans détour arabe.

Quand ?

Il faut aussi varier selon les époques. S. Gouguenheim a choisi de se concentrer sur la période « où tout semble s’être joué, c’est-à-dire la première partie du Moyen Age, entre les vie et xiie siècles » (AMSM, p. 11). C’est là qu’il apporte du nouveau, sinon aux savants, du moins au grand public.

En revanche, il a choisi d’arrêter son enquête au début du xiiie siècle, et il s’en explique à deux reprises. C’est d’abord pour une raison de méthode : « à partir du xiiie siècle, les faits sont trop bien établis pour qu’il vaille la peine de les reprendre » ; c’est aussi parce que l’évolution même des événements invite à un tel découpage : « au xiiie siècle, l’Europe amorce une nouvelle étape de son histoire » (AMSM, p. 11 -12, puis 199). Aucune des deux raisons n’est sans valeur. Reste qu’une présentation d’ensemble aurait permis de mieux équilibrer le propos.

Le xiiie siècle et le début du xive siècles constituent en tout cas l’apogée de l’influence exercée sur les penseurs européens par les penseurs arabes, et avant tout par les philosophes. Toute une série de travaux font aller le balancier vers une réévaluation au positif de l’apport des penseurs de langue arabe, musulmans comme juifs. Ainsi, Kurt Flasch a synthétisé les résultats de ses collègues pour montrer comment Albert le Grand, Dietrich de Freiberg, et jusqu’à Maître Eckhart ont nourri leur pensée de la discussion avec les thèses d’Avicenne, de Maïmonide et d’Averroès. Ce dernier devant d’ailleurs être distingué de l’« averroïsme » plus ou moins fictif construit au Moyen Age par les théologiens, puis de nos jours par les historiens qui leur font trop facilement confiance[22].

Comme toujours, on peut se demander si l’on ne risque pas d’aller d’un extrême à l’autre et de voir en Averroès, que l’on avait trop longtemps pris pour une simple tête de turc, tout juste bon à gésir vaincu sous les pieds d’un saint Thomas triomphant, la source exclusive de la pensée occidentale…

Après la génération de Dante, de Duns Scot, et d’Eckhart, l’influence des penseurs arabes marque le pas dans les milieux de langue latine. Elle se prolonge plus longtemps chez les Juifs, où l’influence d’Averroès reste vive jusqu’au xve siècle, de sorte qu’une continuité s’établit avec les penseurs de Padoue.

Combien ?

Ne perdons pas non plus le sens des proportions. Le mince filet d’hellénisme passé à l’Europe jusqu’au xiie siècle sur lequel S. Gouguenheim a attiré l’attention n’est pas nul, mais il est peu de choses par rapport à ce qui a été traduit au xiiie siècle. À plus forte raison, il n’est pas comparable à ce qui était passé du grec ou du syriaque à l’arabe dans l’Empire Abbasside du ixe siècle.

Mais ces trois transferts ne sont à leur tour qu’une goutte d’eau par rapport à l’inondation qui a déferlé sur l’Europe à partir du xve siècle. Elle a concerné tout ce qui était disponible en grec. Elle a débouché sur une véritable hellénomanie qui a duré plusieurs siècles, de la Renaissance italienne aux humanismes et classicismes de toute l’Europe, de Florence à Weimar en passant par Salamanque, Oxbridge, Leyde, Paris. Tout cet engouement littéraire s’appuyait sur un mouvement philologique, séculaire lui aussi, d’édition, de commentaire, de traductions.

L’hellénisme n’a été en terre d’islam que le fait d’individus comme les « philosophes » (falâsifa), intellectuellement des génies, mais socialement des amateurs privés de relais institutionnel. Ce n’est qu’en Europe qu’il a pris la forme d’un phénomène, sinon de masse, du moins de vaste envergure, puisqu’il concernait l’ensemble de l’élite intellectuelle.

Et pourtant, le phénomène capital n’est peut-être pas encore là. Pour ma part, je le situerais dans le fait que les érudits européens ne se sont pas contentés de traduire à partir du grec. Ils se sont, si l’on peut dire, avant tout « traduits » eux-mêmes vers le grec. Ce n’est qu’en Europe que l’on a appris le grec de façon systématique. Ce n’est qu’en Europe que, le plus concrètement du monde, le grec est devenu matière obligatoire dans l’enseignement secondaire—en gros, selon les pays, jusqu’au milieu du xxe siècle.

De la réceptivité

Il faut en finir avec la métaphore naïve de la transmission du savoir sur le modèle hydraulique, que je viens de filer avec un sourire : un liquide qui coulerait spontanément d’un niveau supérieur à un niveau inférieur, comme l’eau du château d’eau aux éviers. Le Socrate de Platon se moquait déjà d’une telle représentation de l’enseignement[23]. Le récepteur doit, pour pouvoir s’approprier le savoir, s’en être d’abord rendu capable, s’être rendu réceptif.

Or donc, l’Europe a effectué, à partir du xie siècle, un énorme travail sur soi, à partir de ses maigres ressources propres : Cicéron, s. Augustin, Boèce, Isidore, quelques autres encore. Elle a connu, dans la foulée de la Querelle des Investitures, et pour étoffer conceptuellement les arguments de la papauté comme ceux de l’Empire, une renaissance juridique dont le monument principal, mais loin d’être unique, est le Décret de Gratien. Elle a connu une renaissance littéraire (s. Bernard) et philosophique (s. Anselme, Pierre Abélard). Le tout s’est fait avec les seuls « moyens du bord ».

De plus, en même temps qu’elle mâchonnait les plus minces brins de l’héritage antique, l’Europe ruminait. Elle retrouva à l’intérieur d’elle-même ce qu’elle avait négligé, comme les compilations de droit romain auxquelles puisèrent les artisans de la renaissance juridique dont je viens de parler[24].

C’est cet essor intellectuel qui a permis à l’Europe de ressentir le besoin du savoir grec, d’aller le chercher là où il était, et de le recevoir de façon féconde. De plus, en même temps qu’elle allait chercher au-dehors ce qui lui manquait du savoir grec, l’Europe est revenue sur ce qu’elle en possédait déjà, elle a retraduit ce qu’elle avait traduit de par le passé. Ainsi, les œuvres de Denys l’Aréopagite, qui firent l’objet d’une troisième traduction[25].

L’appel à du savoir frais, latin, grec ou arabe, n’est donc pas seulement une cause de l’essor intellectuel européen ; il en est tout aussi décidément une conséquence.

La réception même d’Averroès le montre : c’est en Occident chrétien et juif qu’il fut lu et commenté. Après la chute des Almohades qu’il servait, son milieu d’origine l’oublia très vite. On lit parfois dans la rubrique « faits divers » qu’un chiffonnier a trouvé un collier de perles fines dans des ordures. Il en est un peu ainsi d’Averroès : l’Occident a ramassé ce joyau dans les poubelles de l’Islam.

Dette

L’Europe a-t-elle une dette à l’égard du monde arabe ? Un tel vocabulaire est maladroit. J’ai utilisé moi-même cette image de la « dette », et je regrette maintenant de n’avoir pas été plus circonspect. L’ennui est, d’une manière générale, que les images que la langue met à notre disposition sont toutes piégées et qu’il faut bien quand même parler. Ainsi, parler de « racines », c’est régresser au végétal et, du coup, négliger les aspects volontaires de la culture qui, au moins en partie, se choisit ses points de référence ; parler de « sources », c’est fomenter le modèle hydraulique d’écoulement dont je viens de dire les méfaits.

Dire « dette », dire « redevable », c’est aussi une façon de parler, et de rien de plus. Et prendre à la lettre ce qu’elle suggère aurait deux conséquences funestes.

La première, psychologique, est que le mot de « dette » induit une culpabilité (qu’on pense à l’allemand Schuld, à la fois « dette » et « faute »). On flatte par là le sentiment diffus d’avoir à expier dont souffre l’Europe actuelle. Celle-ci a du mal à faire face à son passé, souvent entaché d’indéniables crimes, voire elle trouve dans l’évocation de ceux-ci une complaisance morose.

La seconde conséquence est peut-être plus grave encore. Une dette est en rigueur de termes une réalité matérielle, mettons une somme d’argent. De plus il s’agit d’une chose dont le créancier a volontairement accepté de se défaire, s’en privant de la sorte pour en faire bénéficier le débiteur, et dont il attend qu’on la lui restitue. Parler de dette, c’est du coup suggérer que les biens concernés sont de nature matérielle. Or, il s’agit ici de biens spirituels, non d’objets. Et rien de ce qui vaut d’une dette ne s’applique aux choses de l’esprit. Les communiquer à autrui n’en prive pas celui qui les donne, lequel reste en leur possession : l’enseignement enrichit l’élève sans rien ôter au maître.

Et même là où il est question de biens matériels, est-il vraiment juste de parler de dette ? L’Europe a pris dans d’autres civilisations des biens qui sont devenus pour elle des évidences. Ainsi sont venus de Chine la soie, le thé, la porcelaine, le papier—ce dernier transitant par le monde islamique. Ou le maïs, le tabac, le chocolat sont venus du Nouveau Monde. Or donc, personne ne songerait à dire que nous avons une dette envers les Aztèques, et encore moins que nous devons parler avec un infini respect des sacrifices humains qu’ils pratiquaient, sous prétexte que nous mangeons des tomates.

Les choses sont un peu plus compliquées là où il s’agit de biens culturels. Leurs supports matériels—manuscrits, partitions, etc.—voyagent de la même façon que les valises. Mais leur contenu n’arrive vraiment à bon port qu’au prix d’un travail d’appropriation : lire, recopier, traduire, commenter, jouer, imiter, etc.

La France a naguère restitué à la Corée un précieux manuscrit jadis confisqué ; les Anglais pourraient rendre les fresques du Parthénon. Mais doit-on et peut-on rendre l’écriture aux anciens Égyptiens, l’empire aux Perses, la philosophie aux Grecs, le droit aux Romains ?

Et la rationalité ? A qui la rendre au juste ? La rationalité n’est pas un sac de patates que l’on pourrait transporter, importer et exporter, mais une attitude d’esprit qu’il faut conquérir par un travail sur soi.

Rationalité
Sur la rationalité, il y aurait d’ailleurs beaucoup à dire. « Raison » est un mot-valise, voire une malle, que dis-je, un container…

Ne cherchons nulle part au Moyen Age la forme de rationalité puissante, mais étroite, à laquelle nous réduisons souvent la raison, à savoir la méthode expérimentale des sciences mathématisées de la nature. Celle-ci n’est apparue qu’avec la révolution galiléenne au début du xviie siècle. Le Moyen Age n’a connu d’usage scientifique des mathématiques qu’en optique et en astronomie. Et encore celle-ci ne cherchait-elle que des modèles capables de rendre compte des apparences célestes (« sauver les phénomènes »), nullement de décrire la réalité des choses.

On aurait tort d’opposer le christianisme comme religion rationnelle à l’islam qui serait, lui, irrationnel. Tout au contraire, l’islam se comprend lui-même comme une religion rationnelle, et il reproche même au christianisme de vouloir faire croire l’incroyable. Les dogmes de l’islam sont plausibles et ne comportent pas de mystères un peu bizarres comme le sont ceux du christianisme (Trinité, Incarnation, eucharistie, etc.). De plus, le Coran contient des injonctions à se servir de sa raison pour se rendre à l’évidence de l’existence du Créateur à partir de l’admiration des merveilles de la création, tous passages que les philosophes de l’Islam ont su mettre en valeur pour légitimer leur propre pratique[26]. Enfin, même ceux des juristes qui, en principe, se refusaient à faire du raisonnement analogique un des fondements du droit ont, dans la pratique, déployé des trésors de subtilité pour déduire à partir des principes offerts par la Révélation des règles susceptibles de s’appliquer aux circonstances concrètes de la vie quotidienne. En revanche, ce n’est pas de la raison que dépend le fondement même de l’islam, à savoir l’acceptation comme authentique de la mission législatrice de Mahomet et celle du Coran comme dictée divine.

On a donc souvent, en matière de rationalité, l’impression de jouer à fronts renversés. Ainsi, Ibn Khaldun, que l’on peut pourtant considérer en matière de critique historique comme un « rationaliste » de haute volée, écrit posément : « Quand le Législateur nous guide vers une certaine perception, nous devons la préférer aux nôtres et lui accorder plus de confiance qu’aux nôtres. Nous ne devons pas chercher à la rectifier au moyen de la perception de la raison, même si elle la contredit. Au contraire, nous devons croire et savoir ce qu’il nous a été ordonné [de croire et de savoir], et nous taire sur ce que nous ne comprenons pas, en nous en remettant pour cela au Législateur et en laissant la raison à l’écart[27] ».

On pourrait risquer un paradoxe : l’islam ayant d’emblée un contenu rationnel, il n’a pas connu le défi du mystère chrétien. Il a rendu nécessaire la théologie, laquelle procède à son exploration rationnelle avec l’aide d’outils empruntés à la philosophie. L’islam, de son côté, a pu se contenter d’une apologétique dirigée vers l’extérieur. La raison n’a pu prendre pour objet les fondements de la religion, et donc aussi du droit et de la morale. Elle a dû s’y contenter de déduire les conséquences de prémisses déjà admises. Ou alors, elle a dû se borner aux sciences qui ne touchaient que de très loin à la religion, comme les mathématiques.

Conclusion

L’affaire Gouguenheim aura eu au moins le mérite d’attirer l’attention d’un vaste public sur une question historique de grand intérêt. Elle était jusqu’alors, soit confinée aux monographies savantes, soit au contraire abandonnée aux bateleurs médiatiques qui en présentent des caricatures tendancieuses. Le livre de S. Gouguenheim, se plaçant sur le terrain de la bonne vulgarisation, se proposait de rectifier les secondes en puisant dans les premières. Il n’est pas l’ouvrage définitif et exhaustif dont on pourrait rêver. Mais tant que ce livre parfait restera au pays des rêves, celui de S. Gougenheim a l’avantage de contester quelques certitudes trop rapidement acquises.

[1] S. Gouguenheim, Aristote au Mont Saint-Michel. Les Sources grecques de l’Europe chrétienne, Paris, Seuil, 2008 [ici=AMSM].

[2] Un épluchage de ce genre, dû à Max Lejbowicz (CNRS), est à paraître dans une revue savante. Il est déjà disponible sur Internet, http://crm.revues.org//index2808.html

[3] Disponible sur Internet: www. Ma/eug/sections/speeches/full_text_of_king_s7700/view.

[4] Le même discours rappelle que Maïmonide, un siècle et demi plus tard, a séjourné et étudié à Fez, alors capitale des Almohades. Mais le roi omet de signaler que c’était en se faisant passer pour converti à l’islam…

[5] Pour du sérieux sur Gerbert/Sylvestre, voir P. Riché, Gerbert d’Aurillac, le pape de l’an Mil, Paris, Fayard, 1987. Le mathématicien Léonard de Pise (Fibonacci) dit avoir étudié à Bougie. Mais c’est trois siècles plus tard… Sur lui, voir AMSM, p. 198.

[6] Voir M.-G. Balty-Guesdon, « Le Bayt al-hikmah de Baghdad », Arabica, 29, 1992, p. 131-150 ; pour un état de la question, voir C. Martini Bonadeo, « Le biblioteche arabe e i centri di cultura fra ix e x secolo », dans C. d’Ancona (éd.), Storia della filosofia nell’islam medievale, Turin, Einaudi, 2005, surtout p. 263-270.

[7] S. Fanjul, La quimera de Al-Andalús, Madrid, Siglo XXI, 2004, en particulier les ch. 2: Le mythe des trois cultures, p. 21-53 (la comparaison avec l’apartheid se lit p. 29) et 7 : Le rêve de al-Andalus, p. 194-247. Dans un livre antérieur, Al-Andalús contra España. La forja del mito, Madrid, Siglo XXI, 2000, Fanjul examinait la question de l’apport islamique à l’identité espagnole et concluait par une sérieuse révision à la baisse, en tout cas par rapport à certaines exagérations, dues en particulier à Américo Castro (La realidad histórica de España, Mexico, Porrua, 1954).

[8] M.-R. Menocal, The Arabic Role in Medieval Literary History : A Forgotten Heritage, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1987.

[9] A. de Libera, Penser au Moyen Age, Paris, Seuil, 1991, ch. IV, surtout p. 98-104.

[10] A. Comte, Discours sur l’ensemble du positivisme [1848], Conclusion générale ; éd. A. Petit, Flammarion, 2008, p. 536-537.

[11] Renan, « L’islamisme et la science » [1883], dans Œuvres complètes, éd. H. Psichari, Paris, Calmann-Lévy, t. 1, 1947, p. 945-965.

[12] Europe, la voie romaine, 3e éd., Paris, Gallimard (« Folio-essais »), 1999 ; voir surtout Au moyen du Moyen Age. Philosophies médiévales en chrétienté, judaïsme, Islam, 2e éd., Paris, Flammarion (« Champs »), 2008.

[13] « L’intermédiaire arabe, sans être inexistant, n’eut sans doute pas la portée décisive qu’on lui attribue » (AMSM, p. 199, je souligne). La formule est minimale…

[14] Sur le mouvement des traductions, voir la synthèse de D. Gutas, Greek Thought, Arabic Culture. The Graeco-Arabic Translation Movement in Baghdad and Early Abbasid Society (2nd-4th / 8th-10th centuries), Londres, Routledge, 1998.

[15] Voir P. Kritzeck, Peter the Venerable and Islam, Princeton, Princeton University Press, 1964.

[16] Nicolas de Cuse, Cribratio Alcorani, vers 1460.

[17] Le Livre de l’échelle de Mahomet […], tr. G. Besson et M. Brossard-Dandré, Paris, Le Livre de Poche («Lettres Gothiques»), 1991.

[18] Maïmonide, Guide des égarés, I, 71-76.

[19] Voir D. Perler et U. Rudolph, Occasionalismus. Theorien der Kausalität im arabisch-islamischen und im europäischen Denken, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2000.

[20] Le livre sur l’Inde a été mis en français par V. Monteil. Mais, comme toutes les traductions de cet auteur, qui pratiquait généreusement la coupure non signalée, voire le pur et simple contresens, elle ne peut être utilisée qu’avec la plus extrême prudence.

[21] Je songe au rire de G. Scholem sur le titre de la célèbre Flora der Juden d’Immanuel Löw ; voir Von Berlin nach Jerusalem. Jugenderinnerungen, Francfort, Suhrkamp, 1977, p. 220.

[22] K. Flasch, Meister Eckhart. Die Geburt der „deutschen Mystik“ aus dem Geist der arabischen Philosophie, Munich, Beck, 2006. Traduction française chez Vrin, 2008 [non vidi]. Le titre un peu accrocheur réduit le propos du livre, qui envisage tout aussi bien Albert et Dietrich.

[23] Platon, Banquet, 175d.

[24] Voir H. Berman, Droit et révolution. La formation de la tradition juridique occidentale, tr. R. Audouin, Librairie de l’Université d’Aix-en-Provence, 2002.

[25] L’importance de ce retour à Denys a été soulignée par J. Ratzinger, La théologie de l’histoire de saint Bonaventure, tr. R. Givord, Paris, P.U.F., 2007 (2e éd.), p. 131 ; voir ma préface, p. 9-10.

[26] Ainsi Averroès dans le fameux Traité décisif, et bien d’autres comme, deux siècles avant lui, al-Amirî, etc.

[27] Ibn Khaldun, Muqaddima, VI, 26 ; éd. E. Quatremère, Paris, Didot, 1858, t. 3, p. 123, 2-6 ; je reproduis la traduction française de A. Cheddadi, Le Livre des Exemples, Paris, Gallimard (Pléiade), 2002, p. 970-971.

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"Il est plus beau d'éclairer que de briller" (Thomas d'Aquin).


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Message Publié : 28 Oct 2008 1:57 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

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Une rencontre dans le cadre des débats ouverts par la publication de l'ouvrage Sylvain Gouguenheim " Aristote au Mont Saint Michel - les racines grecques de l'Europe chértienne". Elle est organisée par les Rencontres Médiévales Européennes présidées par Monique Cazeaux.

Interviendront :
Monique Cazeaux - Présidente des Rencontres européennes médiévales - Conservateur honoraire à la Bibliothèque Nationale
Françoise Gasparri - Directeur de rercherche au CNRS
Alain Erlande-Brandenburg - Conservateur général honoraire du patrimoine
Rémi Brague - Professeur de philosophie à l'Université Paris 1

Cette table ronde aura lieu à la Maison de l'Europe à Paris vendredi 14 novembre 18h30.

Les rencontres médiévales européennes avaient servi de cadre en octobre 2004 à une journée sur le thème "Les relations culturelles entre chrétiens et musulmans au Moyen Âge. Quelles leçons en tirer de nos jours?" sous la direction de Max Lejbowicz. Déjà durant cette journée était intervenu Rémy Brague.

En lien deux recensions du recueil publié à cette occasion :
http://crm.revues.org/index142.html (Cahier de recherches médiévales, revue dont Max Lejbowicz est membre du comité de rédaction pour information)
http://methodos.revues.org/document531.html (revue Methodos)

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Message Publié : 09 Nov 2008 18:47 
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La Fabrique de l'Histoire est revenu dans le cadre des Rencontres d'Averroès sur la controverse.

Pour écouter l'émission:

http://www.tv-radio.com/ondemand/france ... 081107.ram

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Message Publié : 17 Nov 2008 20:09 
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Ce lundi 17 novembre 2008, la section philosophie de l'Académie des Sciences Morales et Politique a attribué le prix Victor Cousin à l'ouvrage de Sylvain Gouguenheim Aristote au Mont Saint Michel - les racines grecques de l'Europe chrétienne.

[Merci à ProGougy]

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Message Publié : 12 Déc 2008 17:54 
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Sylvain Gouguenheim s'exprime de nouveau sur la polémique suscitée par son livre sur le site ResilienceTV:

Citer :

Un dénommé Pierre Assouline semble jouer un rôle central pour les pétitionnaires qui vous contestent, il tient à peu près ce langage sur son bloc : " Ce qui lui est reproché ? De présenter comme inconnu ce qui était déjà bien connu : à savoir le rôle joué par Jacques de Venise et les moines de l’abbaye du Mont-Saint-Michel dans la traduction des textes grecs en latin. De monter en épingle une prétendue vulgate (L’Europe doit ses savoirs à l’Islam) pour mieux la réfuter alors que nul historien sérieux ne prétend rien de tel ". Qu'avez-vous à lui répondre ?

Sylvain Gouguenheim:

L’argument a souvent été utilisé. En gros mes adversaires avancent deux théories, d’ailleurs contradictoires. 1° tout ce que j’ai dit était connu et il n’y a rien de neuf 2° tout ce que j’écris est faux.

Je ne présente pas comme inconnu ni comme une découverte le personnage et l’œuvre de Jacques de Venise et des autres traducteurs des textes philosophiques grecs de la première moitié du XIIe siècle. Ce sont tous les hommes qui ont traduit directement du grec en latin des textes philosophiques, scientifiques ou médicaux. Je dis simplement que ces traducteurs n’apparaissent guère dans les manuels scolaires et assez peu dans les manuels universitaires de base.

D’une manière générale si les spécialistes de ces questions de diffusion et de traduction du savoir grec connaissent Jacques de Venise, l’anonyme dit du Vatican ou autres (tels les traducteurs syriaques établis à Antioche et qui ont travaillé autour de l’an 1100), le grand public cultivé ne les connaît pas. Les travaux des spécialistes apparaissent dans ce domaine peu diffusés. Dès lors on ne retient que les traducteurs qui sont passés de l’arabe au latin, tel le célèbre Gérard de Crémone dans la deuxième moitié du XIIe siècle ou les autres traducteurs chrétiens ou juifs rassemblés à Tolède à l’époque de la Reconquête chrétienne en Espagne (après 1150).

La vulgate selon laquelle l’Europe doit ses savoirs à l’islam n’est pas une invention de ma part ! Elle existe bel et bien et on la trouve dans de nombreux livres, dans des articles de presse. J’aurais pu dresser une liste très longue et je me suis contenté de citations empruntées à des gens sérieux. Incontestablement si j’avais fait un florilège on aurait bien vu que je n’inventais rien.

Distinguons toutefois deux vulgates. La première veut que grâce aux Arabes, le savoir grec ait transité du monde abbasside à l’Europe, autrement dit que des traductions effectuées du grec en arabe soient ensuite venues à la connaissance des Européens qui les auraient alors traduites de l’arabe en latin. Ce phénomène est incontestable, très important, et je ne l’ai jamais nié.

Il est bien établi, bien connu et se trouve abondamment relaté dans les manuels d’histoire, y compris ceux des classes de 5e de nos collèges. Mais ce phénomène comporte une dimension qui elle est en général peu présente, sur laquelle on n’insiste pas, ou qu’on escamote totalement. Ces traductions du grec en arabe ont été faites par des chrétiens syriaques arabisés ou par des Arabes chrétiens. Autrement dit on les doit à des Arabes, ou à des gens dont l’idiome de communication était l’arabe, mais pas à des musulmans.

L’œuvre des musulmans se situe dans l’utilisation, le commentaire, l’exploitation des travaux des Grecs, pas dans la traduction de ces travaux. Cela est un phénomène historique, qui peut avoir de nombreuses explications, et qui n’implique pas de jugement de valeur positif ou négatif.

La deuxième vulgate attribue à l’islam ce que la première attribue aux Arabes. Elle est parfois le fait de spécialistes lorsqu’ils s’expriment un peu vite, elle est le plus souvent le fait de vulgarisateurs. Cette deuxième vulgate me semble beaucoup plus discutable.

D’abord il faut s’entendre sur le mot islam et ce qu’il désigne : s’agit-il de la religion ou de la civilisation engendrée par cette religion ? Autrement dit, l’Europe doit-elle la redécouverte du savoir grec à la religion musulmane ou à la civilisation musulmane ? Il me semble que la distinction n’est pas inutile. La religion musulmane, les religieux, les docteurs de la foi, n’ont pas eu de souci particulier envers le savoir grec ou romain.

L’Europe n’a donc pas reçu de la religion musulmane le savoir grec.

En revanche, au sein de la civilisation musulmane des hommes se sont intéressés à la philosophie grecque (les célèbres « falasifa » : Al Farabi, Avicenne, Averroès). Mais ces philosophes aussi brillants soient-ils n’ont guère eu d’influence sur leur société. Ils n’ont par ailleurs jamais cherché à faire connaître aux Européens le savoir grec. En revanche, en effet, une partie de leurs œuvres ont été traduite de l’arabe en latin et donc leur pensée à été connue ainsi que celle des Grecs qu’ils commentaient.

Mais le monde abbasside ne s’est pas beaucoup inspiré du monde antique en dehors des domaines strictement scientifique (médecine, optique). Par exemple le droit musulman s’est entièrement constitué sans aucun rapport avec le droit romain. Pourquoi les philosophes comme Farabi ou Averroès n’ont-ils pu influencer leur société ?

D’abord certains, comme Averroès, avaient des conceptions très élitiste: à leurs yeux la philosophie ne devait être abordée que par les élites. Ensuite, ils n’ont pas été vraiment soutenus par le pouvoir politique. Enfin ils ne disposaient pas des institutions scolaires ou universitaires susceptibles de conserver et transmettre leurs recherches.

C’est en ce sens que j’ai émis l’idée que le monde musulman n’avait pas vraiment été hellénisé en profondeur, même au sein de ses élites.

Sans doute doit-on aussi tenir compte du fait que les Grecs ou les Romains n’y étaient pas considérés comme des « ancêtres » alors que les hommes de l’Europe latine se sentaient, à tort ou à raison (y a-t-il ou non continuité entre l’Antiquité et le Moyen Âge ? entre la Rome impériale et les carolingiens ? Ce sont là des questions débattues entre historiens), les héritiers ou les descendants du monde antique.


Par ailleurs, Pierre Assouline avance plus loin que vous auriez "dévalué la production savante des arabo-musulmans, en mathématiques et en astronomie notamment, entre le IX et le XIIIème siècle" ...

Notons que dans le volume spécial de Bordas encyclopédie (50/51) dirigé par Roger Caratini, (511.3), on peut lire (page 19) : " Il ne faut pas exagérer l'importance des mathématiciens arabes. Leur rôle s'est surtout limité à conserver et à transmettre un savoir dont ils n'étaient pas les auteurs (...)" Il parle par exemple du Perse Mohammed Ibn Musä al-Khwärizmi qui "ne semble pas avoir ajouté grand chose à l'oeuvre de Diophante". Al Khwarizmi lit-on sur un autre site contribuera aussi "à nous transmettre le système décimal provenant de l'Inde qu'il expose dans son traité de mathématiques datant de 830, "Livre de l'addition et de la soustraction d'après le calcul des Indiens".".

Qu'en penser ?...


Sylvain Gouguenheim:

Le thème de mon livre porte sur la transmission et la diffusion du savoir grec. Je n’ai jamais voulu – et je le précise d’ailleurs dans mon introduction qu’apparemment mes adversaires n’ont pas lue – m’atteler à une « Histoire des sciences médiévales » (européenne, arabe, persane, byzantine, chinoise) qui dépasse de loin mes compétences. Il ne s’agit pas pour moi de dresser un bilan des découvertes ou des prolongements scientifiques opérés au sein du monde abbasside en mathématiques, physique, médecine, etc. L’importance des découvertes, des prolongements opérés au sein du monde abbasside font l’objet d’analyses et de déductions différentes. Il s’agissait pour moi d’essayer de comprendre comment le savoir grec a été retrouvé par les Européens et, par ailleurs, d’essayer de mesurer l’influence de la pensée grecque sur la société musulmane, donc sur son droit, sa pratique politique, sa vision du monde. Ce dernier point est d’ailleurs à lui tout seul un problème très compliqué.

Les pétitionnaires de l'ENS vous reprochent enfin ceci :

"L’ouvrage de Sylvain Gouguenheim contient un certain nombre de jugements de valeur et de prises de position idéologiques à propos de l’islam"...


Sylvain Gouguenheim:

Jugements de valeurs ou prises de position idéologiques disent-ils alors qu’eux-mêmes ne cessent d’exprimer de tels jugements de valeurs. Ils se font les laudateurs du monde abbasside et les contempteurs de l’Occident latin. Ils idéologisent un problème scientifique compliqué uniquement pour des raisons politiques.

Certains d’entre eux parce qu’ils sont convaincus de la supériorité intrinsèque de l’islam sur la civilisation européenne médiévale ; d’autres parce qu’ils craignent que la moindre critique du monde musulman médiéval n’alimente les tenants d’une guerre des civilisations contemporaines.

Autrement dit, il faudrait reconnaître que le monde européen a une dette envers le monde musulman, afin d’établir de nos jours les relations pacifiques que tout le monde souhaite.

Or le problème n’est pas là. Ce que furent les relations entre les civilisations chrétienne et musulmane au Moyen Âge n’a, à mon sens, guère d’importance pour déterminer ce qu’elles sont ou seront. Je m’explique par une analogie : la France et l’Allemagne se sont fait trois guerres entre 1870 et 1944. Cela ne les empêche pas de bien s’entendre aujourd’hui. Et le fait de rappeler que Verdun a été un massacre épouvantable ne nuit en rien à l’amitié franco-allemande. On peut tout aussi bien dire que la philosophie allemande des XVIIIe-XIXe siècles est plus élaborée ou importante que son homologue française ou au contraire que les romanciers français du XIXe siècle ont produit une œuvre plus impressionnante que les romanciers allemands, etc.

Qu’importe ? Qu’une civilisation ait à un moment été en retard, ou en avance sur une autre, n’implique aucune conséquence pour les membres actuels de ces civilisations et n’offre encore moins de certitude sur l’état de ces civilisations dans deux siècles !


Ils disent aussi : " Il sert actuellement d’argumentaire à des groupes xénophobes et islamophobes qui s’expriment ouvertement sur internet. Par ailleurs, des passages entiers de son livre ont été publiés sur ces blogs, au mot près, plusieurs mois avant sa parution. On trouve également sur internet des déclarations qui posent question, signées «Sylvain Gouguenheim» (commentaire sur le site Amazon, 16 avril 2002) ou «Sylvain G.» (site Occidentalis, 8 novembre 2006). Bien évidemment, et nous en sommes parfaitement conscients, rien de ce qui circule sur internet n’est a priori certain, mais, au minimum, ces points méritent une explication et, le cas échéant, une enquête approfondie ".

En gros, leur accusation (dont le ton inquisiteur et menaçant fait froid dans le dos) vous reproche à la fois de voir vos thèses reprises par quelques groupuscules dits "xénophobes et islamophobes" et à la fois de contenir "un certain nombre de jugements de valeur et de prises de position idéologiques à propos de l’islam" ; or, il ne me semble pas que cela soit le cas à la lecture de votre livre, puisque votre sujet n'est pas l'islam en tant que tel, mais la façon dont a été transmise les racines grecques de l'Europe chrétienne...


Sylvain Gouguenheim:

D’abord il faut être clair juridiquement. Si j’ai commis un délit, que l’on porte plainte et que l’affaire soit portée devant la justice. S’il n’y a pas délit, alors on est en présence d’accusation idéologique, du type de celles classiques de la part des gauchistes qui consistent à vous accuser de ne pas « penser comme il faut » : une opinion – ou ce que l’on présente comme une opinion quitte dans mon cas à déformer totalement ce que j’ai écrit dans mon livre– devient un crime. C’est amusant de la part de gens qui ont défendu les Khmers rouges, qui défendent de nos jours ceux qui sabotent les voies de TGV au risque de tuer des dizaines de personnes. Il est classique de voir chez les intellectuels gauchistes un prompt enthousiasme à l’idée de tuer des milliers de personnes pour bâtir un monde meilleur. Staline déjà ne pensait pas autrement.
Mon sujet n’est en effet pas l’islam mais l’influence du savoir philosophique grec sur les élites mais aussi sur les sociétés médiévales, chrétiennes et musulmanes. Sujet bien vaste et que je n’ai fait qu’effleurer d’ailleurs.
A propos du mot islamophobe : tout le monde sait qu’il a été lancé par l’ayatollah Khomeyni pour dénigrer et accuser de racisme ceux qui critiquaient la révolution islamique d’Iran. Ceux qui l’utilisent sont donc ou bien des admirateurs de Khomeyni ou bien des gens d’une grande paresse intellectuelle qui utilisent des termes sans réfléchir à leur sens ni à leur portée. Calqué sur « judéophobe » ce mot est utile idéologiquement.
C’est une arme au service du terrorisme intellectuel déployé par les gauchistes. Il entend qualifier de raciste ceux qui émettent des critiques sur le droit musulman ou expriment leurs désaccords avec tel passage du Coran. Or si des racistes peuvent évidemment exprimer de telles critiques, toutes les critiques ne sont pas racistes.

On peut être anti-sioniste sans être anti-sémite, on peut critiquer certains aspects du boudhisme japonais (telle que la tendance Nichiren) sans pour autant être raciste envers les japonais. On peut tout aussi bien émettre des désaccords avec tel ou tel point de la doctrine ou de la pratique islamique sans pour autant être raciste vers les Musulmans. De plus cette dernière expression n’a aucun sens les Musulmans n’étant, comme les chrétiens, ni un peuple précis, ni une «race » ou ethnie.

Ne pas croire à l’Incarnation du Christ n’est pas du racisme anti-chrétien ou anti-blanc ! Le racisme culturel – expression utilisée par mes adversaires à mon encontre – est une expression absurde : son seul intérêt est pour eux de se servir du mot racisme qui permet immédiatement de diaboliser et d’interdire tout dialogue. Amalgame et reductio ad hitlerum comme en sont coutumier les gauchistes.

A propos d’Internet : on trouve beaucoup de choses sur Internet : les fragments de livres non publiés ou les articles sous presse déjà divulgués sont légion. Je me suis de mon côté toujours demandé comment mes adversaires avaient pu faire circuler au sein de l’ENS-LSH de Lyon, en le présentant comme la conclusion de mon livre, un scan de la conclusion des épreuves de ce même livre. Ces épreuves dataient au plus tard du début janvier 2008 et la pétition contenant le scan datait de la fin du mois d’avril alors que mon livre était sorti depuis mars. On me reproche mes « amitiés douteuses » comme écrivent avec élégance M. Martinez-Gros et M. Loiseau dans Le Monde ; quant à moi je trouve le procédé douteux et même suspect…

Que le contenu de mon livre ait été repris par des tas de gens différents est évident et était inévitable. Certains de mes adversaires ont cru intelligent de dire alors : « si on est récupéré c’est qu’on est récupérable ». La phrase est d’une grande stupidité. Elle rappelle les propos odieux tenus dans les années 1970 à propos des femmes violées : « elles l’ont bien cherché » ; autrement dit « violée parce que violable ». Nietzsche est-il nazi parce que les nazis l’admirent ? M. Boucheron, l’un de mes plus farouches adversaires, spécialiste de la Renaissance, devrait sous peu co-publier les actes d’un colloque consacré à la violence intellectuelle et intitulé « le mot qui tue ». Je ne ferais pas l’injure à ce Monsieur de déduire de ce seul livre qu’il est un adepte de la violence intellectuelle ! Même si en privé, comme en public, il m’a vertement attaqué, en toute impunité d’ailleurs. Par ailleurs, ce même M. Boucheron, connu pour ses opinions de gauche, ne vient-il pas d’être loué pour un de ses livres par un hebdomadaire assez marqué à droite (Valeurs actuelles) : doit-on en déduire que s’il a été ainsi récupéré, c’est qu’il était récupérable ? Ce ne serait pas très sérieux…

En fait, si l'on comprend bien, ce monsieur Assouline prétend en gros que sans les "lumières islamiques" il n'y aurait pas eu les "lumières" européennes, ce qui est pour le moins extravagant lorsque l'on connaît un tant soit peu la texture des débats intellectuels entre le 13ème siècle et le 18ème siècle et surtout le fait que le thomisme a, au 14ème siècle, définitivement mis de côté l'averroïsme comme source aristotélicienne principale, il suffit de lire le Contre Averroès de Thomas d'Aquin pour s'en rendre compte (livre récemment traduit par... De Libéra... qui fait partie de vos détracteurs...).

Sylvain Gouguenheim:

On utilise de plus en plus l’expression islam des Lumières pour évoquer la période des IX-XIIe siècles où les sciences se sont développées dans le monde abbasside, du fait de savants de toutes origines et de toutes confessions. De ce point de vue il y a bien un âge d’or des sciences arabes, puisque tous ces textes et ces travaux ont utilisé l’arabe comme langue de communication.

En revanche l’emploi du terme « Lumières » me semble anachronique: ce qu’on appelle Lumières concerne le mouvement scientifique et philosophique du XVIIIe siècle qui se caractérise, entre autres, par une critique de l’Eglise comme institution et même de la religion au nom de la libre pensée et de l’usage critique de la Raison qui s’oppose à la Révélation.

Il y a aussi dans le mouvement des Lumières des revendications politiques opposées au pouvoir royal. Il ne me semble pas qu’il y ait eu au Moyen Âge dans le monde abbasside ni d’ailleurs à Byzance ou dans l’Europe dite latine, des courants équivalents : ni critique « agnostique » de la religion, ni pensée politique « démocratique ».

Par ailleurs, il semble bien que Assouline De Libéra et l'ensemble des pétitionnaires font en quelque sorte la courte échelle à d'autres idéologues bien plus politiques en ce sens qu'ils vont bien plus loin en expliquant que l'Europe pour tout remerciement aurait fait sa Reconquista, (l'Espagne castillane ne devait pas reconquérir ses terres), ses croisades (alors qu'il s'agissait de retrouver la filiation au Christ sur des terres conquises par l'islam), et enfin aurait généré un colonialisme qui aurait parachevé le tout par la destruction de bases civilisationnelles si prometteuses.

Ainsi certains cadres du FLN racontaient à leurs ouailles qu'avant la conquête de la France l'Algérie avait un niveau de développement comparable à l'Allemagne, d'où les difficultés de développement actuel, alors que la décolonisation approche les 50 ans et que jamais l'impact du régime politique actuel n'est analysé pour expliquer les dysfonctionnements présents ; par ailleurs l'extrême droite en France, du moins dans ses courants majeurs, ceux du Front National et de la Nouvelle Droite, est plutôt islamophile...

Tout cela pour dire que votre livre chamboule, sans s'en rendre compte évidemment, toute cette vulgate qui a créé un monde binaire idyllique et qui en réaction a réagi si vivement ; on ne comprendrait pas sinon sa volonté de vous nuire jusqu'au point de vous obliger à démissionner...


Sylvain Gouguenheim:

Il y a clairement chez mes adversaires une volonté d’insister sur les méfaits du monde occidental, ou tout au moins un refus catégorique que l’on puisse émettre quelque critique que ce soit à l’encontre des autres civilisations ou aires culturelles. On est en plein masochisme, utilisé par certains à des fins politiques bien évidemment. Le tout étant drapé dans un discours « internationaliste » et « résistantialiste » qui oublie que les résistants, les vrais, étaient très patriotes et qu’ils prenaient des risques immenses…

Que mon livre brouille les lignes, je m’en suis rendu compte après coup en m’apercevant qu’il plaisait autant à des royalistes catholiques, qu’à des chrétiens de gauche ou des agnostiques… et même à de sincères admirateurs du monde abbasside qui m’ont écrit pour me dire qu’à la fois ils conservaient leur admiration pour l’islam médiéval et qu’ils étaient heureux d’apprendre des choses intéressantes sur l’occident médiéval. Le monde « réel » est beaucoup moins binaire que mes adversaires ne l’imaginent. Eux pensent en termes de «blanc/noir» de « 1/0 »alors que la plupart des gens se situent dans diverses nuances de gris…

Source: http://www.resiliencetv.fr/modules/smar ... temid=1436

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 Sujet du message : Revue Controverses
Message Publié : 12 Déc 2008 23:24 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

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Paru dans la revue Controverses

« L’Affaire GOUGUENHEIM », querelle autour des origines de la CULTURE occidentale

Au printemps 2008, le petit monde des historiens médiévistes s’est offert une polémique des plus surprenantes, non pas sur le fond, qui ne fut pas réellement discuté, mais sur la forme.

L’historien Sylvain Gouguenheim, spécialiste de l’Occident médiéval et plus particulièrement du monde germanique, fut montré du doigt, stigmatisé et vertement attaqué, non seulement au sein de l’université française, mais également dans une partie de la presse. De quoi s’est donc rendu coupable Sylvain Gouguenheim pour donner son nom à une « affaire » qui s’affiche désormais aux Rendezvous de l’Histoire de Blois, réunion annuelle de tout ce que la France compte d’historiens et d’intellectuels importants ?

Roger Pol-Droit ne se doutait sûrement pas qu’en publiant un compte-rendu plutôt élogieux du livre de l’historien, Aristote au Mont Saint-Michel dans le Monde des Livres du 25 avril 2008, il déclencherait une véritable tempête qui allait souffler sur le landernau universitaire français. Que l’on parlerait d’une « affaire Gouguenheim » comme à une certaine époque, on parlait de « l’affaire Kravtchenko » ! Le présent article n’a pas pour but d’infirmer ou de confirmer ce qu’avance l’historien dont il appartient aux spécialistes de discuter mais bien de tenter de comprendre comment d’un livre a pu naître une telle « affaire ».

Parce qu’en effet, il ne fallut pas attendre bien longtemps pour que fusent les réponses, non seulement à Roger Pol-Droit dans un nouveau numéro du Monde des Livres, mais également et surtout à M. Gouguenheim. La charge fut d’abord menée dans le journal par deux historiens, G. Martinez-Gros et J. Loiseau1, appuyés par la lettre, non publiée intégralement, d’une autorité intellectuelle, Alain de Libera. On apprenait dans le même temps que des pétitions circulaient dans le monde universitaire contre le livre de Sylvain Gouguenheim. Elles furent au nombre de trois, relayées par certains médias. La première, un appel international, parut dans le journal Libération2, paraphée par 56 chercheurs. L’éminent Jacques Le Goff fit néanmoins remarquer qu’elle ne fut signée que par « peu des principaux médiévistes »3. Ces intellectuels considéraient, à propos de l’ouvrage incriminé, que « ce qui est présenté comme une révolution historiographique relève d’une parfaite banalité ». Interne à l’Ecole Normale supérieure au sein de laquelle le professeur Gouguenheim est chargé depuis plusieurs années de préparer les jeunes agrégatifs, la seconde pétition considère toutefois son livre comme « inattendu et iconoclaste ». Certes, les historiens sont loin de représenter la majorité des pétitionnaires : 27 sur 200 dont 1 ATER, 3 élèves, 20 anciens élèves et 1 ancien auditeur…, lesquels soulignent que l’auteur de l’outrage « tire pour bonne part sa légitimité » de son appartenance à l’ENS. Certes, il n’a publié que quelques ouvrages majeurs, quantité d’articles et rendu passionnés des centaines d’agrégatifs de l’université Paris I Panthéon-Sorbonne ce qui finalement lui a permis d’obtenir un poste de professeur à l’ENS… Néanmoins, la pression au sein de l’ENS fut telle que son directeur, Olivier Faron, se crut obliger de provoquer à la fin du mois de juin 2008 la réunion du Conseil scientifique de l’Ecole où ne siégèrent que des membres extérieurs, par souci d’objectivité. La montagne accoucha d’une souris : aucune mesure ne fut prise contre Sylvain Gouguenheim. Enfin, une troisième pétition vint s’ajouter, signée par une quarantaine de chercheurs au CNRS.

Mais qu’avait donc écrit l’historien pour offenser certains de ses pairs universitaires au point qu’ils ressentent le besoin, en France, de pétitionner contre l’un des leurs, comme on dénonçait jadis, dans certains Etat totalitaires, tout ce qui portait atteinte au pouvoir ou à la ligne politique défendue par celui-ci… ? Le médiéviste dont les travaux universitaires publiés jusqu’alors4 avaient donné lieu à une reconnaissance de ses pairs5, avait osé s’attaquer, dans une collection prestigieuse, « L’univers historique » au Seuil, à un sujet sensible : l’héritage culturel de l’Europe. Bousculant la doxa dominante qui considère que l’essentiel de l’héritage de la Grèce classique a été transmis à l’Occident par des savants arabo-musulmans, il osa s’attacher à démontrer le contraire.


Sylvain Gouguenheim n’avance rien de nouveau dans son livre, il vulgarise – ce qu’il annonce d’ailleurs dès l’introduction – afin de transmettre au grand public ce qui avait été dit par les meilleurs spécialistes mais été resté ignoré. Il suffit de jeter un coup d’oeil à la bibliographie pour comprendre que l’auteur n’a pas fait oeuvre de recherche mais a bien synthétisé un nombre impressionnant d’articles de spécialistes.

Il rappelle ainsi que les textes grecs traduits par les Arabes l’ont été par des chrétiens syriaques, depuis le Ve siècle jusqu’aux Xe-XIe siècles. Il ajoute ensuite que des lettrés européens ont volontairement cherché à retrouver les textes grecs dont l’existence leur était connue. Dans ce processus, Sylvain Gouguenheim montre qu’il y eut plusieurs filières de redécouverte, de récupération du savoir grec, parmi lesquelles ces traductions faites par les Syriaques ainsi que des traductions directes du grec au latin opérées par des moines ou clercs en plusieurs endroits (Antioche, Sicile, la région du Mont Saint-Michel, le Nord de la France, Chartres, etc.), au moment de la Première croisade et dans la première moitié du XIIe siècle, avant donc les traductions venues d’Espagne. Il affirme ainsi que l’Europe médiévale a toujours maintenu des contacts avec le monde grec, que la dette de l’Europe à l’égard de la civilisation musulmane est bien moins importante que ce qu’on l’affirme, enfin que les « racines » de l’Europe sont grecques, contrairement à celles du monde islamique.

Certes, Sylvain Gouguenheim n’est pas un spécialiste reconnu de l’Islam, ce qui sembla, entre autres, gêner ses dénonciateurs. Mais combien parmi les pétitionnaires le sont ? Certains ne sont pas même médiévistes, et encore moins historiens. De plus, depuis qu’il enseigne à l’université (Paris I Panthéon Sorbonne avant l’ENS), en charge de séminaires de préparation au concours de l’agrégation, ses préparations de cours l’ont nécessairement amené à chercher et lire énormément sur le sujet des relations Orient-Occident à l’époque médiévale.

En réalité, rien n’est dit par les pétitionnaires sur le contenu du livre mais il fallait disqualifier celui qui avait osé parler. Le discours tenu par l’historien ne correspondait pas à la ligne choisie pour être vulgarisée et diffusée au plus grand nombre. Il fallait identifier l’auteur de tels propos, lequel, empreint d’idéologie dont les pétitionnaires étaient évidemment totalement dégagés (l’idéologie c’est l’autre…), cachait son véritable propos derrière un discours policé mais néanmoins pernicieux, voire « insidieux »6. Ainsi, Sylvain Gouguenheim subit-il une véritable reductio ad hitlerum assez classique des tenants du discours bien pensant. Il fallait débusquer le raciste, voire le fascisant ayant osé écrire que l’Occident chrétien ne devait pas tout à l’Islam de « l’âge d’or médiéval ». Ainsi, les pétitionnaires normaliens jugèrent que le livre de M. Gouguenheim « sert d’argumentaire à des groupes xénophobes et islamophobes qui s’expriment ouvertement sur Internet ». Et si tel est le cas, c’est que l’auteur lui-même devait nécessairement souscrire à ces thèses, pensaient-ils. On éplucha donc son ouvrage et on trouva de quoi le clouer au pilori : il avait cité la méthode de René Marchand, un historien classé à l’extrême droite. Preuve était faite ! En guise de preuve, il est amusant de constater que Sylvain Gouguenheim dit ceci : « Il faut, selon les mots de René Marchand, “détecter la réalité derrière le vernis de l’histoire recomposée” » 7. Approche méthodologique critique qui a tout de l’extrême-droite, en effet… Autre preuve : des sites Internet classés dans la même famille politique avaient publié quelques extraits du livre avant sa parution. CQFD !

Cette volonté de traquer la bête se retrouve jusque dans les propos de ceux qui attaquèrent l’historien. C’est ainsi que dans une missive envoyée au Monde, Alain de Libera voyait là « une alliance entre le petit pavillon de banlieue et le traditionalisme catholique le plus rétrograde »… Il ne fait pas bon habiter dans un pavillon de banlieue si on veut recevoir l’estime de M. De Libera… Pour le philosophe, pourfendeur de « l’islamophobie ordinaire », du « ministère de l’immigration et de l’identité nationale » ou encore des « caves du Vatican »8, l’Europe doit à l’Islam sa culture et ses Lumières, lesquelles, visiblement, ne sont pas arrivées chez tous les Européens, ce qu’il semble donc regretter. Tous ceux qui osent nuancer le propos ou contrarier la doxa seraient donc susceptibles d’épouser les thèses extrémistes les plus nauséabondes. On ne peut donc émettre d’autre avis que le sien, clairement affiché dans un article paru en 1996 intitulé « Le Don de l’Islam à l’Occident»9. Malgré le désaccord de fond entre les deux thèses, on pourra s’étonner de la virulence des attaques lancées par M. De Libera, ne supportant peut-être pas d’être mis poliment en cause par Sylvain Gouguenheim, lequel, s’il avait été moins courtois, aurait pu préciser que M. De Libera ne connaît ni le grec, ni l’arabe…10 Enfin, la preuve ultime, ce sont les propos de Sylvain Gouguenheim sur les différences entre les langues sémitiques et indo-européennes. De ce constat, les 56 chercheurs ont conclu au « racisme culturel », visiblement heureux d’avoir enfin pu coller le terme disqualifiant par excellence. Peu importe que nombreux soient les linguistes ou anthropologues les plus sérieux à affirmer que de telles différences existent. Une autre méthode consista à chercher les erreurs contenues dans le livre afin de disqualifier définitivement l’ouvrage et l’auteur. C’est ainsi qu’il lui fut reproché d’affirmer que Jean de Salisbury a commenté Aristote dans le Metalogicon. Horreur ! Le Metalogicon n’est pas un commentaire… On lui prêta l’idée d’avoir inventé des thèses (existant réellement) afin de facilement les réfuter ; on chercha à trouver des contradictions. Enfin, on affirma haut et fort que Gouguenheim énonçait une thèse d’une parfaite banalité et que rien de nouveau n’apparaissait dans le livre. Que M. De Libera et les autres spécialistes n’apprennent rien d’un livre de vulgarisation ne doit pas étonner, en revanche, il est étonnant qu’une fois ce constat opéré, l’ouvrage soit tout de même attaqué sur ce motif… Notons au passage que ces méthodes cherchant à délégitimer ou disqualifier l’auteur ont également pour but d’éviter la discussion de fond qui, à ce jour, n’a toujours pas eu lieu alors que nombre d’historiens ou philosophes spécialistes d’histoire médiévale ou du monde arabo-musulman ont apporté leur soutien à Sylvain Gouguenheim11.

L’ampleur prise par cette « affaire » dans le monde universitaire, mais aussi dans la presse fut réellement étonnante. Du Monde, où elle démarra, à Libération en passant par Le Figaro et les multiples sites ou journaux en ligne qui rapportèrent ou alimentèrent l’affaire, on ne peut que s’étonner : quelles mouches ont donc piqué les initiateurs des pétitions ? Pourquoi pétitionner ? Pourquoi maintenant et avec une telle virulence ? En cherchant bien, impossible de trouver traces de pétitions ayant visé un historien reconnu par les plus prestigieuses institutions du pays ou bien un de ses ouvrages. Pourtant, il nous est difficile de croire que tout ce qui est écrit en France dans le milieu universitaire sied aux vaillants pétitionnaires en campagne. Il faut ainsi constater que c’est bien le sujet abordé en tant que tel ou utilisé comme prétexte, qui a fait bondir.

L’un de ceux qui semble avoir joué un rôle important dans le déclenchement de « l’affaire », est Patrick Boucheron, historien spécialiste de l’Italie du « Quattrocento». Chez les Normaliens, l’ancien membre de la Gauche prolétarienne, Jean-Claude Zancarini12, bien suppléé par Pascale Barthélémy, spécialiste de la colonisation au XXe siècle, semblent n’avoir cessé de ruer dans les brancards, à tel point qu’en juillet 2008 le directeur de l’ENS rappela Mme Barthélémy à l’ordre lui reprochant de vouloir relancer la polémique qui s’était calmée. Enfin, nous sommes en droit de nous interroger : sous cette affaire, n’existe-t-il pas, bien trivialement, quelques rancoeurs ou ambitions inavouées ? On aurait voulu fragiliser Sandrine Devillairs, directrice de l’Univers historique au Seuil, qu’on ne s’y serait pas pris autrement ; on aurait voulu se venger d’un manuscrit par elle refusée, qu’on aurait pas mieux profité de l’aubaine ; on aurait mal supporté que Sylvain Gouguenheim ne soit pas lui-même normalien, qu’on aurait sauté sur l’occasion. Quant aux signataires des pétitions, on se doit de noter qu’ils furent plusieurs à appeler l’éditeur après avoir signé pour demander le livre qu’ils n’avaient pas lu… Certains, à l’étranger, ont même affirmé avoir signé par sympathie pour les initiateurs.

Aucun historien ne peut affirmer, sur des sujets aussi complexes et lointains, détenir une vérité absolue et jamais Sylvain Gouguenheim, dans son Aristote au Mont Saint-Michel, ne prétend le contraire. Mis au ban par une partie de ses pairs, montré du doigt par une partie de la presse, l’historien n’en continue pas moins de travailler et d’enseigner. Ceux à qui il est le plus utile savent combien il leur est dévoué. Ainsi les étudiants normaliens ont-ils élu Sylvain Gouguenheim « professeur de l’année universitaire 2007-2008 »…

Iannis Roder

Enseignant agrégé d’histoire,
Conseiller pédagogique au Mémorial de la Shoah (Paris).

notes
1. Gabriel Martinez-Gros et Julien Loiseau, Une démonstration suspecte, Le Monde des Livres, 25 avril 2008.
2. Un collectif de 56 chercheurs en histoire et philosophie du Moyen-Âge, Oui l’Occident chrétien est redevable au monde islamique, Libération, 30 avril 2008.
3. Interview à l’Express, 15 mai 2008.
4. Entre autres :
La Sybille du Rhin. Hildegard de Bingen, abbesse et prophétesse rhénane, Publications de la Sorbonne,
1996.
Les fausses terreurs de l’an Mille. Attente de la fin des temps ou approfondissement de la foi ?
Picard, 1999.
Les Chevaliers Teutoniques, Tallandier, 2007.
5. Notons qu’au beau milieu de la polémique, marquant là un réel soutien, Jacques Le Goff invita S. Gouguenheim le 2 juin 2008 sur France culture dans son émission Les lundis de l’histoire, afin qu’il y parle des Chevaliers Teutoniques.
6. Alain de Libera, Landerneau terre d’Islam, Télérama du 28 avril 2008.
7. Sylvain Gouguenheim, Aristote au Mont Saint-Michel, Seuil, Univers historique, Paris, 2008. p. 134.
8. A. De Libera, Landerneau terre d’Islam, Télérama du 28 avril 2008.
9. « Le don de l’Islam à l’Occident », in C. David et J.-Ph. de Tonnac, éd., L’Occident en quête de sens, Paris, Maisonneuve et Larose, 1996, p. 189-196.
10. « Je ne peux suivre Alain de Libera qui crédite l’Islam d’avoir effectué la « première confrontation de l’hellénisme et du monothéisme » – oubliant les Pères Grecs ». p. 11.
11. Entre autres : Rémy Brague, Philippe Contamine, Alain de Saint-Denis, Pierre Riché, Dominique Urvoy, Martin Aurell, Jean-Pierre Arrignon, Françoise Gaspari, Françoise Autrand ou encore Annie Cazenave, Benoît Pasar, Gérard Troupeau, etc.
12. Voir le livre de Christophe Bourseiller, Les Maoïstes, la folle aventure des gardes rouges français, Points, Seuil 2008.

Source : http://www.controverses.fr/pdf/n9/roder9.pdf


Je laisse le soin aux modérateurs de ranger dans le bon fil.

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« Étudiez comme si vous deviez vivre toujours ; vivez comme si vous deviez mourir demain. » Isidore de Séville


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