Je crois qu'il est clair qu'il faut préciser cette notion de "barbare" dans laquelle on retrouve tout et n'importe quoi ; les peuples qui ont souvent une grande réussite dans la conquêtes de vastes espaces (il n'y a pas que des Empire "civilisés" qui trépassent) n'ont pas de structures administratives lourdes et complexes, et sont dans le même temps dépositaires d'une ancienne tradition "militaire".
Les Romains connaissent une expansion exceptionnelle lorsque les expéditions sont confiées à des professionnelles de la guerre dont le recrutement des armées se fait de manière relativement souple, bénéficiant d'un apport fort de volontaires par exemple. Le règlement des conflits est géré également par ses hommes qui allient des motivations multiples comme la gloire, la richesse... Tout ce phénomène se tasse après sa plus grande inflation au temps d'Auguste, juste au moment où l'armée devient professionnelle et donc extrêmement structurée. De plus les conquêtes des généraux ne sont plus guère tolérées car elles font de l'ombre à la gloire de l'empereur, qui récupère l'essentiel des initiatives, comme Trajan par exemple. Mais les conquêtes ne partent plus dans "tous les sens" comme auparavant et la gestion des 300000 hommes qui constituent l'armée romaine relève en cas de conquête d'une précision millimétrique, car il faut dégarnir des points de frontière pour rassembler une armée. En bref, cela devient de plus en plus difficile de conduire une politique d'expansion territoriale.
Mais cela ne veut évidemment pas dire que les forces des peuples "civilisés" sont constituées d'hommes mous et lascifs, pervertis par la civilisation. Les troupes de l'armée romaine du IVe siècle sont d'une rudesse peu commune et pas seulement à cause du recrutement barbare. L'armée romaine est un monde à part qui vit en dehors des cadres habituels de la civilisation, chose renforcée par une mesure de Dioclétien fixant l'hérédité des métiers. Celui des armes se fait de plus en plus en vase clôt et acquiert alors une identité très marquée. Les soldats se comportent avec une hargne et une volonté de combattre absolument remarquable, même en infériorité numérique, et encore plus lorsqu'ils sont acculés. Pris au piège dans Amida, les Romains se font massacrer en refusant plusieurs propositions de redditions avancées par le roi des rois. Ce n'est qu'un exemple, mais il me semble représentatif de la fierté des combattants de l'époque. Les "barbares" (au sens romain du terme) qui sont entrés dans cette armée se comportent avec courage et détermination sans réelle trahisons. De nombreux généraux ou officiers barbares servent la cause romaine avec exemplarité. Tout cela pour dire que les deux mondes ; le romain et le barbare sont intimement mêlés et si l'Empire se trouve en faillite au Ve siècle s'est plus un fait politique que militaire. Il 'y a donc pas opposition franche et nette, ce qui infirme les théories du sang neuf apporté par les barbares. L'État romain souffrait plus de carences intrinsèques au régime à savoir par exemple l'absence de règle de succession à la dignité impériale, source de multiples guerres civiles.
Une fois les causes internes mises en lumière, on comprend mieux l'impact des migrations sur une entité politique fragilisée. Les Romains au IIIe siècle avaient été surpris par la combinaison des menaces qui les empêchaient de faire front partout en même temps. Cela a mis en exergue les insuffisances de leur appareil militaire qui s'est progressivement réformé pour aboutir à l'armée du IVe siècle, bien plus adapté à la menace. Mais lorsqu'ils décident de déléguer leur défense aux fédérés tout change et sans force militaire pour faire entrer tous ces alliés dans le rang, Rome n'avait plus d'alternative à la disparition. Mais est-ce que ce sont les barbares qui l'ont abattue? J'en doute fortement.
La civilisation de l'antiquité tardive est en tout cas extrêmement intéressante car elle permet de se rendre compte combien les interactions entre une "civilisation" établie et ses "barbares" sont étroites, loin de l'image véhiculée par les auteurs antiques, qui voulaient établir une distinction ferme et définitive entre eux et les Autres.
J'ai peur de m'être quelque peu égaré... excusez moi...