Tonnerre a écrit :
Il y a un jugement de valeurs inhérent à votre projet: pour les nazis, le rebelle positif qui a eu le bon réflexe, c'était Leo Schlageter.
Rebelle positif: tout dépend pour qui.
Je dois confesser à mon grand regret que j'ai un jugement de valeur sans appel sur les nazis : je me vois mal pousser le relativisme historique jusque-là.
Vestitudo a écrit :
Je me suis peut-être mal exprimé. Il s'agit plutôt d'éviter un jugement a posteriori.
Votre réponse indique justement le type de jugements qui me semble préjudiciable à votre étude : si je vous suis, on admet aujourd'hui (et à raison bien sûr) que le régime nazi était criminel, donc tout individu qui, quels qu'aient été ses intérêts dans l'affaire, estime à l'avance qu'il faut s'élever contre ce régime, est un traître par devoir / un rebelle positif ?
Non, positif ? Ce terme-ci n'est, je pense, pas très historique. Il ne s'agit pas d'éviter la consensualité, car louer encore le rôle de tels hommes le serait aussi. C'est plus une question de méthode. Cela dit je fais peut-être fausse route !
Je pense que vous avez raison. Je dois intégrer le fait qu'il y a eu des "traitres par devoir" y compris parmi ceux qui ont fait fausse route.
Ils ont fait fausse route, on peut en juger à postériori (et encore, certains font débat encore aujourd'hui) mais ce n'était pas évident dans le contexte de l'époque. C'est à la lumière de l'époque en question qu'il faut examiner leur dilemme, leur choix, leurs doutes...
Il y a un sujet qui est passé inaperçu, y compris dans cette discussion : le dilemme entre nationalisme et loyalisme, lancé par Fabien de Stenay ICI :
viewtopic.php?f=55&t=3813Il illustre son propos par un extrait de Chateaubriand assistant - de très loin - à la bataille de Waterloo, et partagé entre son aversion pour Napoléon et l'éventualité d'un retour de Louis XVIII taché par le sang des soldats français.
Fabien de Stenay a écrit :
(...)
Ce conflit entre patriotisme et loyalisme (ou légitimisme) n'est-il pas typique de l'époque contemporaine ?
J'ai du mal à en trouver trace avant la Révolution. (...)
En revanche, l'époque contemporaine semble pleine de ces dilemmes auxquels je trouve une saveur assez grandiose.
Je pense à Robert E. Lee, qui ne se résigna à se dresser contre l'Union que quand les troupes fédérales menacèrent sa petite patrie virginienne (conflit entre la fidélité au gouvernement fédéral, jugé légitime par Lee, et l'amour de la patrie).
Je pense au colonel von Stauffenberg, qui en s'en prenant à Hitler (c'est-à-dire en suivant ses convictions de chrétien) avait douloureusement le sentiment de devenir un traître à sa patrie.
Je pense au général Vlassov, qui pour débarrasser sa patrie russe de la tyrannie de Staline, accepta de collaborrer avec l'envahisseur allemand.
Il me semble qu'une des caractéristique de la période qui commence avec la Révolution est celle-ci : les Etats constitués s'appuient sur l'idée qu'ils représentent le bien. (la démocratie, le progrès, la nation, la défense des prolétaires...)
Dès lors, trahir l'Etat en place situe le traître - aussi bonnes soient ses motivations - comme un individu détestable qui doit être mis au banc de la société.
Cette prétention de l'Etat à incarner le bien collectif, l'intérêt général, il me semble qu'elle naît avec la démocratie.
Evidemment, elle existe sous une forme plus aigüe lorsque la démocratie est pervertie, ou fait carrément naufrage dans le totalitarisme.
Mais même une démocratie moderne peut mettre des individus devant l'obligation - pour eux - de devenir des traîtres par devoir : par exemple, dans le cas de la guerre d'Algérie, on peut mettre dans cette catégorie aussi bien le général Challe (traître par devoir, au nom de l'Algérie française) que Francis Jeanson (traître par devoir, au nom de l'indépendance algérienne.)
En clair : il me semble qu'une problématique nouvelle est apparue avec les Etats modernes.
On voit bien que la "tolérance à la trahison" n'est plus celle des époques antérieures, où l'on admettait comme honorable qu'un homme trahisse lorsque le pouvoir mettait en cause son honneur, celui de sa famille,... Voire même ses intérêts particuliers, si on examine l'époque féodale.
Je vois un indice de cette ancienne "tolérance à la trahison" dans le fait que Brutus est resté vivant. Personne n'a jugé indispensable d'exécuter l'assassin de César. Au delà des circonstances particulières de ce cas, imagine-t-on pareille compréhension des motivations de celui s'en prend à l'Etat, à compter de 1789 ?
D'autant que les Etats qui pervertissent la démocratie sont ceux qui revendiquent au maximum l'intérêt général, fût-ce au prix de millions de morts.
Allez donc savoir s'il faut s'opposer à Staline, lorsque celui-ci se drape dans le drapeau de Koutousov pour défendre la Sainte Russie...
Est-ce qu'il n'y a pas là une problématique moderne, voire toujours actuelle : Celle de l'homme face à l'Etat ?