Duc de Raguse a écrit :
Que pensez-vous des personnages comme von Stauffenberg ou le maréchal Marmont ? Ce sont aussi des traîtres, qui ont prétendu agir par devoir.
Mais parfaitement. Et qui ont bien fait.
On peut discuter le cas de Talleyrand - d'ailleurs plus efficace dans la trahison - mais celui de Marmont ne porte pas à débat : quand les Alliés font le siège de Montmartre, et que lui, Marmont, s'est battu comme un lion du côté de Belleville, on peut estimer qu'il est temps d'arréter les frais. D'autant que les Alliés n'ont pas l'intention d'incendier Paris. La seule chose qu'on puisse reprocher à la trahison de Marmont, c'est qu'elle est maladroite : il va donner dans le panneau et conforter la manoeuvre de Talleyrand, qui joue le retour des Bourbons par intérêt.
Qin a écrit :
Lu Xun, Wei Jinsheng, Peng Dehuai, Deng Xiaoping & consorts représentent de bons exemples, divers et variés. Ils le sont d'autant plus qu'ils incarnent des compromis face à la nécessité, des trahisons loin d'être complètes mais toutefois révolutionnaires en ce sens qu'elles tranchent avec les dogmes établis (pour Peng Dehuai et Deng Xiaoping, il s'agit clairement de cette nécessité de sauver le pays du naufrage auquel le maoïsme économique le condamne; dans les cas des deux premiers rebelles cités, il est question d'une clairvoyance exceptionnelle, brocardant sans pitié un régime et un parti qu'ils avaient soutenu et qui avaient volé leurs espoirs).
La liste est longue dans l'Histoire politique chinoise de ces "traitres par devoir" autour desquels vous cherchez encore une définition fiable, puisqu'une des valeurs centrales des lettrés en Chine fut de servir le pays avant de servir le prince, et de lui désobéir (en lui faisant parfois des remontrances) si son action s'égarait (Cuchlainn a cité le Sun Zi bing fa, et il était dans le juste puisque cette conception s'applique autant à la guerre qu'à la politique; Mao ne disait-il pas, reprenant seulement à son compte une très longue tradition littéraire, que "la politique est une guerre sans effusion de sang et la guerre une politique sanglante."). Bref, c'est très riche, et cela peut fournir une autre facette intéressante de ce phénomène si généralisé.
Merci de grand coeur pour ces informations, plutôt exotiques pour le Français de base que je suis : il y a donc à chercher au 20ème siècle d'autres "traîtres positifs" encore peu connus, au moins en Europe.
Je ne connais que le dernier de la liste. Il me semble que sa fameuse phrase "peu importe que le chat soit blanc ou noir, pourvu qu'il attrape les souris," qui a mis fin au délire maoïste, sert aujourd'hui à justifier tout et n'importe quoi. Cuchlainn a raison : il faut tenir compte du contexte où se joue cette trahison positive.
Je ne sais plus quel nom donner à ces traîtres qui ont fait évoluer les choses de façon positive, ou tenté de le faire. Mais la catégorie existe, même si les contours en sont flous.
Tonnerre a écrit :
Sur le sujet de fond, il semble qu'on pourrait considérer que tous les assassins de chefs d'Etat étaient à leurs propres yeux des traitres par devoir, de Ravaillac à Lee Harvey OSwald.
J'ai beau chercher, je ne vois pas de cas où l'assassin d'un chef d'Etat ait fait évoluer le monde de façon positive.
Ah si, tiens : quand les Basques de l'ETA ont assassiné l'amiral Carrero Blanco, ils ont éliminé le successeur désigné de Franco, ouvrant ainsi la voie du pouvoir futur à Juan Carlos. Il est permis d'estimer que les Espagnols y ont gagné au change.
Sauf que l'objectif des terroristes basques n'était pas de placer un démocrate sur la liste de succession. Ils ignoraient d'ailleurs la vision politique de Juan Carlos, à supposer que celle-ci fût déjà formée dans son esprit...
En général, les terroristes renforcent le pouvoir en place.
ç'aurait pu être le cas de Stauffenberg... mais il l'a raté. Pierre Nord dit que les multiples tentatives d'assassinats contre Hitler font penser à ces suicidaires qui se ratent si souvent qu'on en vient à penser que leur inconscient les arrête. Gilles Perrault va jusqu'à affirmer que l'action de la résistance militaire allemande n'a pas diminué d'une heure la durée de la guerre.
C'est à vous dégoûter de la rébellion par devoir...