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Message Publié : 24 Nov 2017 17:43 
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ThierryM a écrit :
Narduccio a écrit :
Sauf erreur de ma part, le génocide fait partie des crimes contre l'humanité. Et si on regarde bien ce qui est reproché aux nazis dans la catégorie des crimes contre l'humanité, le génocide en fait partie.

Il n'y a pas d'erreur de votre part, au détail que cette intégration est issue du Tribunal de Nuremberg et de sa mise en place. Ce qui veut dire qu'on peut considérer que tous les signataires de sa mise en place ont validé cette intégration du génocide aux crimes contre l'humanité. Les statuts de la CPI reprennent cette définition et l'étoffent ou la précisent mais, par construction, ces textes ne sont opposables qu'aux signataires.
Mais, quoi qu'il en soit, j'ai le sentiment que le débat sur les qualifications relèvent plus du domaine juridico-politique que du domaine de l'historien proprement dit. Je veux dire ce ne sont pas les historiens qui peuvent définir le terme ; ils peuvent défendre l'idée que tel massacre est un génocide mais ils n'iront pas au-delà d'une défense d'une opinion.


Je suis bien d'accord avec votre propos. Je sais le mal qu'il peut y avoir à avoir des définitions différentes pour un même mot. Je pense qu'il ne faut pas donner d'un mot une définition qui n'aurait de sens que dans un certain contexte. Il ne doit pas y avoir le génocide des juristes, celui des hommes et femmes de la sphère politique, celui des ambassadeurs, celui des historiens, des présentateurs télés, des polémistes, des philosophes, des ...

Si on veut arrêter la cacophonie, il faut reconnaitre que ce mot a été créé dans un contexte précis, pour reconnaitre des fats précis. L'intervention des historiens devrait se limiter à vérifier si on est dans le contexte de ce mot. Pas de décider qu'il faut changer la définition car on a décidé a-priori que tel massacre est un génocide

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Message Publié : 24 Nov 2017 17:51 
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Hugues de Hador a écrit :
Je ne sais pas si le "Holodomor" a été reconnu comme génocide par la France ou par la Belgique.


En ce qui concerne la "reconnaissance", il faut retenir que c'est compliqué. Dans certains cas, des députés ont organisé des votes où la présence d'une part plus ou moins importante de votants a permit de voter une "reconnaissance". Une ou deux législatures après, un autre groupe de députés pouvant voter une autre loi, ou cette "reconnaissance" ne ferait pas partie de la liste reconnue à ce moment-là ...

Lors de tels vote, des officiels, membres du gouvernement ou pas, montent parfois au créneau pour affirmer que ce n'est pas là l'avis officiel du Gouvernement, ou de "la France"... Or, tout cela trouble le débat. En ce qui concerne la plupart des démocraties, on peut trouver des listes divergentes issues de reconnaissances diverses et variées qui se veulent la reconnaissance du peuple, ou du gouvernement, ou du pays concerné.

Donc, en cherchant, on devrait trouver des reconnaissances de tel ou tel massacre qui pourraient ressembler à une reconnaissance plus ou moins officielle. Sans que ce soit la position officielle de "la France" ou de "la Belgique"

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Message Publié : 24 Nov 2017 19:27 
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Grégoire de Tours
Grégoire de Tours

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Narduccio a écrit :
ThierryM a écrit :
Narduccio a écrit :
Sauf erreur de ma part, le génocide fait partie des crimes contre l'humanité. Et si on regarde bien ce qui est reproché aux nazis dans la catégorie des crimes contre l'humanité, le génocide en fait partie.

Il n'y a pas d'erreur de votre part, au détail que cette intégration est issue du Tribunal de Nuremberg et de sa mise en place. Ce qui veut dire qu'on peut considérer que tous les signataires de sa mise en place ont validé cette intégration du génocide aux crimes contre l'humanité. Les statuts de la CPI reprennent cette définition et l'étoffent ou la précisent mais, par construction, ces textes ne sont opposables qu'aux signataires.
Mais, quoi qu'il en soit, j'ai le sentiment que le débat sur les qualifications relèvent plus du domaine juridico-politique que du domaine de l'historien proprement dit. Je veux dire ce ne sont pas les historiens qui peuvent définir le terme ; ils peuvent défendre l'idée que tel massacre est un génocide mais ils n'iront pas au-delà d'une défense d'une opinion.


Je suis bien d'accord avec votre propos. Je sais le mal qu'il peut y avoir à avoir des définitions différentes pour un même mot. Je pense qu'il ne faut pas donner d'un mot une définition qui n'aurait de sens que dans un certain contexte. Il ne doit pas y avoir le génocide des juristes, celui des hommes et femmes de la sphère politique, celui des ambassadeurs, celui des historiens, des présentateurs télés, des polémistes, des philosophes, des ...

Si on veut arrêter la cacophonie, il faut reconnaitre que ce mot a été créé dans un contexte précis, pour reconnaitre des fats précis. L'intervention des historiens devrait se limiter à vérifier si on est dans le contexte de ce mot. Pas de décider qu'il faut changer la définition car on a décidé a-priori que tel massacre est un génocide


Je suis à mon tour entièrement d'accord avec vous. Donc, nul besoin d'en rajouter.


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Message Publié : 24 Nov 2017 20:13 
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Grégoire de Tours
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Narduccio a écrit :
Si on veut arrêter la cacophonie, il faut reconnaitre que ce mot a été créé dans un contexte précis, pour reconnaitre des fats précis. L'intervention des historiens devrait se limiter à vérifier si on est dans le contexte de ce mot. Pas de décider qu'il faut changer la définition car on a décidé a-priori que tel massacre est un génocide

En pratique il est probablement assez rare, et même rarissime, qu'un historien utilise une définition autre que cellle qui a été publiée par l'ONU en 1948.


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Message Publié : 27 Nov 2017 14:53 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

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Bien entendu, il est normal en 1948 que Lemkin traite le sujet des massacres de masse à l'aune de deux survenus pendant la guerre. Mais il fait de ces types de massacre le cœur de son travail depuis le début des années 20 c'est suite à des lectures à ce sujet à l'université de Lvov. Il ne commence pas à travailler sur ce sujet dans le début des années 30.

Les massacres rencontrés ensuite vont confirmer la direction de ses travaux qui lui sont, donc, inspirés en premier lieu par le génocide arménien.

https://www.facinghistory.org/sites/def ... mkin_0.pdf

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Message Publié : 10 Août 2022 12:55 
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Polybe
Polybe

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Bonjour,
Je fais remonter ce fil qui dort depuis longtemps.

Faut-il remettre en cause l'utilité du terme génocide ?

En citant Jacques Sémelin, Duc de Raguse remarque que l'inflation de l'utilisation du concept de génocide depuis les années 1990 a fait réfléchir historiens et philosophes sur l'utilisation de ce terme :
viewtopic.php?f=48&t=42755&start=30#p597343
Citer :
"Au milieu des années 1990 le développement d'un corpus croissant de travaux sur des cas de génocides autres que la Shoah et d'études comparatives et transnationales du génocide comme phénomène historique général s'observe. Toutes ces nouvelles études durent s'attaquer à la définition du génocide telle que l'établissait la Convention des Nations unies et toutes se montrèrent très critiques à son encontre. [...] Certains remirent en cause l'utilité même du terme génocide dans les recherches académiques.
Jacques Sémelin, entre autres, soutient que les chercheurs ne devraient pas se laisser orienter dans leurs travaux par un terme qui est le produit de négociation et de compromis politiques. Il soutient en outre que le terme "massacres"* fournit un cadre plus utile parce qu'il permet aux chercheurs de saisir une vaste gamme de violences sans s'enfermer dans des restrictions de la définition des Nations unies."

* Sémelin J., Purifier et détruire. Usages politiques des massacres et génocides, Paris, 2005


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Message Publié : 10 Août 2022 19:17 
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Qu'en est-il des juristes ? N'oublions pas que ce sont les juristes qui on t créé ce terme. Ce n'est qu'ensuite que les philosophes et les historiens vont s'en emparer. De même que l'opinion publique et les politiques. Si on c'était contenté de rester dans les bornes posées par les juristes, il n'y aurait pas de longues discussions autour de ce terme.

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Message Publié : 15 Août 2022 19:13 
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Hérodote
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Citer :
Jacques Sémelin, entre autres, soutient que les chercheurs ne devraient pas se laisser orienter dans leurs travaux par un terme qui est le produit de négociation et de compromis politiques. Il soutient en outre que le terme "massacres"* fournit un cadre plus utile parce qu'il permet aux chercheurs de saisir une vaste gamme de violences sans s'enfermer dans des restrictions de la définition des Nations unies."

* Sémelin J., Purifier et détruire. Usages politiques des massacres et génocides, Paris, 2005

C'est peut-être une nouvelle tendance, mais elle ne bénéficie pas encore d'un large consensus.


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Message Publié : 15 Août 2022 19:46 
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Une "tendance" sur laquelle écrivent de nombreux auteurs anglo-saxons et français depuis plus de 20 ans, il n'y a rien de neuf.
Tout travail épistémologique sur la question y fait référence depuis une quinzaine d'années.
Petit résumé, très succinct : https://ehne.fr/fr/encyclopedie/th%C3%A9matiques/guerres-traces-m%C3%A9moires/violences-de-guerre/g%C3%A9nocide%C2%A0-histoire-et-usages-d%E2%80%99un-concept

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Message Publié : 06 Déc 2022 13:20 
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Grégoire de Tours
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Pierma a écrit :
Au fait, c'est hors limite chronologique, mais je pense que le génocide des Tutsis au Rwanda (en 94) a été reconnu par l'ONU ?

Exact. Ce n'est plus hors limite chronologique et peu d'exemples se conforment aussi bien à la définition de génocide.
https://www.un.org/en/preventgenocide/r ... ound.shtml

Florent1987 a écrit :
je n'ai pas saisi chez Jacques Sémelin un refus radical d'utiliser la notion de génocide. Son propos me semble bien plus centré sur l'analyse comparée des massacres et sur la distinction, justement, entre ce qui pourrait être qualifié de génocides et ce qui ne le pourrait pas


+1 Sur Sémelin, cité plusieurs fois ici, il est beaucoup plus nuancé que cela est présenté. L'article cité est clair: Sémelin "se demande « quand et dans quelles circonstances un massacre devient un génocide », celui-ci constituant à ses yeux « ce processus particulier de la destruction des civils qui vise l’éradication totale d’une collectivité dont les critères sont définis par son persécuteur »". Si le terme de massacre est plus flexible et facile à appliquer ("terme minimal de référence", sorte de dénominateur commun), le terme de génocide , quoique plus restreint et plus spécifique, garde sa valeur heuristique.


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Message Publié : 06 Déc 2022 21:01 
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Laissons Sémelin répondre à cela...
Il revient ici sur la définition d'un concept, juridique au départ, de "génocide" que les sciences sociales - sans le repousser ou le nier - ne peuvent utiliser sereinement dans le cadre de leurs travaux et études, sous peine de tomber sous le coup de conflits mémoriaux et de débats judiciaires et de perdre, ainsi, toute indépendance, impartialité et autonomie :
Jacques Sémelin a écrit :
Le terme « génocide » a été créé en 1944 par Raphaël Lemkin, juriste américain d’origine polonaise, et institutionnalisé en 1948, sur le plan international, par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée par les Nations Unies. Cette notion de « génocide » est d’un emploi malaisé en sciences sociales du fait des enjeux moraux et politiques qui lui sont associés :
Enjeux de mémoire : du fait de l’existence de cette convention internationale, nombreux sont ceux qui veulent faire reconnaître que les massacres et violences subis dans le passé, de la part de tel groupe ou État, rentre dans la catégorie du génocide : le combat le plus emblématique à cet égard est celui de la communauté arménienne ;
Enjeux liés à l’action immédiate : quand une population semble ou est effectivement en danger de mort, le recours au mot « génocide » constitue comme le signal ultime adressé à tous pour empêcher la tragédie d’advenir ; cela pour provoquer un choc dans les consciences et susciter une intervention internationale en faveur des victimes ;
Enjeux judiciaires proprement dits : pour poursuivre en justice des responsables de violences de masse et de massacres (inculpation de Pinochet et plus récemment de Miloševi? pour « génocide »).

Or, tiraillé entre ces enjeux moraux et politiques, il n’est pas facile pour le chercheur de se frayer un chemin, c’est-à-dire celui de sa propre autonomie. Ces mobilisations communautaires, citoyennes ou judiciaires, si importantes soient-elles, ne relèvent pas véritablement du métier de chercheur.


Il en découle ainsi une profonde réflexion épistémologique quant à l'usage du terme de génocide dans les sciences historiques et même si l'objectif final demeure toujours d'aider à mieux comprendre un processus de mise à mort de masse, une partie de la terminologie liée à la définition (judiciaire et politique) d'un génocide doit être écartée sans aucune réserve :
Jacques Sémelin a écrit :
Or, l’essentiel des études sur le génocide, depuis Lemkin, sont héritières de cette approche initiale. Le champ des études sur le génocide a été enfanté par le droit. Il suffit, pour nous en fournir la preuve, de faire un examen des principaux livres que je viens d’évoquer : ils commencent presque tous par une présentation et une discussion de la convention de l’onu de 1948. Or, on le sait, le texte de cette convention présente des insuffisances, voire des contradictions, sur lesquelles je ne reviendrai pas ici. En résultent maints débats et polémiques entre les chercheurs.
Plus profondément encore, le problème est d’utiliser une notion juridique comme catégorie d’analyse en sciences sociales. Autrement dit, on en vient à utiliser une norme qui est, par définition, politique, puisque le texte de cette convention résulte évidemment d’un accord international entre les États en 1948, dans le contexte de l’après-guerre.
Une telle situation est problématique. Elle fait penser à la critique développée par Durkheim, au début du xxe siècle, à propos de l’utilisation normative de la notion de « crime » en sociologie. En ce début de xxie siècle, nous avons également à développer la critique de l’utilisation normative de la notion de « génocide » dans les sciences sociales.
Ainsi, dans cette perspective d’autonomisation des sciences sociales (évoquée en introduction), cela doit s’exprimer d’abord dans leur émancipation à l’égard du droit et donc du politique. Ce n’est pas forcément à la mode dans la mesure où, de nos jours, tout devient juridique et, inversement, on utilise le droit pour faire de la politique. Le droit étant lui-même politique. En matière de droit international, nous commençons d’ailleurs à disposer d’excellents travaux de synthèse (Schabas, 2000). Néanmoins, cette émancipation de l’approche juridique me semble une étape indispensable, pour ne pas dire vitale, afin que les études sur le génocide acquièrent leur propre maturité.

Première conséquence de cette volonté d’autonomie : elle me conduit à employer un vocabulaire non normatif, non juridique, pour construire cet objet de recherche. En ce sens, je préconise d’abord l’utilisation de la notion de « massacre », comme unité lexicale de référence, dans ce champ d’études. Bien moins générale que celle de violence, la notion de « massacre » désigne une forme d’action le plus souvent collective, détruisant des individus sans défense ce qui, d’ailleurs, se dit aussi des animaux, depuis le Moyen Âge européen.


Une nouvelle typologie peut donc être avancée pour remédier à ce problème selon Sémelin - typologie qui ne fait pas non plus l'unanimité dans la communauté historienne, mais le pavé dans la marre a été jeté.

Jacques Sémelin a écrit :
Mes travaux m’incitent donc à tenter de Penser les massacres (Sémelin, 2001), à partir d’un vocabulaire de base autour de cette notion, distinguant par exemple :
-Massacres de proximité (de type « face to face ») et massacre à distance (du type bombardement aérien) ;
-Massacres bilatéraux (comme dans la guerre civile) et massacres unilatéraux (du type d’un État contre son peuple) ;
-La notion de « massacre de masse » (comme en Indonésie en 1965 ou au Rwanda en 1994) dans lesquels entre 500 000 à 800 000 personnes ont été tuées en quelques semaines) et des massacres à une échelle beaucoup plus réduite, comme en Algérie ou en Colombie. Dans le premier cas, il semble justifié de parler de « massacre de masse », de la même manière que l’on distingue entre une manifestation et une manifestation de masse.

En ajoutant, qu'il faut que l'étude de ces massacres s'accompagne, obligatoirement, de l'étude du "processus global de destruction".

Pour concéder, en conclusion, qu'une fois le filtre "du processus global de destruction" ait été utilisé et plus particulièrement le couple "destruction/éradication" :
Jacques Sémelin a écrit :
C’est à ce stade ultime de l’éradication que la notion de génocide peut être réintroduite, cette fois-ci comme concept en sciences sociales.

Et, finalement, d'identifier les massacres de masse qui peuvent être qualifiés de génocides, au regard de ce "classement" sérié :
Jacques Sémelin a écrit :
En tout cas, ce sont les dirigeants de l’Allemagne nazie qui ont été le plus loin dans le projet de destruction totale d’une collectivité. En effet, l’extermination des Juifs européens entre 1941 et 1945, qui fait suite à l’élimination partielle des malades mentaux allemands, est l’exemple prototypique de ce processus d’éradication poussé à l’extrême. Dans des contextes historiques fort différents, on peut en dire autant de l’extermination des Arméniens de l’Empire ottoman en 1915-1916 et de celle des Rwandais tutsis en 1994. Le but n’est plus ici de forcer un peuple à se disperser sur d’autres territoires. Il s’agit de le faire disparaître, non seulement de sa terre, mais de la terre, pour reprendre l’expression de Hannah Arendt.
Revue Internationale des Sciences sociales, avril 2004.

Ce faisant, Sémelin offre une nouvelle définition du concept de génocide, quantitative et qualitative, dépassant finalement celle du juriste, qu'il ne trouve pas pertinente - comme de nombreux autres historiens anglo-saxons ou Français - pour les raisons exposées précédemment et permettant d'apporter une sorte de boussole au néophyte, afin que tous les massacres que compte l'Histoire de sociétés humaines ne soient pas qualifiés aussi rapidement de "génocides".
Il s'agit là d'une inflexion épistémologique majeure dans le champ des sciences sociales et historiques et elle a bien plus de vingt ans.

Cela dit, il ressort - de manière paradoxale ? - de l'utilisation de ce filtre, que la Shoah, le génocide arménien et celui des Tutsis constituent les seuls massacres de masse qui peuvent être qualifiés de "génocides", exactement comme le font, d'un point de vue politique et judiciaire, l'ONU et l'Etat français...

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Message Publié : 07 Déc 2022 18:14 
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Pierre de L'Estoile
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D’un point de vue judiciaire, il faut ajouter les massacres perpétrés par les Khmers Rouges. Khieu Samphan et Nuon Chea ont été reconnus en première instance le 16 novembre 2018 coupables de génocide en raison des « exactions commises à l’égard des Vietnamiens, de la communauté musulmane cham et d’autres minorités religieuses ».

Le tribunal spécial chargé de juger les Khmers Rouges a été mis en place avec l'aide de l'ONU. C'est un tribunal composé majoritairement de Cambodgiens et minoritairement de magistrats internationaux de telle sort qu'aucune décision ne peut être prise sans le vote d'au moins un magistrat international. Les procédures suivies ont été mises au point sous l'égide de l'ONU et sont conformes aux standards en vigueur dans les pays démocratiques.


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Message Publié : 07 Déc 2022 20:20 
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Effectivement - il me semble pourtant que l'ONU ne reconnaisse pas "pleinement" ces massacres comme un génocide, malgré cette décision judiciaire (à vérifier...) -, mais nous sommes là dans le cadre judiciaire (et politique), comme vous le rappelez, et donc hors du champ des sciences sociales selon l'approche de cet auteur.
Il évoque également ce massacre de masse et ne le qualifie pas de génocide, car les assassins ne sont pas entrés dans ce processus global de destruction , puisqu'ils permettaient à celles et ceux qui s'étaient soumis à leurs règles de survivre.
Bien entendu, on ne trouve pas cela chez les nazis (ou au Rwanda) puisque le juif n'avait aucun moyen de se "racheter", il devait disparaitre, de manière systématique, au simple titre qu'il était juif. Le processus de destruction était alors global, pas au Cambodge.
Jacques Sémelin a écrit :
Ceux qui ont été probablement le plus loin dans cette voie sont les Khmers rouges au Cambodge. Mais le processus multiforme de la destruction/soumission de la société cambodgienne a eu ceci d’extraordinaire, mais de parfaitement cohérent, d’aller de pair avec le projet de la rééducation des Cambodgiens, puisque le soir étaient prévues des séances d’éducation idéologique. C’est dire que, dans sa forme probablement la plus radicale, le massacre de masse au Cambodge n’est pas synonyme d’extermination totale, le sens même de l’entreprise des Khmers rouges ayant été de viser la rééducation de ceux qui seraient épargnés ou qui réussiraient à survivre.

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Message Publié : 17 Déc 2022 23:59 
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Grégoire de Tours
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Barbetorte a écrit :
les massacres perpétrés par les Khmers Rouges. Khieu Samphan et Nuon Chea ont été reconnus en première instance le 16 novembre 2018 coupables de génocide

Décision confirmée par ce tribunal spécial mandaté par les Nations Unies il y a juste deux mois, cette fois définitivement.

Duc de Raguse rappelle que Sémelin ne fait pas l'unanimité. Sur le Cambodge,
Duc de Raguse a écrit :
Il (...) ne le qualifie pas de génocide, car les assassins ne sont pas entrés dans ce processus global de destruction , puisqu'ils permettaient à celles et ceux qui s'étaient soumis à leurs règles de survivre.
Jacques Sémelin a écrit :
le massacre de masse au Cambodge n’est pas synonyme d’extermination totale, le sens même de l’entreprise des Khmers rouges ayant été de viser la rééducation de ceux qui seraient épargnés ou qui réussiraient à survivre.

Il faudrait parler au pluriel des massacres de masse. Il n'y a pas eu "que" de la "rééducation" de Khmers ethniques.
Les Vietnamiens ethniques, 20 000, et surtout l'ethnie musulmane Cham, dont parle Barbetorte, que Nuon Chea a massacrés, sans possibilité de rédemption aucune, dont on évalue le nombre des victimes à plusieurs centaines de milliers de morts, environ 70% de la population Cham du Cambodge. Ceci pour le génocide ethnique, établi par le tribunal. Objectif d'extermination totale, réussi à 70%.

Il y aurait de la place pour le débat pour ce qui est de la "rééducation" des Khmers, sans que cela semble tranché par un consensus. Il y aurait beaucoup à dire sur la question "que la "rééducation" permette -parfois- de survivre, suffit-il à définir ce qu'est ou n'est pas un génocide?" si le crime de génocide ne se limite pas à l'ethnie réelle ou imaginée, mais se prolonge dans l'identité du groupe visé, identité non inscrite dans des gênes. La définition de départ des Nations Unies, puis la pratique des tribunaux, des Parlements et des science sociales ont élargi le champ: au-delà du génocide ethnique, on parle de génocide religieux, culturel, idéologique, de classe ou politique. Pour autant, l'usage du terme est resté extrêmement rare.

En l'espèce, le crime des "rééduqués" au Cambodge étant de ne pas adhérer à la nouvelle "religion" khmère rouge, de ne pas être de la bonne classe.

Il y a bien au moins un consensus: "l'extermination totale" de la citation choisie de Sémelin n'est pas un critère suffisant retenu pour définir un génocide. L'intention de détruire en partie un groupe suffit (article II), dont au moyen d'atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;

Surtout, il faut souligner que la "rééducation" dont on parle n'est pas un simple stage de formation, mais pour les classes moyennes éduquées (ou simplement perçues comme telles, les porteurs de lunettes par exemple) , la rééducation en question sont des séances de torture, des années de travail forcé dans des conditions terribles entraînant souvent la mort (faim, épuisement, maladie) sans tenir compte de l'âge ou du sexe, etc. Des atteintes à l'intégrité physique et mentale.

Autres critères présents dans la définition de départ:
- Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe (au Cambodge: stérilisation systématique des femmes)
- Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe: les Khmers ont fait cela aussi, enlever les enfants des parents "rééduqués" pour les mettre dans des communautés où ils subissaient un lavage de cerveau, avec interrogatoires pour incriminer leurs parents. Dans beaucoup de cas, les enfants des parents arrêtés étaient exécutés pour éviter les actes de vengeance.


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Message Publié : 18 Déc 2022 23:37 
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GustavedeBeaumont a écrit :
Duc de Raguse rappelle que Sémelin ne fait pas l'unanimité.

Ce n'est pas vraiment ce que j'ai écrit.
J'ai simplement rappelé qu'il y a une vingtaine d'années - avec d'autres historiens français - il jette un pavé dans la marre en défendant que le concept juridique de génocide - fort discutable - fait mauvais ménage avec les travaux de recherche en sciences historiques et, plus généralement, en sciences sociales. D'autant plus qu'il bride nécessairement le travail de n'importe quel chercheur. En cela il est très proche d'un Pierre Nora ou d'un Vidal-Naquet, entre autres.

C'est plutôt au niveau de la nouvelle typologie sur les massacres de masse qu'il propose à cette occasion qu'il ne fait pas l'unanimité, puisqu'elle n'est pas forcément reprise par les autres.

GustavedeBeaumont a écrit :
Il y a bien au moins un consensus: "l'extermination totale" de la citation choisie de Sémelin n'est pas un critère suffisant retenu pour définir un génocide.

Ce n'est pas la question d'un "consensus" qu'il faut évoquer ici, puisque vous inversez la chronologie et mélangez justement ce qui ne faut pas selon Sémelin.
La définition politico-juridique du concept de génocide date de 1948 - celle qui ferait consensus selon vous, alors que ce n'est justement pas le cas pour ces auteurs -, ses critiques par les historiens, quant à elles, datent essentiellement des années 1990-2000.
Bref, vous reprochez à ces auteurs de ne pas respecter la définition de l'ONU de 1948, alors qu'ils cherchent justement à la dépasser.
C'est là inverser le sens de la réflexion.

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