Helios a écrit :
La prise de pouvoir par Bonaparte me fait plus penser à celle de César. César a lui aussi fondé sa légitimité sur la conquête et, fort de sa popularité, a fait ce qu'il est permis de qualifier de coup d'Etat militaire en franchissant le Rubicon en janvier 49. Il a donné à sa domination une forme qui se voulait en rupture avec le régime précédent, au moyen de la dictature à vie et peut-être en souhaitant devenir roi (la fameuse question insoluble).
Ce rapprochement avec César a été fait au travers de la brochure intitulée « Parallèle entre César, Cromwell, Monck et Bonaparte », publiée le 1er novembre 1800 et rédigée sous la direction de Lucien (qui perdit son ministère suite au scandale provoqué par cet ouvrage) dans le but de glorifier Bonaparte et surtout de mettre en avant la problématique de la succession, avec en filigrane le choix de l’hérédité :
"Il faut franchir deux mille ans pour trouver un homme en quelque point semblable à lui. Cet homme, c'est César.
César donne, dès sa jeunesse, des signes de sa future grandeur. Il échappe, comme par miracle, à la prévoyance de Sylla, qui voyait en lui plus d'un Marins ; il triomphe dans les trois parties du monde connu ; il soumet les peuples les plus barbares et les plus éclairés ; il s'immortalise à la fois dans l'Italie, dans les Gaules et dans l'Afrique. Bonaparte est fameux au même âge et dans les mêmes contrées. Les milices asiatiques et les meilleures troupes de l'Europe ont reconnu son ascendant. Ils sont nés l'un et l'autre au milieu des guerres civiles, et tous deux les ont terminées; mais César, en accablant le parti le plus juste, et Bonaparte, en ralliant les citoyens contre le parti des brigands : et ici, Bonaparte et César, qui se ressemblent comme guerriers, diffèrent comme politiques.
En effet, César souleva les fureurs de la multitude contre la sagesse patricienne, qui était le vrai rempart de la liberté : Brutus, en attaquant César, défendit l’ordre social contre l’anarchie, la propriété contre la loi agraire, le peuple contre la populace. Robespierre et ses partisans qui attestaient le nom de Brutus étaient condamnés à la fois par ses actions et par sa doctrine. L'ignorance révolutionnaire avait tout confondu ; il est temps de rétablir les vraies notions de l'histoire et de la politique : c'est contre les démagogues que Brutus s'est armé ; César a été le chef des démagogues. Il est arrivé au pouvoir suprême en étouffant la voix des bons citoyens, par les cris forcenés de la multitude. Bonaparte, au contraire, a rallié la classe des propriétaires et des hommes instruits contre une multitude forcenée. Les acclamations de ses soldats ont été les seuls suffrages du dictateur ; et la puissance du premier consul a reçu la sanction de trois millions de citoyens votant individuellement et en secret dans toute la latitude de leur liberté. Le premier consul, loin d'ébranler, comme César, toutes les idées conservatrices de la société, leur rend leur antique empire. Il protége toutes les classes de l'État, mais il a soin de remettre en honneur celle que la propriété, l'instruction, le devoir ou l'intérêt appellent plus essentiellement au maintien de la chose publique. En un mot, César fut usurpateur et tribun du peuple, Bonaparte est consul légitime.
Cette différente marche des deux héros tient peut-être aux circonstances où l'un et l'autre furent placés ; mais on ne peut nier d'ailleurs que leur caractère et leur destinée n'aient eu des analogies frappantes.
Voyez César au milieu du détroit de l'Épire et dans une frêle barque assiégée de toutes les tempêtes, disant au pécheur qui le conduit : Ne crains rien, tu portes César et sa fortune. Voyez-le s'arrêter un moment auprès du Rubicon, et jetant tout à coup sa fortune à l'autre bord, suivre la voix qui l'appelait à l'empire du monde.
N'est-ce pas le même génie, qui au moment où Bonaparte débarquait en Egypte à la vue d'une flotte anglaise, le fait s'écrier : Et quoi fortune, encore deux jours.
Ne croit-on pas lire une dépêche de César, quand Bonaparte écrit dans un de ses messages datés d'Italie : Je vois la côte où Alexandre embarqua pour conquérir l’Asie ?.. et quand on songe que peu de mois après, il était maître d'une partie des conquêtes d'Alexandre !!!
Bonaparte est comme César, un de ces caractères prédominants, sous qui s'abaissent tous les obstacles et toutes les volontés : ses inspirations paraissent tellement surnaturelles, qu'on n'eût pas manqué de le croire sous la garde d'un génie, d'un dieu particulier dans ces siècles antiques où l'amour du merveilleux remplissait tous les esprits, et où les opinions religieuses, en relevant la destinée des héros et des législateurs, assuraient leurs institutions et le repos des peuples.
Bonaparte, Alexandre et César ont eu souvent le même théâtre de gloire; tous trois ont triomphé par leurs lieutenants ; tous trois ont porté les arts et les sciences dans des contrées barbares. Les deux héros de l'antiquité eurent une grande influence sur l'avenir. Celle du héros français sera-t-elle aussi durable ?"
A ce propos, on peut citer la note de Napoléon relative aux inscriptions de l'Arc de triomphe rédigée 3 octobre 1809 (on y parle aussi d'Auguste) :
"Le seul homme, et il n'était pas empereur, qui s'illustra par caractère et par tant d'illustres actions, c'est César. S'il était un titre que l'Empereur pût désirer, ce serait celui de César. Mais tant de petits princes ont tellement déshonoré ce titre (si cela était possible), que cela ne se rapproche plus de la mémoire du grand César, mais de celle de ce tas de princes allemands aussi faibles qu'ignorants et dont aucun n'a laissé de souvenirs parmi les hommes.
Le titre de l'Empereur est celui d'Empereur des Français. Il ne veut donc aucune assimilation, ni le titre d'Auguste ["Auguste n'a eu que la bataille d'Actium"], ni celui de Germanicus ["Germanicus a pu intéresser les Romains par ses malheurs, mais il n'a illustré sa vie que par des souvenirs très médiocres."], ni même celui de César."