Jean-Marc Labat a écrit :
L'histoire n'est pas faite que pour les spécialistes, sinon elle mourra de confinement. C'est déjà ce qu'elle fait, à mon avis.
C'est tout le problème. En plus, intituler un livre "première industrialisation du XIXe siècle" ça fait moins rêver que "révolution industrielle", et au fond si on fait de l'histoire c'est bien pour entendre des histoires intéressantes, alors on perd de l'intérêt si on rend les choses trop barbantes. On peut donc passer l'introduction d'un tel livre sur les débats terminologiques et passer à la suite, ça ne change pas grand chose qu'on parle de révolution ou non. Mais la question de départ ne portait pas vraiment sur ce problème là, d'ailleurs dans le cas qui nous intéresse il s'agit juste d'une remise en cause de la part de certains spécialistes, l'expression "révolution industrielle" est encore conservée par d'autres (avec de bons arguments).
Cuchlainn a écrit :
Zunkir, j'aurais aimé que vous m'expliquiez pourquoi l'apparition de l'énergie à volonté - la machine à vapeur - ne peut pas être considérée comme un fait révolutionnaire. Plutôt qu'un début et une fin, il me semble qu'il y a de manière assez nette un avant et un après, dans l'histoire.
Je ne vais sûrement pas vous convaincre, mais on a certes une "révolution" technique, mais dans son application concrète, l'utilisation de l'énergie à vapeur met de longues décennies a utiliser ses potentialités à fond, et donc les changements sont progressifs, non radicaux. En plus cette énergie ne peut pas vraiment être considérée comme illimitée si on prend en compte le problème de l'approvisionnement en source d'énergie, qui cause pas mal de problèmes, et ensuite l'adaptation des machines à cette nouvelle énergie, qui provoque une série de changements progressifs encore. Et les changements de la première industrialisation ne se résument pas à cette invention, il y a une série de modifications dans le système de production. Une invention technique seule ne suffit pas, encore faut-il le contexte qui permette sa pleine utilisation ; hors dans ce cas-là l'évolution de celui-ci accompagne progressivement la nouvelle technique et sa mise en œuvre. Ce type de mécanismes a bien été mis en avant avec le cas de l'invention de l'imprimerie à caractères mobiles métalliques. Pour la machine à vapeur, un procédé semblable avait été découvert par Héron d'Alexandrie dans l'Antiquité mais jamais mis a profit pour l'économie (c'était juste pour faire joli en quelque sorte), et les raisons expliquant cela sont débattues ; A. Bresson, spécialiste de l'économie de la Grèce antique, explique justement cela en partie par un problème en sources d'énergie combustibles dans le Grèce antique. Pas forcément convaincant, mais en tout cas il ne faut pas se dire que c'est parce qu'on a inventé quelque chose de potentiellement révolutionnaire on va aboutir à une révolution. Il fallait tout un ensemble de conditions pour que ça marche, progressivement : un milieu scientifique communicant, avec une phénomène d'émulation ; des milieux d'entrepreneurs qui aient un intérêt à utiliser cette invention, et soient motivés pour cela, notamment par la croissance de la demande ; des techniciens qui suivent les besoins ; et des moyens financiers et matériels (ici, la houille britannique), sans parler des circuits économiques pour écouler les nouvelles productions, sans une société britannique qui prend de plus en plus l'habitude d'améliorer son confort personnel depuis le XVIIe siècle, sans les débouchés de la colonisation, ça n'aurait pas forcément marché. On en revient donc à faire un tableau des mécanismes de l'industrialisation, qui se mettent en place progressivement et pas radicalement ; sans la machine à vapeur ça ne marchait pas, mais avec ça ne marchait pas forcément non plus ... Donc si on fait de l'histoire "totale" on peut discuter le fait qu'il s'agisse d'une "révolution"
stricto sensu, ce qui n'empêche pas cette invention d'être indéniablement primordiale et très intéressante à étudier.