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Message Publié : 29 Sep 2015 22:59 
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Localisation : Alsace, Zillisheim
En fait, sans faire une analyse historique, la situation est incompréhensible. Je vous propose que l'on s'intéresse, dans un premier temps, à la manière dont fonctionne le marché du logement dans une ville idéale sans problèmes de place. Je rappelle que Mulhouse se situe dans une plaine, près de divers cours d'eau, ce qui lui a procuré cette ressource nécessaire à la vie. Il n'y a pas de problèmes de marécages, pas de montagnes pour restreindre l'espace habitable. Bref, le site est idéal pour qu'une ville puisse s'y développer. Dans ces conditions comment cela se passe usuellement. Au départ, les gens s'installent et bâtissent leur maison où bon leur semble. Ensuite, tout cela s'ordonnance au fil du temps. Puis, on voit apparaitre des immeubles de rapports. Ce sont des immeubles bâtis pour rapporter de l'argent au propriétaire. Usuellement, un propriétaire possède plusieurs immeubles. Il perçoit des loyers qui lui permettent d'investir dans de nouveaux logements, d'entretenir les anciens et de vivre de ses bénéfices. Bien entendu, si les bénéfices sont suffisants, il peut régulièrement construire de nouveaux logements. Or, je vous ai dit plusieurs fois que Mulhouse manquait de logements à cette époque-là. Pourtant, elle continuait de s'agrandir petit à petit ... Et c'est là le cœur du problème, car Mulhouse fut nommé le Manchester français... Ce fut un centre industriel de tout premier ordre qui a connu une expansion rapide. Les usines se sont multipliées. Comme elles payaient les ouvriers mieux que ne les payaient les agriculteurs, de nombreux journaliers des villages alentours venaient dans ses usines. La ville grossissant, la demande en logement a augmenté. Et, par un effet mécanique, les loyers aussi. Le fait que les loyers augmentent, ce fut bénéfique pour les bénéfices des propriétaires de logements. Et effectivement, ils investirent de l'argent dans la construction de maisons de rapports.

Mais :
- premièrement, les ouvriers ne gagnaient pas assez pour les loyers de ses grandes maisons, à moins de loger dans les chambres de bonnes;
- deuxièmement, la plupart étaient logés dans les villages des alentours de Mulhouse, où les loyers étaient plus abordables. D'accord, ils devaient marcher 2 à 3 heures par jour pour aller et venir du boulot, mais cela leur coûtait moins cher que de vivre en ville.
- troisièmement, et c'est un point capital, la capacité de financement des propriétaires de logements n'était pas suffisante pour construire tous les immeubles nécessaires. Pourtant, on construisait des immeubles de rapports, assez proches des immeubles hausmaniens parisiens, sauf qu'il n'y avait pas de commerces au rez-de-chaussée, ils avaient donc de 4 à 5 étages, au lieu de 6 à Paris (je le sais, enfant, nous avons logé au second étage d'une de ces immeubles et l'appartement était de belle surface).
- effectivement, il devait y avoir des zones de logements plus ou moins insalubres tout autour de la ville.

Pour vous donner un ordre d'idée de la croissance de Mulhouse à l'époque, voici le graphique qui sur wikipedia présente sa démographie :

Image

En 1851, elle compte 29 574 habitants. En 1866, elle en compte 58 773. Globalement, en 15 ans, on a un doublement de la population. Hé oui, Mulhouse, à l'époque, c'est le fournisseur de cotons fins de la mode parisienne, mais aussi un fournisseur de machines diverses. On y fabrique des machines pour les filatures, mais aussi des locomotives, des wagons, des machines à vapeurs pour divers usages, des machines-outils ... Et elle ne semble pas trop souffrir des diverses crises. En fait, démographiquement, on voit que c'est la cession à l'Allemagne qui va créer un dépeuplement de la ville (environ 5000 habitants en moins, soit environ 10% de la population). Mais, si vous regardez en amont de 1862, vous verrez que malgré l'industrialisation, la population de la ville stagne : on ne construit plus assez de maisons. Le problème, ce n'est pas 1862, car l'édification de la cité ouvrière résout un problème qui existait depuis un moment. Si vous cherchez à comprendre en vous focalisant sur 1862, vous ne trouverez pas la solution. Le problème est : pourquoi dans une ville en plein essor industriel, où les usines embauchent à tour de bras, le nombre d'habitants n'augmente pas. Alors qu'il y a de la place disponible et que les loyers sont libres. Pour moi, la solution me parait simple : les propriétaires immobiliers ne se précipitent pas à construire de nouveaux logements.

Ce que va réaliser la Société mulhousienne des cités ouvrières, c'est une industrialisation du processus. Quelque chose que ne pouvaient pas faire les promoteurs immobiliers. Il vont acheter un gros lot de terrains. Il vont le lotir et ils vont donc construire 1.240 maisons, dont un grand nombre sont identiques dans leur plan. Pas toutes, car les promoteurs ont décidé qu'au milieu de ces cités, il devait y avoir des artisans, des commerces, des ateliers. Il ne s'agit aucunement d'une cité dortoir. Et pas mal de maisons possèdent un espace pour un potager.

Dans d'autres villes ouvrières, les patrons ne sauront pas s'entendre pour obtenir de tels résultats et la demande de loyers bloqués ou contrôles se fera de plus en plus forte. C'est surtout le cas dans les endroits où la géographie limite l'extension du bâti urbain. Mais aussi, là où les propriétaires préfèrent profiter de la rente de situation créé par la hausse des loyers plutôt que de construire plus de logements.

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Message Publié : 30 Sep 2015 7:49 
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OK,

d'abord merci pour ce topo très instructif.

Bon objectivement on se chamaille mais nous n'avons ni vous ni moi pas la réponse, il faudrait connaître le niveau de retour sur investissement dans l'immobilier populaire avant 1860 pour pouvoir juger sereinement de ce problème.

Disons qu'il y a deux option:

Soit ce niveau était faible, c'est à dire que les ouvriers étaient trop mal payés pour représenter une demande suffisante. Dans ce cas, la construction des logements ouvriers peut être considérée comme une augmentation de salaire déguisée permettant aux patron de sucrer le bénéfice qu'auraient pu tirer des promoteurs à leur profit.

Soit ce niveau était égal ou supérieur au ROI des immeubles bourgeois et dans ce cas là il y a effectivement un cas de market failure qui a été compensé par l'intervention philanthropique des patrons.

Entendons nous bien, je sais que les market failure sont relativement communes, que les investisseurs sont pis par des lubies etc. Je pense que pour déterminer que c'est bien de cela dont il s'agit en l'espèce il nous manque des informations, en particulier sur les prix et le ROI. En l'absence de ces informations, on peut se chamailler sans fin, mais ça ne ferait que refléter nos biais respectifs.

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Labore Fideque


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Message Publié : 30 Sep 2015 10:04 
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Inscription : 15 Avr 2004 22:26
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Quand il y a des "market faillure", sur le marché de l'immobilier, c'est souvent pour 3 raisons :
- la géographie fait qu'il n'y a plus de place de disponible. La solution est souvent de construire en hauteur, ce qui revient plus cher. Ou de faire des aménagements conséquents, comme de gagner de la surface sur un espace qui est jugé inhabitable : mer, lac, marécage, montagne, ... ce qui revient encore plus cher. Dans les cas d'aménagements, vu les moyens nécessaires, il faut souvent une intervention des pouvoirs publics.
- le besoin généré par la croissance démographique est tel que la demande ne suit pas. C'est actuellement le cas pour pas mal de métropoles dans les pays qui se développent à vitesse grand V. Mais, le même phénomène a eu lieu en France durant les 2 siècles précédents. Dans ce cas, on voit souvent apparaitre de l'habitat sauvage (bidonvilles, mais aussi quartiers construits sans autorisations légales). Mais, on voit aussi des non-respects des règles de l'urbanisme, avec des gens qui vont ajouter des étages à leurs maisons, où construire des pièces supplémentaires. En respect ou non des règles d'urbanisme. Dans la Cité ouvrière de Mulhouse, il y a, par exemple, des maisons où le potager à disparu car on a adjoint un garage à la maison et 2 ou 3 pièces. Les choses étant ce qu'elles sont en Alsace, ces transformations furent faites avec un accord de la municipalité. Dans d'autre pays, on aurait simplement agrandi la maison.
- les propriétaires se rendent compte qu'un manque de logements fait grimper les prix des loyers et augmente leur marge et ils s'entendent pour "gérer" cela. Par exemple, et cela a été le cas à diverses époques, dans certaines villes, malgré le manque de logements libres sur le parc, il y a des logements qui ne sont pas proposés à la location. Les propriétaires en question ont toujours de bonnes raisons pour ne pas proposer ces logements. Mais le résultat est souvent une augmentation des loyers.

Quand la démographie est galopante (cas n°2), dans un premier temps, les pouvoirs publics donnent souvent l'impression de courir après l'incendie. Du coup, face à une situation qu'ils ne maîtrisent pas, ils "valident" les habitats construits en dehors de la loi ou ils ferment les yeux sur les non-respects des règles de l'urbanisme. Quand le problème devient trop préoccupant, souvent suite à des catastrophes, ils mettent en place des lois, plus ou moins contraignantes, pour résoudre le problème. SI on y regarde de plus prêt, il y a des bonnes et des mauvaises lois. Les bonnes lois, ce sont celles qui visent à développer le parc locatif de manière harmonieuse en interdisant les mauvaises constructions, mais en autorisant des constructions légales. Les mauvaises lois, ce sont toutes les autres.

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Message Publié : 01 Oct 2015 10:54 
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Pour résumer le cas de Mulhouse on peut dire avec certitude que:

- la démographie avait explosé au cours des dernières années mettant une forte pression sur le marché immobilier
- une partie des ouvriers des usines était mal logée (soit trop loin soit dans des conditions substandards)
- le patronat a créé de toute pièce un système immobilier philanthropique pour résoudre ce problème.

Ce que l'on ne sait pas ou ce que l'on devine à peine:
- si les conditions financières et politico-juridiques existaient pour la réalisation de ces constructions par le marché
- les bénéfices effectifs que le patronat pouvait espérer de la démarche
- les différences existant entre Mulhouse et d'autres villes expliquant l'absence de ces initiatives ailleurs

Je ne pense pas être trop critique en disant que nous somme loin d'un exemple parfait de sauvetage de la situation par l'action publique. Ça ne veut pas dire que cela ne puisse jamais se passer, juste que nous n'avons pas les éléments pour juger de ce cas ci en l'espèce.

Par ailleurs, il faut aussi faire un effort de comparaison. Même en admettant que les 5000 maisons de Mulhouse soient un exemple étincellant des aspects positifs de l'action de l'Etat, il me semble qu'en termes quantitatif, c'est un exemple qui est à une autre échelle que la destruction des centre-villes portugais ou les problèmes de racisme en Californie ou les échecs du type Brasilia. Il paraît qu'il y a plus d'exemples de catastrophes amenés par l'interventionnisme que de grands succès.

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Labore Fideque


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