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Message Publié : 19 Juil 2016 21:26 
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Marc Bloch
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Nous avons tous en tête les celebrissimes adieux de Fontainebleau : la cour du cheval blanc, l'excalier en fer à cheval, un empereur usé, des grognards bouleversés et pour parachever le tout, après un discours émouvant, ce geste inouï, embrasser le drapeau. Autrement dit transfigurer une déroute pour en faire un quasi triomphe !

Je n'ai pas le souvenir d'une cérémonie ou de gestes équivalents des autres souverains déchus : ni Louis XVI le 10 août, ni Charles X en 1830, ni Louis Philippe en 1848, ni le neveu en 1870 n'ont imaginé un geste symbolique permettant de créer une image légendaire de leur départ.

On peut même dire queMarie Antoinette avec ses brioches et Louis XVI coiffé du bonnet rouge se sont au contraire couverts de ridicule.

Comment expliquer cette absence de sens de la mise en scène et de la phrase historique à une époque ou le savoir mourir était un art respecté - voyez la mort de Louis XIV : "je m'en vais mais l'Etat demeurera toujours" ?

Une mention pour Robespierre : les circonstances de son arrestation l'ont privé de la parole. Danton aurait fait un bon mot ("tu montreras ma tête au peuple, elle en vaut la peine") !

Du côté royaliste il y a certes la belle phrase du confesseur du Roi "Fils de Saint Louis montez au Ciel". Mais bon il ne parlait pas de lui.


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Message Publié : 19 Juil 2016 22:35 
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Oui, et ? On peut savoir où vous désirez aller avec ce bric-à-brac ?

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Une théorie n'est scientifique que si elle est réfutable.
Appelez-moi Charlie


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Message Publié : 20 Juil 2016 8:08 
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Fustel de Coulanges
Fustel de Coulanges
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Jerôme a écrit :
Nous avons tous en tête les celebrissimes adieux de Fontainebleau : la cour du cheval blanc, l'excalier en fer à cheval, un empereur usé, des grognards bouleversés et pour parachever le tout, après un discours émouvant, ce geste inouï, embrasser le drapeau. Autrement dit transfigurer une déroute pour en faire un quasi triomphe !


Une semaine plus tôt, tout aurait pu s'achever dans l'agonie solitaire d'un suicide...
Et, un an plus tard, les départs de l'Elysée et de la Malmaison auront beaucoup moins de panache que les célébrissimes adieux de Fontainebleau.




Jerôme a écrit :
On peut même dire queMarie Antoinette avec ses brioches et Louis XVI coiffé du bonnet rouge se sont au contraire couverts de ridicule.


On n'était pas là sur l’échafaud. A cette heure, son "Je meurs innocent de tous les crimes qu'on m'impute. Je pardonne aux auteurs de ma mort. Je prie Dieu que le sang que vous allez répandre ne retombe jamais sur la France" eut plus d'allure.

Pour revenir à la journée du 20 juin 1792, on trouve ceci chez Bourrienne (Mémoires) :
« Pendant ce temps d'une vie un peu vagabonde, arriva le 20 juin, sombre prélude du 10 août ; nous nous étions donné rendez-vous pour nos courses journalières, chez un restaurateur, rue Saint-Honoré, prés le Palais-Royal. En sortant, nous vîmes arriver du côté des halles une troupe que Bonaparte croyait être de cinq à six mille hommes, déguenillés et burlesquement armés, vociférant, hurlant les plus grossières provocations , et se dirigeant à grands pas vers les Tuileries. C'était, certes, ce que la population des faubourgs avait de plus vil et de plus abject. Suivons cette canaille, me dit Bonaparte. Nous prîmes les devants, et nous allâmes nous promener sur la terrasse du bord de l'eau. C'est de là qu'il vit les scènes scandaleuses qui eurent lieu. Je peindrais difficilement' le sentiment de surprise et d'indignation qu'elles excitèrent en lui. Il ne revenait pas de tant de faiblesse et de longanimité. Mais lorsque le roi se montra à l'une des fenêtres qui donnent sur le jardin, avec le bonnet rouge que venait de placer sur sa tête un homme du peuple, l'indignation de Bonaparte ne put se contenir. Che coglione, s'écria-t-il assez haut, comment a-t-on pu laisser entrer cette canaille? Il fallait en balayer quatre ou cinq cents avec du canon, et le reste courrait encore. »

A-t-il prononcé ces mots ? difficile à dire. A l’époque, dans sa lettre écrite à Joseph deux jours plus tard, il employa des termes plus policés :
« Les jacobins sont des fous qui n’ont pas le sens commun. Avant-hier, sept à huit mille hommes, armés de piques, de haches, d’épées, de fusils, de broches, de bâtons pointus, se sont portés à l’Assemblée pour y faire une pétition. De là ils ont été chez le roi. Le jardin des Tuileries était fermé et 15 000 grades nationaux le gardaient. Ils ont jeté bas les portes, sont entrés dans le palais, ont braqué les canons contre l’appartement du roi, ont jeté à terre quatre portes, ont présenté au roi deux cocardes, une blanche et l’autre tricolore. Ils lui ont donné le choix. Choisis donc, lui ont-ils dit, de régner ici ou à Coblentz. Le roi s’est bien montré. Il a mis le bonnet rouge. La reine et le prince royal en ont fait autant. Ils ont donné à boire au roi. Ils sont restés quatre heures dans le palais. Cela a fourni ample matière aux déclarations aristocratiques des Feuillantins. Il n’en est pas moins vrai cependant que tout cela est inconstitutionnel et de très dangereux exemple. Il reste bien difficile de deviner ce que deviendra l’empire dans une circonstance aussi orageuse. »


Porter les couleurs de l’adversaire aux heures sombres, Napoléon lui aussi l’a fait. C’était sur le chemin de l’île d’Elbe pour échapper, incognito, aux foules haineuses de Provence.
Villepin (Les Cent Jours ou l’esprit de sacrifice) a fait le rapprochement :
« A cet instant, l’assaillent les images du Paris populaire et jacobin de 1792, et ses meneurs affublant Louis XVI du bonnet phrygien. Cette fois, le roi moqué, c’est lui ; comme l’infortuné monarque, il doit courber l’échine, mettre un genou à terre devant la foule hostile. »

Déguisements peu glorieux qui tranchent franchement avec la bien plus célèbre scène de la cour du Cheval blanc…

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" Grâce aux prisonniers. Bonchamps le veut. Bonchamps l'ordonne ! " (d'Autichamp)


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Message Publié : 20 Juil 2016 18:21 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

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et sauf erreur, Marie Antoinette n'est pas directement concernée par les brioches !

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il pleuvait, en cette Nuit de Noël 1914, où les Rois Mages apportaient des Minenwerfer


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Message Publié : 20 Juil 2016 19:13 
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Marc Bloch
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Drouet Cyril a écrit :
Jerôme a écrit :
Nous avons tous en tête les celebrissimes adieux de Fontainebleau : la cour du cheval blanc, l'excalier en fer à cheval, un empereur usé, des grognards bouleversés et pour parachever le tout, après un discours émouvant, ce geste inouï, embrasser le drapeau. Autrement dit transfigurer une déroute pour en faire un quasi triomphe !


Une semaine plus tôt, tout aurait pu s'achever dans l'agonie solitaire d'un suicide...
Et, un an plus tard, les départs de l'Elysée et de la Malmaison auront beaucoup moins de panache que les célébrissimes adieux de Fontainebleau.


On n'était pas là sur l’échafaud. A cette heure, son "Je meurs innocent de tous les crimes qu'on m'impute. Je pardonne aux auteurs de ma mort. Je prie Dieu que le sang que vous allez répandre ne retombe jamais sur la France" eut plus d'allure.


Porter les couleurs de l’adversaire aux heures sombres, Napoléon lui aussi l’a fait. C’était sur le chemin de l’île d’Elbe pour échapper, incognito, aux foules haineuses de Provence.
Villepin (Les Cent Jours ou l’esprit de sacrifice) a fait le rapprochement :
« A cet instant, l’assaillent les images du Paris populaire et jacobin de 1792, et ses meneurs affublant Louis XVI du bonnet phrygien. Cette fois, le roi moqué, c’est lui ; comme l’infortuné monarque, il doit courber l’échine, mettre un genou à terre devant la foule hostile. »

Déguisements peu glorieux qui tranchent franchement avec la bien plus célèbre scène de la cour du Cheval blanc…


Bien vu.

Napoléon a bénéficié d'une image épique rejetant dans l'ombre les aspects peu glorieux. Mais est ce un hasard ou une démarche habile de sa part ?

L'extrait cité de Louis XVI me semble très beau : l'a t il vraiment dit ?

Pour le reste Louis Philippe et Charles x n'étaient pas incultes ni mal entourés. Leur incapacité à trouver un geste symbolique susceptible de laisser un souvenir émouvant à défaut d'etre heureux, est elle révélatrice de leur éducation? De l'archaïsme de leur conception de la royauté, incapable de communiquer avec ses contemporains ?


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Message Publié : 20 Juil 2016 19:47 
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Charles X qui se fait jeter dehors en trois jours, parce qu'il n'a même pas pensé à se garantir contre l'émeute, alors qu'il entend imposer des textes dont personne ne veut, franchement, quelle parole historique pouvait-on en attendre ? "Oups, j'avais pas pensé à ça" ? :mrgreen:

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Les raisonnables ont duré, les passionnés ont vécu. (Chamfort)


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Message Publié : 20 Juil 2016 23:24 
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Pierre de L'Estoile
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bourbilly21 a écrit :
et sauf erreur, Marie Antoinette n'est pas directement concernée par les brioches !
De plus,la phrase est apocryphe : https://fr.wikipedia.org/wiki/Qu%27ils_mangent_de_la_brioche


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Message Publié : 21 Juil 2016 12:36 
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Fustel de Coulanges
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Jerôme a écrit :
Napoléon a bénéficié d'une image épique rejetant dans l'ombre les aspects peu glorieux. Mais est ce un hasard ou une démarche habile de sa part ?


Pour s’en tenir aux Adieux de Fontainebleau, la scène a été immortalisée par l’œuvre de Vernet ; sous la restauration.
Les Adieux sont également restés dans l’histoire par la célèbre harangue de Napoléon. Celle-ci fut principalement connue par la version qui en fut donnée dans la Correspondance publiée sous le Second Empire. La voici :
« Soldats de ma Vieille Garde, je vous fais mes adieux. Depuis vingt ans, je vous ai trouvés constamment sur le chemin de l'honneur et de la gloire. Dans ces derniers temps, comme dans ceux de notre prospérité, vous n'avez cessé d'être des modèles de bravoure et de fidélité.
Avec des hommes tels que vous, notre cause n'était pas perdue. Mais la guerre était interminable; c'eût été la guerre civile, et la France n'en serait devenue que plus malheureuse. J'ai donc sacrifié tous nos intérêts à ceux de la patrie; je pars.
Vous, mes amis, continuez de servir la France. Son bonheur était mon unique pensée; il sera toujours l'objet de mes vœux !
Ne plaignez pas mon sort; si j'ai consenti à me survivre, c'est pour servir encore à votre gloire; je veux écrire les grandes choses que nous avons faites ensemble !
Adieu, mes enfants ! Je voudrais vous presser tous sur mon cœur; que j'embrasse au moins votre drapeau !
[A ces mois, le général Petit, saisissant l'aigle, s'avance. Napoléon reçoit le général dans ses bras et baise le drapeau. Le silence que cette grande scène inspire n'est interrompu que par les sanglots des soldats. Napoléon, dont l'émotion est visible, fait un effort et reprend d'une voix ferme:]
Adieu encore une fois, mes vieux compagnons ! Que ce dernier baiser passe dans vos cœurs ! »

Ce texte « officiel » était tiré du « Manuscrit de 1814 » de Fain, publié en 1823 ; version arrangée à des fins politiques différant du texte que ce même Fain, accompagné de Gourgaud, Maret et Jouanne, avaient rédigé immédiatement après les faits en ces termes :
"Soldats de ma Vieille Garde, je vous fais mes adieux.
Depuis vingt ans je vous ai trouvés constamment sur le chemin de l’honneur et de la gloire. Vous vous êtes toujours conduits avec bravoure et fidélité. Encore dans ces derniers temps, vous m’en avez donné des preuves.
Avec vous, notre cause n’était pas perdue. J’aurais pu pendant trois ans livrer la guerre civile ; mais la France n’en eût été que plus malheureuse et sans aucun résultat. Les puissances alliées présentaient toute l’Europe liguée contre nous. Une partie de l’armée m’avait trahi ; des partis se formaient pour un autre gouvernement. J’ai sacrifié tous mes intérêts au bien de la patrie ; je pars. Vous la servirez toujours avec gloire et honneur, vous serez fidèles à votre nouveau souverain.
Recevez mes remerciements, je ne puis vous embrasser tous, je vais embrasser votre chef, j’embrasserai aussi votre drapeau. Approchez Général, faites avancer le drapeau.

Que ce baiser passe dans vos cœurs ! Je suivrai toujours vos destinées et celles de la France. Ne plaignez pas mon sort ; j’ai voulu vivre pour être encore utile à votre gloire, j’écrirai les grandes choses que nous avons faites ensemble. Le bonheur de notre chère patrie était mon unique pensée ; il sera toujours l’objet de tous mes vœux. Adieu mes enfants."


En somme, le 20 avril 1814, Napoléon a soigné sa sortie, mais d’autres ont accompagné son ambition postérieurement.




De la même manière, l’humiliante traversée de la Provence ne marqua pas la postérité.

Certains tentèrent de décrire l’affaire sous un meilleur jour :
« Avant d’arriver à Avignon et à Orgon, plusieurs personnes de cette première ville firent parvenir divers rapports au maréchal Bertrand, pour l’inviter à prendre des mesures de sûreté, parce que depuis quelques jours, des inconnus s’étaient glissés parmi la populace, et l’excitaient à se porter aux plus grands outrages contre la personne de Napoléon. Bertrand communiqua ces avis à l’Empereur ; mais il refusa d’y croire, et continua à voyager sans précautions.
[…]
Dès qu’on fut sorti d’Orgon, Bertrand renouvela ses instances près de Napoléon. Il résista encore. Bertrand lui ayant dit enfin qu’on ne répondait pas de sa vie s’il s’obstinait à s’exposer ainsi, il répondit : Hé bien, voyons ! peut-être se trouvera-t-il quelque vieux soldat qui défendra celui qui, pendant quinze ans, les conduisit à la victoire. Bertrand désespéré, s’écria : Et quoi ! vous n’épargnerez pas un crime à la grande nation ? Ces mots lui firent impression, et il se détermina à se déguiser, en changeant d’habits pour poursuivre sa route. »
(J.-L***, Vie du maréchal Bertrand, 1821)

Une estampe en rapport :
Image

accompagnée de ces mots :
« Napoléon, méprisant ces lâches démonstrations, conservait le sang-froid qui convenait à sa dignité »

Ce qui change grandement de ce qu’on pouvait lire sous la plume du comte de Waldbourg-Truchsess (Nouvelle relation de l’itinéraire de Fontainebleau à l’île d’Elbe, sorti en 1816) :
« L'Empereur se cachait derrière le général Bertrand le plus qu'il pouvait; il était pâle et défait, ne disait pas un mot.
[…]
A un quart de lieue en deçà d'Orgon, il crut indispensable la précaution de se déguiser : il mit une mauvaise redingote bleue, un chapeau rond sur sa tête avec une cocarde blanche, et monta un cheval de poste pour galoper devant sa voiture, voulant passer ainsi pour un courrier.
[…]
A une demi-lieue de Saint-Canat, nous atteignîmes la voiture de l'Empereur, qui, bientôt après, entra dans une mauvaise auberge située sur la grande route, et appelée la Calade.
[…]
Je fus frappé de trouver le ci-devant souverain du monde plongé dans de profondes réflexions, la tête appuyée dans ses mains.
Je ne le reconnus pas d'abord, et je m'approchai de lui. Il se leva en sursaut en entendant quelqu'un marcher et me laissa voir son visage arrosé de larmes.
[…]
On se mit à table, mais comme ce n'étaient pas ses cuisiniers qui avaient préparé le dîner, il ne pouvait se résoudre à prendre aucune nourriture dans la crainte d'être empoisonné. Cependant nous voyant manger de bon appétit, il eut honte de nous faire voir les terreurs qui l'agitaient et prit de tout ce qu'on lui offrit; il fît semblant d'y goûter, mais il renvoyait les mets sans y toucher; quelquefois, il jetait dessous la table ce qu'il avait accepté pour faire croire qu'il l'avait mangé.
[…]
Mille projets se croisaient dans sa tête sur la manière dont il pourrait se sauver; il rêvait aussi aux moyens de tromper le peuple d'Aix, car on l'avait prévenu qu'une très grande foule l'attendait à la poste. Il nous déclara donc que ce qui lui semblait le plus convenable, c'était de retourner jusqu'à Lyon, et de prendre de-là une autre route pour s'embarquer en Italie.
[…]
Alors il recommença à nous fatiguer de ses inquiétudes et de ses irrésolutions. Il nous pria même d'examiner s'il n'y avait pas quelque part une porte cachée par laquelle il pourrait s'échapper, ou si la fenêtre dont il avait fait fermer les volets en arrivant, n'était pas trop élevée pour pouvoir sauter et s'évader ainsi.
La fenêtre était grillée en dehors, et je le mis dans un embarras extrême en lui communiquant cette découverte. Au moindre bruit il tressaillait et changeait de couleur.
Après dîner nous le laissâmes à ses réflexions, et comme, de temps en temps , nous entrions dans sa chambre, d'après le désir qu'il en avait témoigné, nous le trouvions toujours en pleurs.
[…]
Il contraignit, par ses instances, l'aide-de-camp du général Schuwaloff de se vêtir de la redingote bleue et du chapeau rond, avec lesquels il était arrivé dans l'auberge , afin sans doute, qu'en cas de nécessité, l'aide-de-camp fût insulté , ou même assassiné à sa place [Comme il n'est arrivé aucun mal à l'aide-de-camp qui jouait le rôle de Buonaparte, il est suffisamment prouvé que Napoléon n'avait plus rien à craindre et que son déguisement n'était nullement nécessaire ; il ne servit réellement qu'à le rendre ridicule et méprisable.].
Buonaparte, qui alors voulut se faire passer pour un colonel autrichien, mit l'uniforme du général Koller, se décora de l'ordre de Marie-Thérèse, que portait le général, mit ma casquette de voyage sur sa tête, et se couvrit du manteau du général Schuwaloff.
Après que les commissaires des puissances alliées l'eurent ainsi équipé, les voitures avancèrent; mais, avant de descendre, nous fîmes une répétition, dans notre chambre, de l'ordre dans lequel nous devions marcher. Le général Drouot ouvrait le cortège; venait ensuite le soi-disant empereur, l'aide-de-camp du général Schuwaloff, ensuite le général Koller, l'Empereur, le général Schuwaloff et moi, qui avais l'honneur de faire partie de l'arrière-garde, à laquelle se joignit la suite de l’Empereur.
Nous traversâmes ainsi la foule ébahie qui se donnait une peine extrême pour tâcher de découvrir parmi nous celui qu'elle appelait son tyran.
L'aide-de-camp de Schuwaloff ( le major Olewieff) prit la place de Napoléon dans sa voiture, et Napoléon partit avec le général Koller dans sa calèche.
[…]
Toutefois l'Empereur ne se rassurait pas. Il restait toujours dans la calèche du général autrichien, et il commanda au cocher de fumer, afin que cette familiarité pût dissimuler sa présence. Il pria même le général Roller de chanter, et comme celui-ci lui répondit, qu'il ne savait pas chanter, Buonaparte lui dit de siffler.
C'est ainsi qu'il poursuivit sa route, caché dans un des coins de la calèche, faisant semblant de dormir, bercé par l'agréable musique du général et encensé par la fumée du cocher. »

Voir aussi la correspondance de Schouvalov (lettre du 28 avril 1814 (Fréjus) adressée à Nesselrode) :
« Les détails de notre voyage depuis Lyon jusqu’ici, mon cher comte, sont à faire dresser les cheveux et à faire crever de rire tout à la fois.
[…]
A une lieue [d’Orgon], Napoléon sortit pour un besoin, mit vite son courrier dans la voiture, monta son cheval en surtout bleu et chapeau rond, et une cocarde blanche, à ce qu’on m’a assuré, et partit ventre à terre.
En arrivant [à l’auberge de La Calade], un courrier nous dit en secret qu’il était là, qu’il fallait entrer dans sa chambre sans y faire attention, et l’appeler Campbell ; ensuite on se rappela que Campbell était passé et il s’appela lord Burgersh.
J’entrai dans la chambre et le trouvai excessivement triste et abattu. Nous dînâmes tous ensemble et il s’égaya un peu.
[…]
Après avoir dormi quelques heures, j’entrai dans sa chambre, et je le trouvai debout, en uniforme de général autrichien, le bonnet du comte Truchsess avec la cocarde prussienne sur la tête et son manteau d’uniforme sur les épaules. Nous partîmes à minuit, et voici comment : devant, le général Bertrand et M. Coulevaeff sur la place de Napoléon, ensuite moi dans un cabriolet ; ensuite dans une petite calèche de Koller, à deux chevaux, deux généraux autrichiens, Koller et Napoléon. Comment trouvez-vous cette farce tragique ? »

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Message Publié : 23 Juil 2016 14:05 
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Jean Mabillon
Jean Mabillon

Inscription : 07 Sep 2008 15:55
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J'ose suggérer quelques voies d'interprétation cher Jérôme au phénomène que nous notez à juste titre.

Napoléon, c'est l'évidence, avait le sens de la muse en scène et de la formule : Arcole, les pyramides, ...et il savait faire diffuser la version des événements qui le mettait en valeur. Ce militaire ne limitait pas sa stratégie aux champs de bataille mais voulait aussi conquérir l'opinion publique. En outre ce lecteur de Rousseau était peut être imprégné d'une certaine sensibilité pré romantique qui explique qu'il ne recule pas devant l'émotion - celle des autres ou la sienne propre.

Louis XVIII était incapable de gestes émouvants du fait de son handicap. Mais ses courtisans ont beaucoup pleuré le 19 mars 1815 ...
Charles X était assez bête : son entrée à Paris en 1814 ("rien n'est changé sinon qu'il y a un Francais et plus en France) a été réécrite par Talleyrand (souvenir de lecture de Waresquiel) car le comte d'Artois n'a rien su dire en réalité ...
Louis Philippe était trop âgé et trop lucide en 1848 pour se fatiguer à laisser une image positive à la postérité.
Napoléon III en 1870 était très malade et probablement dépressif. Je crois aussi que Bismarck avait pris soin d'empêcher toute cérémonie grandiose (du type Vercingetrorix se rendant à César...).

Au delà de ces explications particulières propres aux circonstances, peut on élargir le propos à l'éducation des souverains et à la conception qu'ils se faisaient de leur fonction et de leur rapport au peuple ? Peut être...ce serait à creuser...


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