Aurèle a écrit :
Là dessus pardonnez moi mais de ma propre expérience je ne peux que lui donner raison.
Personne ne le nie. Merci pour votre message nuancé qui éclaire agréablement ceux du Messagerdubruit, mais ce que pour ma part je remets en cause, ce n'est pas ça, c'est :
1° Le caractère obligatoire de la mobilité. Pourquoi faudrait-il que ce soit une étape obligée pour tout le monde ? La liberté libérale, c'est l'expatriation pour tous ?
Je suis moi-même parti étudier à l'étranger avec le programme Érasmus, et j'envisage tout à fait de bouger encore par la suite ; et comme vous, je suis très étonné que, même dans une grande fac proposant de très nombreux échanges, on soit une minorité à en profiter (à ce sujet, j'en profite d'ailleurs pour compléter : la liberté libérale, c'est l'Angleterre pour tous
puisqu'il y a une seule destination qui est remplie chaque année et vers laquelle tout le monde veut aller, c'est celle-là). Mais à la différence du Messager ou de certains passages de votre message, je conçois parfaitement que certains
ne veuillent pas bouger et je ne leur jette pas la pierre... En quoi serait-ce mal de ne pas vouloir partir ?
2° Le ton anti-français et accusateur qui accompagne très souvent ce type de propos. C'était la teneur de ma première intervention, et le tyran de Samos et Alceste l'ont bien développé aussi : je trouve toujours cela étrange d'accompagner une ôde au voyage d'un jugement négatif et noir sur ses contemporains.
Ensuite, sur la mobilité et la construction d'un couple, pardonnez-moi mais je rejoins les avis déjà donnés plus haut. Mon année à l'étranger a été l'année la plus difficile à gérer pour mon couple ; alors je ne sais pas si c'est "une épreuve nécessaire" comme le dit Gerard (en tout cas c'était une épreuve surmontable, la preuve en est faite pour ma part — mais pour beaucoup, l'épreuve n'est pas surmontée : un
topos des étudiants Erasmus est qu'on y va "maqué" et qu'on en rentre célibataire, exactement comme dans
L'auberge espagnol, très bon film sur le programme Erasmus), mais malgré tout le terme même d'"épreuve" montre bien que ce n'est pas une sinécure et un détail futile. Vous dites que c'est une question d'envie, qui permet de surmonter bien des obstacles, je pense plutôt que c'est une question :
- de maturité du couple (capacité du partenaire à comprendre que l'autre vit de nouvelles expériences sans être ensemble et que ça ne l'éloigne pas mais au contraire le renforce),
- de durée de l'éloignement (un échange universitaire n'a pas la même durée ni les mêmes contraintes qu'une expatriation professionnelle permanente)
- et, surtout surtout, de moyens financiers (pour rentrer régulièrement et surtout pour faire venir sur place son partenaire quelques week-end, pour qu'il comprenne ce que l'on vit).
Enfin, et ce plutôt pour Gerard, on dirait que vous croyez que ça nous amuse, "nous les jeunes", de courir après les diplômes, les concours, les stages et les formations... Croyez-le bien, ce n'est ni un plaisir, ni une sinécure... Si on pouvait, comme nos pères et nos grands-pères, arriver avec un bac -5, un petit bras musclé et un sourire de charmeur et clac, décrocher un job comme ça, on en serait ravi, soyez-en sûr. Vous pouvez, autant que vous voulez, nous dire qu'on est des fainéants, des incapables et des éternels potaches, cela n'y change absolument rien : nous sommes surtout les héritiers de la société que vous nous laissez, nous n'avons pas créé les conditions d'entrée sur le marché du travail existantes à l'heure actuelle. Les conditions sont celles-là : un CV sans diplômes, sans concours ou sans formations, c'est poubelle.
Peut-être qu'avec le recul, vous parvenez à vous dire que, si vous avez réussi, tout le monde peut réussir, et qu'il faut juste s'en donner les moyens. Oui, dans le meilleur des mondes, "le plus important est d'avoir un service à proposer", et pas un diplôme ou tout autre "marqueur social" ; dans le meilleur des mondes également, on ne juge personne à la couleur de sa peau et il n'y a plus ni guerre, ni famine aussi. Maintenant, revenons au monde réel : dans le monde réel, le taux de chômage est directement proportionnel au niveau de qualification (car à faible qualification, emploi faiblement qualifié et exposé à la précarité), ainsi qu'à l'âge (les "seniors" qui ne parviennent plus à retrouver un emploi, ont pourtant un service de qualité à proposer : ils ont de l'expérience, ils sont formés, ils sont stables, ils ne feront plus de gamins... pourtant on n'en veut pas, sur le marché du travail) ; dans le monde réel, "l'employabilité" est également corrélée à la couleur de la peau, ou à la consonance du nom de famille ou du prénom ; dans le monde réel, on ne fait pas ce que l'on veut, avec juste de la gniaque et des idées, on doit aussi se plier à comment il fonctionne ; on ne crée pas son entreprise comme ça, avec juste de bonnes idées, on ne se fait pas embaucher comme ça, seulement parce qu'on propose le bon service au bon moment (on est des milliers, à proposer le même bon service, au même bon moment). Le discours consistant à dire qu'avec un peu de bonne volonté et quelques bonnes idées, on devient tout ce que l'on souhaite, il est irresponsable parce qu'il passe à côté de la situation actuelle. Il y a des exemples, savamment montés en épingle, de jeunes futés, respect à eux, qui, malgré leur niveau bac -12, s'en sortent par leur seule volonté et leur bagout, mais ce n'est pas un système, ce n'est pas l'intégralité du marché du travail qui fonctionne comme cela. La très grande majorité des créateurs d'entreprise et des primo-accédants au marché du travail sont diplômés et ont des ressources derrière eux : famille, réseau des écoles, "respectabilité" sociale liée à la première comme au second. L'exemple de votre fils est parlant (puisque vous en parlez) : il est... votre fils ; papa a voyagé, vécu aux USA, connu beaucoup d'expériences, peut-être même beaucoup de métiers différents ; ce n'est pas franchement "un homme nouveau" qui sort de sa campagne sans rien connaître et qui, tout seul, sans conseils et sans guides, parvient à s'en sortir à la force du poignet.
Enfin, dans votre meilleur des mondes, on est sans attache, on va en Allemagne comme on va à Paris, sans se soucier d'aucune autre considération que celle du travail, aucune considération de causes externes au travail (famille, foyer). Dans le monde réel, l'être humain n'est pas une machine, uni-dimensionnelle (où compterait une seule dimension de l'existence : le travail pour gagner sa (sur)vie). Du moins pas encore.