C'est intéressant, pour un individu bi-culturel comme moi de voir les constantes culturelles à l'oeuvre: pour les Français, tout changement est perçu comme un danger, quelque chose qui menace une situation acquise, l'innovation est ce qui risque de vous faire perdre quelque chose. Pour les citoyens de mon autre pays, le changement est vu à priori comme progrès, amélioration, quelque chose dont on va pouvoir retirer des avantages.
Les évaluations ne changent pas radicalement la donne, il n'y vraiment aucune raison d'en faire une montagne. Et pour Alfred : il ne s'agit pas du tout d'instaurer la démocratie, même pas la monarchie constitutionnelle
. Un vote démocratique est exécutoire, je vous rappelle que les évaluations n'ont de valeur qu'indicative: vous en faites ce que vous voulez. Libre à vous d'ignorer les remarques qu'elles contiennent; mais bien sûr ignorer une critique qui revient constamment dans un grand nombre d'évaluations serait faire preuve d'un très mauvais jugement; j'ai souligné que ces évaluations vous apportaient un feedback, et donc étaient un instrument de pilotage précieux pour mener son cours, je n'y reviens pas.
J'ai toujours eu de bonnes ou excellentes évaluations majoritairement--j'insiste sur majoritairement: ce qui est pris en considération, c'est la tendance générale, deux ou trois mécontents isolés ne signifient rien. Ces évaluations sont nominales; sont aussi relativisées celles écrites par des étudiants ayant de mauvais résultats. Réciproquement, elles ne sont connues du professeur que lorsque celui-ci a rendu toutes ses notes.
Ce qui me surprend, c'est que ne voyiez que les risques de cette pratique, dont la plupart sont majorés ou carrément illusoires, et que vous ne voyiez pas la légitimité, la validation que confèrent de bonnes évaluations au professeur qui les reçoit: c'est excellent pour l'avancement, ça réduit la dangerosité de certaines éventuelles malveillances de supérieurs, ça modifie le rapport de force avec l'administration en votre faveur: checks and balances! Quelqu'un qui a de bonnes évaluations est je ne dirais pas intouchable (personne ne l'est) mais en tout cas sérieusement protégé. De plus, en tant que responsable de département, je me suis servi plus d'une fois des évaluations pour faire pression sur l'administration pour obtenir tel ou tel crédit pour le département, amélioration, changement des règles de fonctionnement, etc. De bonnes évals font que vous ne parlez pas seulement en votre nom (et au nom des professeurs du département) dans une négociation, vous êtes en quelque sorte et dans une certaine mesure, le représentant "élu" des étudiants, et ça change tout.
Ce qui m'étonne aussi, c'est que beaucoup de posts expriment une méfiance profonde envers l'intelligence et le jugement d'étudiants adultes qui sont jugés capables d'assimiler des connaissances très complexes en cours mais incapables d'avoir une opinion pertinente sur la façon dont leur professeur leur transmet ces connaissances. J'admets volontiers l'objection que les étudiants américains sont plus responsabilisés que leurs collègues français, ne serait-ce qu'à cause du coût élevé de leurs études, mais justement, il me semble que des réformes allant dans le sens d'une plus grande responsabilisation, tant pour les professeurs que les élèves, sont ce qui devrait être recherché.
En ce qui me concerne, le bilan de ce système est globalement positif; les évaluations m'ont été indiscutablement bénéfiques et m'ont peut être même sauvé la mise une ou deux fois dans des conflits avec mon administration. En fait, je ne conçois même pas comment on peut refuser de prendre en considération le point de vue des premiers intéressés, car tout de même l'enseignement est institué prioritairement pour le bénéfice des enseignés, ce qui ne semble pas être une notion très populaire en France. Sans vouloir offenser personne,
on dirait que, dans ce cher vieux pays, l'enseignement est conçu comme devant fonctionner avant tout pour les professeurs, la poste pour les postiers, et en général la fonction publique pour les fonctionnaires...
Pour Alceste, vous recommandez d'avoir une confiance aveugle dans son professeur comme dans son médecin; non seulement c'est une vision très hiérarchique et datée de rapports qui sont maintenant conçus--du moins sur le papier--comme moins "verticaux" et plus collaboratifs, mais c'est une attitude dangereuse: au vu du nombre considérable de décès d'origine iatrogénique, je prédis une existence assez brève aux naifs (ou paresseux) qui remettraient ainsi totalement leur vie entre les mains de l'autorité médicale. Il est heureux pour moi que je n'aie pas suivi cette ligne de conduite; si c'avait été le cas, je serais à l'heure actuelle en train d'écouter des harpes.