J'ai été un peu violente hier, je vous prie de m'en excuser, Olivert. Il faut croire qu'une fréquentation trop intense de la BNF rend méchant
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Pour détendre l'atmosphère, votre intervention me fait penser à un passage d'un article de Sheila Blair sur l'historiographie des arts de l'Islam :
Citer :
La définition complexe des arts de l'Islam contribue au fossé significatif entre ce que leurs collègues attendent des universitaires en art islamique, et ce qu'ils veulent eux-même étudier. On attend des historiens des arts de l'Islam qu'il aient une connaissance de base approfondie en histoire de l'art, et qu'ils puissent également parler de tout depuis les céramiques arabes pré-islamiques à l'architecture de la mosquée au XXIe siècle en Europe et en Amérique, qu'ils parlent plusieurs langues non-familières et qu'il entretiennent des sous-spécialités en Orientalisme, terrorisme et rôle de la femme, tout en étant capable en plus d'évaluer le tapis persan élimé de Tante Millie ! [...] Les spécialistes en art islamique, [eux,] veulent étudier des sujets limités, comme l'art égyptien entre le Xe et le XIIe siècle ou les traditions de peinture persane en Asie Centrale entre le XIVe et le XVIe siècle, et avoir assez de temps pour lire en profondeur sur la religion contemporaine, l'histoire et la littérature. Ils trouveront difficile de convaincre leurs collègues qu'ils n'ont réellement rien de profond à dire sur l'Alhambra et le Taj Mahal, encore moins sur le proverbial tapis persan.
J'avoue que c'est parfois un peu ce que je ressens.
Je vais essayer de résumer un peu les choses... ce ne sera peut-être pas passionnant pour vous, mais utile pour faire un point... J'étudie l'art du XVIIIe siècle iranien, qui est une période à peu près jamais étudiée en histoire de l'art, et très peu en histoire. Les sources sont peu nombreuses, rarement publiées et souvent peu riches individuellement. Je cherche dans mes sources des mentions de restaurations ou de constructions d'architectures, d'utilisation de vaisselles, de dons de robes d'honneur, et, si un miracle existe, de noms d'artistes et de centres de fabrication.
Comme tout chercheur en art islamique, je suis confrontée à la complexité des langues, que je ne peux toutes maitriser - ce n'est pas une complète surprise, même si j'avoue avoir sous-estimé l'ampleur du problème. Par chance, une bonne partie de la biblio scientifique est en anglais, que j'ai appris à lire couramment (pour l'anglais technique au moins) grâce à mes études. Mais beaucoup d'objets sont arrivés en Russie, et ont été publiés, en particulier à la période soviétique, dans des ouvrages en russe, sans compter les rapports de fouilles soviétiques (il y a aussi des sources de douanes russes, que je laisse tomber). Après, les chercheurs sont très peu nombreux, jamais spécialisés dans le XVIIIe, et dispersés de par le monde. Chacun écrit dans sa langue, de l'anglais au japonais en passant par l'allemand, le persan, l'arabe et le russe. Les architectures ont été restaurées par des équipes italiennes - et sont donc publiées, pour certaines, en italien.
Dans les sources écrites, j'ai du persan, souvent non-publié, de l'arabe - de même - et, depuis hier (mais je m'en doutais déjà un peu), du turc ottoman (avec des sources publiées qui sont plus qu'alléchantes, puisqu'il s'agit de compte-rendus d'ambassades, ce qui signifie échanges de cadeaux). Une chercheuse allemande a traduit le Rustam al-tawarikh, qui est une des principales sources de cette période, en allemand - évidemment, elle n'est pas publiée en anglais, ni résumée ; elle a été publiée en persan, mais je doute de trouver l'édition autre part qu'à Téhéran, et l'accès des bibliothèques iraniennes n'est pas des plus aisés. De manière plus périphérique, il y a quelques voyageurs et missionnaires de nationalités variées qui visitent l'Iran à cette période : quelques anglais, un ou deux français, deux frères suédois (récit publié en suédois, of course - ça, je laisse tomber), une mission italienne. Enfin, en matière de sources, je dois m'intéresser aux rapports des compagnies des Indes - française, anglaise, mais surtout hollandaise (heureusement, un chercheur publie de manière extensive sur cette dernière). A côté de cela, je dois écumer plusieurs centaines de catalogues d'expositions et de vente pour trouver des objets datés/signés ou attribuables au XVIIIe, et constituer un corpus cohérent. Le simple fait de les trouver en bibliothèque relève parfois de l'exploit.
L'apprentissage de langues est donc un élément nécessaire - et je m'y emploie sérieusement, sachant que c'est du temps en moins pour la thèse, mais un investissement sur le long terme. Si je dois maîtriser entièrement les 7 ou 8 langues nécessaires pour ma thèse, je pense pouvoir commencer vers 60 ans, mais ça n'assure pas la retraite, tout ça.
Quant à la charge de cours... elle n'est pas très importante (40 heures environ dans l'année) et indispensable pour payer l'essentiel, puisque je ne suis pas financée.
En matière d'allemand, j'ai un niveau de fin de lycée - laissé de côté depuis près de 10 ans. J'ai de bons restes en grammaire, mais très peu de vocabulaire, donc je passe énormément de temps à traduire - et le contresens est un danger permanent. En matière de russe, je commence à peine, et j'arrive tout juste à déchiffrer.
Helios, un grand merci pour votre réponse. J'ai utilisé google trad aussi pour l'italien, ça donne une première idée, mais c'est moins difficile que pour l'allemand, donc les structures grammaticales et dont le vocabulaire sont éloignés du français. Vous avez une grosse biblio en allemand ?
Je ne connais pas de forum de doctorants... C'est vrai qu'un endroit de rencontre et d'échange de services serait plus qu'utile. Je ne sais pas si vous connaissez, mais pour les demandes ponctuelles, wordreference est très utile :
http://forum.wordreference.com/index.php ; par contre, ils refusent de faire des traductions, et se concentrent sur les problèmes de grammaire/vocabulaire.