Vézère a écrit :
Pensabene a écrit :
Je terminerai avec le sociologue Didier Eribon aidé de Bourdieu: selon lui, les élites et le pouvoir ont délibérément fait du bac sésame plus facile à obtenir, ont délibérément permis au plus grand nombre de personnes d'aller dans les BTS et universités précisément parce que les enfants de ces "élites" (famille héritière, fils et fille de, ceux "bien nés" etc) n'y vont plus du tout: ils font des bonnes prépas, les grandes écoles, partent à l'étranger ou autre. La conséquence immédiate est de se retrouver avec des diplômes qui pèsent peu, de se faire griller massivement toutes les places de concours exigeants.
Pouvez-vous mieux m'expliquer ceci, s'il vous plaît?
Je ne suis absolument pas du sérail et donc peut-être me trompé-je largement.
Vu de l'extérieur, il m'a semblé que les promoteurs du bac pour tous, pédagogistes et autres IUFMistes se réclamaient justement de Bourdieu, non?
Cette idée d'un ""complot"" des élites (je mets évidemment quatorze guillemets à complot) me paraît... inattendue.
Si il y eu "complot", ne serait-il pas celui de ceux qui ont préféré privilégier l'égalité, quitte à l'obtenir au prix de plus de médiocrité?
Bien entendu, je constate comme vous que les élites savent parfaitement où trouver les bonnes filières pour leurs propres enfants. Mais disons que "c'est de bonne guerre",
et que surtout, si elles n'avaient pas cette capacité d'adaptation, elles ne seraient pas "l'élite", CQFD.Entièrement d'accord avec vous. Disons que Bourdieu est un totem pour tout le monde ou presque dans ce milieu. Je ne vois pas de complot mais une hypocrisie généralisée qui n'a fait que casser une Educ nationale déjà coulante, comme le dit
duc de Raguse, depuis longtemps.
Ce que
Pierma explique concernant sa scolarité est tout à fait logique et je pense que beaucoup de personnes, instinctivement, préfèrent mettre leurs enfants dans une école primaire / collège / lycée plus réputée que celui à la mauvaise réputation. Au sein même d'un établissement, le jeu des options pouvait suffire, classe latiniste en tête.
Il me semble qu'il y a
deux sujets :
- D'un côte l'évitement social et toute la question de la réputation et de la carte scolaire : c'est inévitable vu l'état de l'éduc nat et là le privé gagne du terrain, quitte à ce que certains parents se serrent la ceinture toute l'année pour éviter certains établissements (et quand je vois que de plus en plus de collègues ne veulent surtout pas mettre leurs enfants dans le public je me dis qu'il y a un vrai problème).
- L'autre sujet concerne, il me semble, ce que vous pointez du doigt: la faute de ceux qui pensent le bac comme un % de réussite, ceux qui ont menti et qui continuent de le faire depuis des années. Eux ont une lourde responsabilité. J'ai récemment parlé avec un chargé d'inspection en maths qui racontait très bien comment les inspecteurs disaient / disent aux collègues d'établissement difficiles ou mal situés de " surtout faire des jeux" avec les élèves et comment avec des établissements plus réputés ils disaient / disent surtout de "ne pas faire de jeu, d'avancer sur le programme de l'année suivante, de les préparer aux études supérieures". A partir de là, même le très bon élève qui peut bénéficier d'un ""ascenseur social"" (pourtant en maintenance) se retrouve en retard automatiquement. D'où aussi ce recours réguliers à des cours particuliers.
C'est pour cela que Eribon/Bourdieu (que je n'apprécie pas tellement à vrai dire) visent juste et peuvent servir de "boîte à outils" :
il y a à la fois la distinction "basique" qui est historique avec ces fameux capital social / culturel (j'ai appris récemment que François 1er n'hésitait pas à réciter du grec ancien à la cour pour se distinguer... Énervant logiquement son petit monde)
et le fait d'avoir idéologiquement ouvert les vannes de la fausse méritocratie et du "diplôme pour tous". Il y a des avantages: cela s'amorce +/- avec la désindustrialisation du pays et le chômage de masse, se poursuit dans les années 1990-2000 (avec un tournant peut-être avec le CPE de De Villepin mais il faudrait mieux étudier la chose) et est en train de s'achever avec des bac-covid et des vies de plus en plus numérisées et précarisées (pour ne pas dire aussi "uberisées"). Sait-on jamais, on pourrait avoir cette année un taux de réussite à
102%, ce qui n'est pas arrivé depuis l'ultime réforme éducative en URSS
.
Il faut bien entendu (je pense) une élite dans chaque pays (et ce n'est pas ma récente lecture d'une bio de R.Poincaré qui me fera dire le contraire) mais il faut que cette élite soit amenée à prendre des bonnes décisions. Je pense que l'erreur fatale a été de croire qu'on pouvait, en France, démanteler progressivement le service public mais aussi faire disparaître la figure de l'ouvrier et de son monde qui va avec (en enterrant le PC bien sûr). Beh non, ça ne fonctionne pas. Il faut former massivement des ouvriers, des ouvriers qualifiés, des artisans, des étudiants (j'ai envie de dire des "vrais" étudiants, qui lisent déjà). Encore récemment je recevais quelques messages d'un ancien élève, vraie terreur sur patte en classe (intenable sur une chaise) en seconde générale qui s'éclate aujourd'hui en carrosserie... Il a été traîné tout le collège, il a redoublé sa seconde pour qu'enfin on se rende compte que oui, effectivement, il ne fera pas normal sup et le travail manuel n'est pas une punition ni un métier dégradant (depuis de nombreuses années il voulait faire carrosserie).
Et pour les futurs étudiants, cette idée de "medium" avec cette année de remise à niveau soutenue par
Pédro me semble d'urgence absolue. Il faut donner une chance aux élèves qui ne sont pas issus des meilleurs établissements / qui ne sont pas les meilleurs de France à la fin de terminale de parvenir, avec du travail, de l'effort, de l'exigence, à éviter le naufrage à l'université / prépa / BTS ou autre. En clair, il faut remettre en
place et à sa place toute l'éducation nationale selon moi. Cela ne veut pas dire "post bac" pour tous mais donner des chances à chaque personne d'arriver à trouver sa place... Que cela soit un bon garagiste ou un bon historien.