Vous êtes tous déprimants
Non, je plaisante, enfin un peu.
Comme tout le monde le sait, il y a peu de débouchés en Histoire et les études ressemblent sur la fin à une course. Une nouvelle étape (un poste, un concours), un nouveau gagnant, et les 100 ou 1000 autres candidats doivent poursuivent la course vers la prochaine étape, où il y aura encore qu'un seul gagnant. Même avec l'agreg et une thèse, il reste encore moins de postes dans le supérieur que de diplômés. Mais alors, pourquoi être si nombreux à vouloir la même chose ? En plus vous êtes des salauds, puisque pour avoir votre poste tant rêvé, vous allez devoir l'obtenir au détriment des autres candidats, qui auront bien raison de déprimer comme certains ici. La concurrence, une belle saloperie à mon sens, car elle débouche toujours sur des perdants.
Le problème, si vous voulez mon avis, c'est le manque flagrant de souplesse d'esprit des étudiants. Ouvrez les yeux, regardez autour de vous, voyez la moitié de votre groupe de L1 lever la main quand l'enseignant demande qui veut devenir prof, et dites-vous que vous n'êtes pas comme les autres et que vous deviendrez enseignant(-chercheur), sinon la course s'arrêtera ici pour vous. Et bien, voilà comment se tirer une balle dans le pied ; voilà comment on en arrive à bac+8 avec le moral brisé. C'est se lancer dans un gros pari sans chercher une autre voie, sans croire à une autre façon de tirer bénéfice de vos études en Histoire. Des débouchés trop rares ? Vous en êtes sûr ? Vous avez passez trop de temps dans vos bouquins et vous avez oubliez de vivre.
De la souplesse d'esprit, donc. Un diplôme n'est qu'un papier, il fait partie du système et du monde du travail (hélas...), mais il n'est rien pour la connaissance, et je n'hésite pas à l'affirmer. En théorie, il valide vos connaissances, mais elles sont limités par un programme ; le diplôme n'a que faire de vos connaissances en dehors du programme, il ne sait pas comment les prendre en compte. La reconnaissance de celles-ci dépendent à peine du CV (un autre bout de papier, entre écrire "je sais faire" et le démontrer dans la réalité, il peut aussi y avoir un gouffre), plutôt des personnes qui vous entourent (amis, enseignants, etc.) et surtout de vous-même. Bref, je ne dois pas trop m'égarer : je cherche simplement à dire que les études ne débouchent jamais sur une conclusion, que la fac ne peut affirmer tout apporter à un étudiant et lui dire à bac+8 : tu es prêt, tu sais tout. L'université est un vaste outil et en lieu de travail, mais en le quittant ou au contraire, en n'y mettant jamais les pieds, vous pouvez tout de même dire à qui veut l'entendre que vous êtes étudiants.
C'est un choix de vie, et vous l'aurez compris, c'est le mien. J'étais étudiant bien avant de mettre un pied à la fac et je le resterai jusqu'à la fin. Sur ce même sujet, j'ai écris sans hésiter que j'aurai un master avec mention très bien, une thèse brillante et que je deviendrai enseignant chercheur. Il ne peut en être autrement, puisque je suis étudiant à vie. Je commence a viser le plus haut, ce n'est qu'une étape. Je pourrais en réalité décider d'aller dans une école de journalisme après la licence, je continuerais de dire que je vise le doctorat. Comment pourrait-il en être autrement ? Cela permet de s'investir avec plus de volonté et de rigueur dans la licence. J'exclus la passion, car elle nous mène par le bout du nez trop facilement.
Si vous avez l'âme d'un enseignant-chercheur, vous la garderez toujours au chaud. Vous raconterez l'Histoire à vos amis, vos rencontres d'un soir, vos enfants. Vous continuerez à étudier et à transmettre.
De la souplesse d'esprit, soit. L'université n'apporte que de la théorie ? Je ne le crois pas ! Elle donne des dizaines, peut-être des centaines de pistes. Mais il faut être souple et aimer vivre, aimer expérimenter. Je quitte Nantes pour Nancy l'année prochaine, je refais ma première année : Histoire, parcours Histoire de l'Art et archéologie pendant deux ans, spécialisation en 3eme année en archéologie, et une licence qui me permet donc de faire le tour des 3 disciplines. Une amie connait quelqu'un qui adore la forge et commence à avoir pas mal d'expérience. Je compte bien lui demander de m'initier, étudier les techniques de la forge dans l'Histoire, et tenter des reconstitutions. Peut-être que je deviendrai forgeron dans un village médiéval, avec des animations, et à côté j'organiserai des stages, ou bien je travaillerai en collaboration avec des archéologues. Peut-être. J'ai envie de travailler le bois, je suis curieux de connaître la fabrication d'un arc. Même chose qu'avec la forge. En parlant de bois, la menuiserie me semble très intéressant, et pourquoi pas restaurer des vieux meubles ? Ou devenir antiquaire. J'apprécie de me promener le samedi matin sur le marché à côté de chez moi, antiquaires, bouquineries et autres, se partagent l'espace. On parle de bouquinerie ? Devenir libraire et gérer un rayon d'Histoire : un bon moyen de se tenir au courant des dernières publications de la discipline, et d'obtenir son lot d'ouvrages à la fin du mois pour continuer ses études à la maison. Le journalisme ? Après des études en Histoire, on a une bonne culture général et on est censé savoir rédiger ; pourquoi ne pas couvrir les évènements culturels ? J'ai expérimenté la taille de pierres, j'adore les ciseaux. Un formation et me voilà éventuellement à restaurer des façades du XIXe siècle, comme les travaux sur l'île Feydeau de Nantes (la célèbre cour Ovale pour les connaisseurs).
Ce ne sont que quelques pistes, envisagé en quelques heures lors de mes rêveries. Elles ont toutes une relation intime avec l'Histoire. Elles demandent simplement de sortir de temps en temps de sa course vers le doctorat et les concours. Non pas pour s'aménager une porte de sortie, mais par l'amour de la vie et de l'action dans le monde physique, ce que vous ne trouvez pas dans un livre d'Histoire. par contre, on s'en rapproche déjà avec la paléographie. De la technique ! A mon avis, on devrait avoir des cours de paléo et plus généralement d'initiation à la recherche dès la première année de licence. Vous ne deviendrez peut-être pas chercheurs, mais vous pourrez vous promenez dans les archives de votre ville et déchiffrer les vieux manuscrits. Pour le plaisir, peut-être pour un article dans un journal...
En fait, cette envie d'expérimenter ce que vous lisez (un livre sur la forge par exemple) dans la réalité, en plus d'être enrichissent et agréable, de permettre une autre orientation que la thèse, ne peut qu'au final vous servir dans votre projet professionnel. Entre un spécialiste des armes du Moyen Âge, qui connait toutes les formes, les techniques et les noms ; et un spécialiste des arcs de la même époque, qui en connait un peu moins sur tout mais qui peut pour reproduire un arc du VIIIe siècle et envoyer une flèche au coeur d'une cible... j'ai un faible pour le second. A sa place, j'organiserai une association dans mon université : initiation aux techniques de fabrication et de tir à l'arc.
De la souplesse d'esprit et on peut tout faire. Moi, je serai enseignant chercheur, même sans le diplôme, le titre ou le salaire. J'apprendrai, et j'enseignerai à qui veut bien partager son temps avec moi.
Mesdames et messieurs, la vie est belle, même si des gens veulent vous faire croire le contraire. Le danger, et vous pouvez le constater par vous même malheureusement, c'est de se fixer un seul but et de ne jamais le lâcher. A bac+5 vous avez encore de la marge, à bac+8 et davantage, cela devient un peu dur. N'oubliez pas, c'est mon point de vue le plus important : bac+8 n'est pas une fin dans les études, et enseignant chercheur n'est pas le métier le plus beau et intéressant quand on aime l'Histoire. Il y en a d'autres. Vous ne savez que "chercher" ? Chercher à comprendre le monde autrement si le doctorat ne peut pas vous le permettre.
Je vous souhaite bon courage