viewtopic.php?f=87&t=10534&p=282995#p282995Deshays Yves-Marie a écrit :
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L'écoute musicale est quelque chose qui s'est développée progressivement, et en grande partie grâce aux romantiques...
Stendhal rapporte cependant que lors des représentations d'opéra, on bavardait à qui mieux mieux dans les loges où un des auditeurs faisait le guet pour signaler aux autres un passage intéressant ; on faisait alors silence pour reprendre de plus belle les conversations une fois achevé le passage intéressant!
Tout à fait, et c'est pour cela que j'ai parlé de développement progressif, et pas de passage brutal. Ce changement se faisait à des niveaux différents. Dans la première moitié du 19e siècle, un chaos quasi-total continuait à régner dans les théâtres d'opéra. En même temps, à Paris, les spectateurs de l'Opéra-Comique étaient plutôt bavards; les spectacles du Théâtre des Italiens se faisait sous un silence absolu, alors qu'au Grand-Opéra c'était un peu l'intermédiaire entre le silence et le bavardage.
Par ailleurs, les propos de Stendhal sur les passages intéressants sont aussi dignes d'intérêt pour la problématique des passages entre les styles classique et romantique. En Italie, si la virtuosité vocale connaît une floraison au 18e siècle, l'une des raisons les plus importante, c'est le besoin qu'éprouvent les compositeurs pour attirer l'attention du public. Par ailleurs, les passages virtuoses donnent aux cantatrices et chanteurs (il s'agit souvent de castrats dans l'opéra italien du XVIIIe siècle) d'exposer leur agilité vocale, l'étendue de leur tessiture, et aussi leur créativité - il ne faut pas oublier qu'à l'époque, ce sont les interprètes qui décident librement des cadences et des ornementations de leurs airs. Tout cela n'est pas pour dire que la virtuosité est mécaniquement lié au bavardage du public; l'attitude des spectateurs est juste l'un des raisons qui ont poussé les compositeurs à composer des passages "intéressants".
A partir de la fin du XVIIIe siècle, les choses changent progressivement. D'une part, on est en train de redéfinir l'art: l'artiste devient génie créateur, et s'émancipe de la tutelle de son mécène. Il commence à exiger une attention concentrée sur son oeuvre. Dans la même époque, les compositeurs commencent à s'emparer du monopole de la créativité musicale; ils ne supportent plus les ornementations et les cadences improvisées par les interprètes; dans les années 1820, Rossini va écrire lui-même les cadences des airs de ses opéras. Par ailleurs, quelques décennies plus tard, on n'aura même plus besoin de cadences et de virtuosité pour attirer l'attention du public: dans la deuxième moitié du XIXe siècle, le processus entamé à l'époque des romantiques commence à s'accomplir; le public devient de plus en plus silencieux, par ailleurs, grâce au développement de l'électricité, on peut désormais éviter l'éclairage de la salle, et détourner tous les regards vers la scène, ce qui n'était pas le cas auparavant.
D'autre part, le développement n'est toujours pas schématique. En Italie, les spectateurs d'opéra continuent à parler pendant les représentations dans les années 1870. Au début du XXe siècle, au Metropolitan Opera de New York, il y aura toujours des spectateurs qui vont bavarder pendant les passages orchestraux des opéras de Wagner. Un peu plus tard, à partir des années 1920, le silence absolu s'impose dans les représentations d'opéra.