Jadis a écrit :
Je m'arrête sur ce passage assez important : il est difficile de dissocier la personnalité politique et philosophique de Richard Wagner de sa musique, même si ce sont deux entités bien différentes et parfois même distinctes. La musique de ce compositeur reste dans l'ombre de sa personne et la récupération de cette personne par le nazisme dans les années 1930 et 1940.
Je suis désolée, je ne saisis pas.
La personnalité politique de Wagner ? Elle semble inexistante si l'on évoque le côté "anarchiste". Il se réveille "anarchiste" ou plutôt il écrit encore dans un état émotionnel un placet. Ce qu'il a donné a été sifflé comme à l'accoutumée mais cette fois il fait réponse et sa réponse est un véritable appel révolutionnaire : il faut tout changer, raser l'ancien ordre, en placer un nouveau et si l'aristocratie le boude, le peuple lui saura aimer et comprendre sa musique -pour faire court-.
Wagner serait un "anarchiste individualiste" dans la mesure où un nouvel ordre des choses le sert, il est partant ; cependant si ce nouvel ordre peut tout de même s'inscrire -au jour le jour- dans le socialement "correct" -pour lui s'entend- il préfère : on mesurera ceci dans son rapport à Louis II où là encore il est -par son mensonge, sa cupidité, ses manipulations- son propre fossoyeur. Il n'a que faire de "l'Ami" dont il se glose en petit comité cependant, avec un retournement incroyable dont il est le roi, ceux qui restent culpabilisent et continuent à se sentir débiteurs.
Les engagements du musicien sont impulsés par des rancoeurs. Il semble exister chez cet homme une sorte de "folie" destructrice. Se perdre lui-même ne présente aucun intérêt, il est totalement amoral mais initier une sorte de spirale chaotique le sort d'un état passif qui ne peut lui convenir.
Je pense -mais ceci n'engage que moi- que le régime "nazi" n'a que faire de la musique de Wagner cependant H. se reconnait dans l'homme -premier degré s'entend-. Son enfance, ses déceptions qui le mettent dans un état d'émotions sans commune mesure avec ce qui a initié, son errance puis la plénitude à un âge où d'autres se retirent ou sont déjà bien ancrés, de plus Wagner n'arrive pas doucement, il explose ; une voix au-dessus du commun l'impose et soudain ceux d'hier se prosternent. En visionnant certains passages où la musique de Wagner est à l'honneur, il est à noter que les morceaux choisis le sont avec une logique presque mathématique (Entrée des Dieux, Murmures de la forêt, Voyage de Siegfried sur le Rhin, Tannhäuser (prélude de l'acte III) suivant le discours ou la parade. Il ne faut pas non plus oublier que Beethoven sera aussi apprécié et notamment l'allegretto de la 7ème (mouvement crescendo du thème repris).
Pour ce qui est de son "antisémitisme", je crois aussi que "l'occasion fit le larron". Comme pour ses idées politiques. Au départ, une détestation personnelle qu'il va étendre dans un premier temps (l'époque est assez propice) mais comme Wagner ne fait rien à moitié, là encore ceci va prendre une tournure plus "abjecte". Comme à l'accoutumée, il va bétonner son "dada" du moment, trouvant écho chez son épouse. Entre eux, c'est un lien de plus. Wagner ne sera jamais trop regardant à la qualité des liens entre lui et les autres car à peine tissés, déjà pourris : il fonctionne ainsi.
Il ne faut pas chercher chez l'homme une quelconque élévation d'esprit, seuls ses sens le meuvent et la frustration éternelle dans laquelle il se complait est son lit. Il est tel un enfant qui repousse éternellement les limites (Le Vaisseau Fantôme).
Jean R a écrit :
Bref, accros aux idées simples et tranchées s'abstenir...
Je ne comprends pas ce que vous souhaitez démontrer...
On ne peut se baser sur deux opéras et tirer conclusion comme vous le faites. A ces deux opéras, je puis vous donner deux oeuvres -au moins- qui vous signifieront du contraire.
Wagner veut justement nous montrer qu'un roi n'est pas au-dessus du commun et peut être ridicule, la grandeur d'âme est alors une porte de sortie honorable (Tristan et Ysolde).
Dans ses opéras, il existe la marque des Dieux, du Destin et se construit l'éternel édifice pyramidal (marqué par des crescendo) qui au final s'écroule et soudain le spectateur qui retient son angoisse se sent soulagé. Pourtant, ce n'est nullement l'ordre des choses et le héros n'en sort jamais renforcé, c'est le chaos qui remporte la mise. Et le spectateur sort comme "assommé", insatisfait. Comme tout être humain devant l'angoisse du néant. C'est ici où Wagner est fort car il réussit, par sa musique, un travail de transfert.
C'est un homme qui est tourné vers le chaos mais ne peut composer que dans la sérénité, c'est un perpétuel nomade qui n'a cessé de se vouloir "implanté", un éternel insatisfait des sens, un éternel ennuyé de la sérénité. La transgression, voici son terreau qu'il transcende dans ses opéras. Opéras qui se doivent d'être compris à plusieurs niveaux.
Vous évoquiez le personnage du Roi Mark mais Wagner est Mark (comme le sera Bülow), comme il est Tristan (en attente de Cosima), comme il est Ysolde (il sait qu'il faillira), comme il est le destin (l'excuse à ses actes).
Reprenez Lohengrin, le destin prend la forme d'un Cygne. Ne vous y trompez pas : Wagner a conçu la partition de Lohengrin en fonction du Cygne, le secret des origines est muet et pourtant le pivot de l'opéra, comme le Cygne. Il ne s'exprime pas mais est le moteur justement par son silence. Ceci aussi s'inscrit dans la personnalité de Wagner. Le silence est de mise pour tout ce qui est assourdissant puis vient le temps du mensonge. Dans ses opéras, il traduit ces moments par l'acte du traître ou la peccadille qui montre l'incapacité à aimer (Hagen ou la curiosité d'Elsa).
Wagner dans sa tétralogie fait le choix de n'être lors du Crépuscule des Dieux ni Siegfried (il a épuisé ses ressources) ni Hagen mais le sentiment d'amitié et l'arme (rien que l'on ne puisse démontrer dans les épisodes de sa vie). Puis il prend la meilleure part, il dédaigne les Dieux pour être le Crépuscule. Ainsi recommence l'éternel chaos duquel l'homme sort, se perd et appelle de ses voeux. Wagner à travers sa musique reprend les thèmes de la matrice universelle ce qui nous laisse des moments de plénitude ainsi qu'un sentiment final où l'action est aboutie, l'histoire est finie mais la musique nous laisse infiniment démunis, incertains, perdus.
Sa musique est l'expression de sa personnalité. L'homme est à prendre avec des pincettes en tout, il le revendique ce qui fait de lui un personnage dont l'ambiguité ne peut laisser indifférent, de nos jours encore.