Le moine Guido de notre abbaye bénédictine de Pomposa, chargé de l’apprentissage des chants liturgiques aux novices, est un homme singulier. Passionné de sa mission, pédagogue averti, il cherche sans cesse à améliorer sa façon d’enseigner en trouvant de petits trucs mnémotechniques. Sa réputation ne cesse de grandir en Italie et les maîtres de chant viennent le consulter, de plus en plus nombreux.
L’affaire est certes d’importance puisqu’il faut pas loin de dix longues années à nos novices pour qu’ils apprennent l’intégralité de notre répertoire ! Et nos neumes, annotations placées en marge du texte chanté, les aident si peu que l’essentiel de l’apprentissage reste dans la répétition de bouche à oreille.
Mais voilà, chers frères, que Guido s’est mis en tête de coucher par écrit toute mélodie ! Il pense ainsi que chacun pourra la lire et la connaître sans l’avoir même entendu chantée ! Je vous demande un peu…
Il a d’abord ajouté une ligne à la portée existante, on l’appelera ensuite ‘main guidonienne’ car on peut suivre les notes sur ses doigts et phalanges. Ensuite il donne une clé pour la valeur d’intonation (qui donnera la gamme). Et pour finir, il prend dans les premières syllabes de
l’hymne à Saint Jean-Baptiste, bien connu de tous, un nom pour les notes qui permettra aux chanteurs de mieux se répérer. En effet, cette chanson monte d’un degré de vers en vers :
«
UT queant laxis
REsonare fibris,
MIra gestorum,
FAmili tuorum,
SOLve polluti,
LAbii reatum,
Sancte Iohannes... »
Au lieu de nos bonne vieilles lettres qui dénommaient nos neumes A B C D E F G, la méthode de Hucbald de saint-Amand !
Au détour du cloître avant les vêpres, je me suis approché de lui pour lui demander raison de toutes ces innovations. Et voilà qu’il me répond fort benoîtement : « un morceau écrit en neumes sans lignes est un puits auquel il manque une corde pour parvenir à l'eau. »
Il appelle cela la ‘solmisation’ ! Pourquoi pas ‘solfège’ tant qu’on nage dans la déraison ! D’ailleurs notre supérieur y a mis bon ordre en refusant catégoriquement ces nouveautés. Mais entêté comme il l’est, Guido a choisi de partir de notre communauté.
Mais ne voilà t-il pas que Théodald, l'évêque de la cathédrale d'Arezzo, en Toscane, l’appelle à lui et le soutient ? Guido se rend même à Rome afin de démontrer devant notre bon pape Jean XIX le bien-fondé de sa méthode.
Aujourd’hui, force est de reconnaître que sa méthode s’étend dans toute l’Italie et la France (bien que l’Allemagne et l’Angleterre restent réfractaires). Il a environ soixante ans et il est prieur au monastère de Santa-Croce d'Avellano. Sa piété est exemplaire mais sa santé n’est pas bonne et le frère portier (qui est de ma connaissance) m’a confié qu’il craignait que
Guido d’Arezzo ne passe notre sainte année 1050...
Un site magnifique où l’on pourra même (sur la 2e page) écouter un tube du XIIIe siècle !
http://www.collegeahuntsic.qc.ca/Pagesd ... eval4.html
Poussons les tables du réfectoire, mes frères, et dansons !
Petit texte ludique et sans prétentions écrit il y a longtemps... Si j'ai réussi à faire sourire la petite soeur Clarisse ici présente, j'ai gagné mon temps !