Alain.g a écrit :
Guilhabert a écrit :
Je pourrais donc bien compléter cette question par celles-ci :
Les monuments doivent ils rester comme on croit qu'ils étaient avant ? C'est peut-être bien la question posée...
Faut il consolider les ruines pittoresques ou les laisser s'écrouler peu à peu ?
Faut il restituer Carcassonne dans son état antérieur à sa restauration par Viollet le Duc ? mais à quelle époque ? ou encore reconstruire les maisons insalubres adossées à ses remparts au début du XXème siècle ?
Faut-il repeindre les cathédrales ?
etc. etc.
Nos monuments ne sont que des reflets du passé qui disposent de couches successives. Inutile de rechercher la pureté qui n'existe pas...
Il ne s'agissait peut être pas d'une question sur l'histoire, mais bien d'une question sur la perception de l'histoire.
1/ La doctrine actuelle des MH est qu'un monument doit être restauré dans l'un des états normaux auxquels il a existé, soit à l'origine, soit ultérieurement. Le choix est effectué par la commission nationale des MH sur proposition d'un Inspecteur et d'un architecte en chef des MH. Ce n'est pas toujours l'état de la première construction. Mais pas de fantaisie en slalomant entre les époques.
2/ On ne laisse pas s'écrouler les ruines d' un MH classé ou inscrit. On peut le mettre hors d'eau pour le sauver dans son état actuel comme vestige s'il n'y a pas de crédits de restauration.
3/ Voir le choix décrit plus haut: on choisit un stade du monument. Violet de duc est accepté. On ne remet pas les vieilles maisons accolées évidemment sauf cas particulier le justifiant.
Une restauration est une épreuve de vérité historique et architecturale mais aussi de bon gout et de bon sens. La CNMH tranche les débats qui sont fréquents.
4/ Repeindre églises et cathédrales est possible, tout comme crépir les pierres nues à l'intérieur, comme autrefois puis peindre. Mais au risque de choquer les habitants ... qui adorent voir la belle pierre de taille avec sa couleur changeante de pierre ancienne qui vieillit bien; en Auvergne notamment.
Euh, alors là désolée, mais pas du tout ! C'est même à peu près l'inverse.
Si on laisse de côté quelques précurseurs depuis l'antiquité, les querelles sur la restauration remontent essentiellement au XIXe siècle, avec l'opposition de deux grandes tendances :
- d'un côté, Viollet le Duc, qui estime que "Restaurer un édifice, ce n'est pas l'entretenir, le réparer ou le refaire, c'est le rétablir dans un état complet qui peut n'avoir jamais existé à un moment donné." D'où les restaurations invasives du Monsieur à Carcassonne ou à Pierrefonds, par exemple. Viollet le Duc raisonne en architecte du XIXe : pour lui, l'architecture, c'est avant tout un projet, et le bâtiment n'en est que le résultat. Restaurer pour retrouver le projet originel (et pas nécessairement le bâtiment construit à l'origine) est pour lui respecter l'acte de l'architecte.
- de l'autre côté, John Ruskin et Williman Morris, deux artistes anglais, ont une vision diamétralement opposée. Dans les
Sept lampes de la sagesse, Ruskin explique que les monuments n'appartiennent à personne, et qu'il ne faut pas y toucher, nous n'en avons pas le droit moral. Les monuments doivent, en quelque sorte, mourir de leur belle mort, si l'on peut dire. A rattacher, bien sûr, au romantisme anglais et à son amour des ruines, ainsi qu'à l'ensemble des mouvements artistiques qui, marqués par la révolution industrielle, s'y opposent en se réfugiant dans un passé rêvé (pré-raphaëlisme, etc.).
La querelle se poursuit au long du XIXe siècle, et est tranchée au cours du XXe, notamment dans le livre de Cesaro Brandi,
Théories de la restauration (1963). Grosso-modo, celui-ci trouve un juste milieu entre Viollet et Ruskin, tout en affirmant très nettement que l'idée d'"état original" n'est qu'un mythe, et qu'il est impossible d'un revenir. Quels sont les grands principes mis en place par C. Brandi ?
- L’œuvre d'art n'est pas intellectuelle, mais matérielle. Elle n'existe que parce qu'elle a un support matériel. Il faut donc en conserver le plus possible les matériaux originaux.
- l'histoire du monument prime sur son aspect esthétique : l'histoire d'un monument ou d'un objet ne peut pas être effacée, et ne doit pas être jugée à l'aune des critères d'une période qui a son propre goût et ses propres modes. Ainsi, il faut respecter tout trace du temps dans le monument.
- La restauration s'arrête où commence l'hypothèse. C'est à dire que sans connaissance d'un état antérieur de l'oeuvre ou du monument, on n'invente pas, on laisse ! Quand une oeuvre est une ruine, on conserve une ruine.
- les restaurations doivent être décelables à l'oeil nu (sinon, c'est de la falsification) et réversible (on doit choisir des matériaux qui peuvent être ôtés sans dommage pour l'oeuvre originelle).
Ces grands principes sont toujours ceux suivis aujourd'hui par les restaurateurs.
Le XXe siècle voit également éclore deux actes fondamentaux
- la charte d'Athènes de 1931 (voir ici :
http://www.icomos.org/fr/chartes-et-nor ... iques-1931), qui a notamment eu un rôle très important en Italie, pays à la pointe en matière de restauration au cours du XXe jusqu'à assez récemment. C'est cette charte qui met en place l'idée qu'une restauration doit être précédée d'études critiques et d'un diagnostic, qu'il doit exister une législation et des actions de protection, que la restauration ne doit pas chercher à réutiliser des manières anciennes, mais au contraire, employer des techniques modernes. La charte d'Athènes préconise surtout la priorité de l'entretien d'un bâtiment sur sa restauration (notamment en utilisant les bâtiments), la conservation des éléments in situ, et le respect du bâtiment dans l'ensemble de sa construction chronologique (pour le dire autrement, on ne cherche pas à revenir à une époque particulière, on respecte même les changements effectués au XXe siècle).
Charte d'Athènes, article 1 a écrit :
Au cas où une restauration apparaît indispensable par suite de dégradations ou de destruction, elle recommande de respecter l'oeuvre historique et artistique du passé, sans proscrire le style d'aucune époque.
- La Charte de Venise de 1964, qui réaffirme les principes de la charte d'Athènes, et qui ajoute la nécessité de tester les matériaux avant de les utiliser, ainsi que l'obligation que la restauration soit décelable.
On n'est donc absolument pas, de nos jours, dans une démarche à la Viollet le Duc, bien au contraire ! C'est pour cela que la "restauration" de la grille de Versailles a fait scandale, de même que d'autres interventions dans le château. C'est pour cela aussi que certaines églises inscrites ou classées MH restent à l'abandon, faute de pouvoir être restaurées dans de bonnes conditions. La médaille et son revers...