Un ensemble édifiant au sein de la Cour de France
Les scènes représentées sur le service de table de Louis XVI constituent un véritable recueil des thèmes moralisateurs classiques jugés appropriés pour l'éducation des princes au Siècle des Lumières.
En outre, elles sont accompagnées de thèmes plus traditionnels s'appuyant sur la mythologie, principalement tirés des
Métamorphoses d'Ovide. La disposition des scènes sur les pièces du service ne semble pas avoir suivi un ordre spécifique. Alors qu'en principe, les scènes peintes sur les différentes assiettes du service de Catherine II se conformaient à des thèmes particuliers - mythologie grecque, histoire grecque ou histoire romaine - sur les pièces du service de Louis XVI on ne trouve pas de telle distinction.
Une scène tirée des
Métamorphoses d'Ovide pouvait, sur une assiette donnée, être accompagnée de quatre autres scènes rappelant des événements célèbres de l'histoire de Rome. De même, des scènes du
Télémaque de Fénelon et des
Métamorphoses d'Ovide pouvaient cohabiter sur d'autres pièces.
Plateau de moutardier (1787), par Charles-Nicolas Dodin (1734-1803) et Etienne-Henry Le Guay l'aîné (1721-1797); Musée du Louvre
Louis XVI, amateur averti
Outre son intérêt pour les sujets des scènes eux-mêmes, le Roi a dû admirer l'habileté avec laquelle les artistes de Sèvres exécutèrent de telles miniatures si vivantes et si parfaites.
Le fait que Louis XVI connaissait les difficultés que posait leur réalisation est évident. En effet, le 7 mai 1788, lorsqu'on lui présenta le dessin des soupières, sur lesquelles devaient être reproduites des scènes tirées (entre autres) de
Télémaque, on rapporta que "S.M. eut la bonté de dire qu'elles ne seroient pas si tôt faites". Par ailleurs, ceci est également implicite puisqu'il accepta qu'il faudrait 23 ans pour produire le service complet.
Il était tout autant inutile de rappeler au Roi que la peinture de chaque scène nécessitait beaucoup de temps. En 1791, on l'informa qu'il fallait de 12 à 15 mois à un seul artiste travaillant de 8 à 10 heures par jour pour peindre cinq réserves, chacune comportant de 5 à 8 figures. Par ailleurs, peu d'artistes employés à Sèvres avaient la compétence requise.
Louis XVI, du fait de sa propre expérience de peinture de scènes miniatures sur cartes devait être en outre plus en mesure que quinconque pour apprécier les problèmes auxquels devaient faire face les artistes de Sèvres.
Les peintres de figures : une élite à Sèvres
L'une des caractéristiques de la réalisation des pièces de ce service qui le différencie d'autres importants service de table est le fait qu'à de rares exceptions près,
les scènes miniatures peintes sur chaque pièce sont l'oeuvre d'un seul peintre.
Les archives révèlent qu'il y avait peu de division des tâches, contrairement à ce qui se produisit pour la fabrication du service de Catherine II, et qu'en outre peu des pièces furent retouchées par un autre peintre que celui auquel elles furent confiées en premier lieu.
Une documentation détaillée a permis de déterminer les pièces produites chaque année, ainsi que d'établir par qui elles furent peintes.
Ceci nous permet de nous faire une idée précise du style propre à chacun des 8 artistes impliqués dans ce travail.
Cette analyse fait apparaître que les plus talentueux furent
Pithou jeune, Pithou aîné et Dodin.
Parmi ceux que l'on pourrait qualifier de plus moyens, on trouvait
P-A Le Guay et Asselin.
Les 3 autres artistes, dont le travail était surtout confiné à l'exécution de pièces moins importantes, furent
Gérard, Philippine et Didier; seul Gérard fit preuve d'une réelle aptitude à peindre des scènes à figures.
Les peintres de figures constituaient une élite, et le nombre d'artistes capables d'atteindre le haut niveau requis pour cette forme de décor a toujours été limité.
Le fait que Didier, qui était classé à Sèvres comme artiste de 2ème catégorie et qui, bien qu'il fut plus à l'aise dans la peinture d'oiseaux et d'animaux que de celle de personnages, fut employé en 1791 et 1792 à peindre des scènes sur des pièces du service de Louis XVI tend à démontrer que la Manufacture ne comptait à cette époque que très peu de peintres de figures talentueux.
Il est surprenant de constater qu'Antoine Caton, qui s'imposait comme un des meilleurs artistes, ne participa pas à la réalisation de ce service.
Bien qu'au fil des ans une certaine baisse de la qualité puisse être constatée, celle-ci se limita toutefois en grande partie aux pièces de dimensions plus modestes et à celles produites en 1792, qui s'avéra être la dernière année de production.
Malgré ce fait, l'impression générale qui se dégage du service est un sentiment de grande richesse - "Toutes les pièces...sont du dernier fini..."
Une histoire poignante qui s'arrête en 1793
En dépit de sa flamboyance et de son caractère de tour de force de l'art du potier, ce "bijou de la Cour" demeurait toutefois le service de table personnel du Roi, qui avait bien l'intention de s'en servir, comme en témoigne la fourniture de 60 assiettes simples (dont 36 furent effectivement produites), peintes d'arabesques dorées sur un marli bleu sans aucune scène, ni au centre, ni sur le marli. Les plats et assiettes à décor devaient être présentés sur les buffets.
Le fait que le service comprenait des "citronniers" est une preuve supplémentaire des intentions de Louis XVI, qui préférait accomoder ses salades de jus de citron plutôt que de vinaigrette.
En 1786, on lui livra 6 citronniers avec leurs soucoupes (sans rapport avec ce service), ce qui constitue la première référence à ce type de vaisselle.
Le fait qu'il fut vraisemblablement conçu de façon spécifique pour le Roi est suggéré par le nom inscrit sur le modèle en plâtre qui subsiste de nos jours : "citronnier du roi". Deux verseuses de jus de citron étaient destinées au service de table de Louis XVI, dont une fut réalisée en 1792.
Il n'existe aucun parallèle à Sèvres de cet engagement personnel d'un souverain et de son ifentification à une commande particulière.
Le fait que sa réalisation se soit arrêtée de façon aussi brutale à la mort tragique de Louis XVI en janvier 1793 rend encore plus poignante l'histoire de ce service.
La partie du service déjà produite fut vendue par le gouvernement révolutionnaire français, principalement entre le 11 et le 19 Messidor de l'An II (29 juin-7 juillet 1794).
Il arriva entre les mains des libraires et marchands Treuttel et Würtz, desquels George IV l'acquit en 1811 au prix de 1973 livres, 4 sous, 8 deniers.
George IV, Régent en 1811, suite à la folie de son père George III puis Roi de 1820 à 1830.
Il semble juste que ce service soit entré dans la collection d'un prince dont l'admiration pour les arts décoratifs français ne connaissait pas de limite et pour qui l'association de ce service au souverain français constitua un souvenir émouvant de la fin tragique de Louis XVI."
Texte traduit de l'anglais par Ann Sautier.