Commençons donc la visite du palais du soleil
C’est par un beau matin de mai 1788 que j’arrive à Versailles. Versailles ! Ce nom résonne dans toute l’Europe depuis plus d’un siècle comme synonyme de la puissance de la monarchie française, comme symbole du luxe, de l’élégance et du bon goût à la française… Que dire du fait que tant de souverains, qu’ils soient nos alliés ou nos ennemis, aient cherché à le copier sans parvenir à l’égaler : Hampton Court, Caserte, Schönbrunn, Tsarskoie Selo…
Je descends du coche qui m’amène de Paris, nanti de quelques louis d’or donnés par mon père et d’un modeste bagage. Peu m’importe car pour le moment je reste coi d’admiration devant cette splendeur incomparable, à peine gâchée par les baraques qui masquent la grille élevée par Mansart pour isoler le château de la Place d’Armes : il faut bien que les courtisans trouvent où se fournir en chandelles ou se rafraîchir d’un bon verre de limonade ! Je profite d’ailleurs de la présence d’un perruquier inoccupé pour rendre toute l’élégance de ma perruque, déplacée et décoiffée par la poussière, les cahots et la cohue. Ces quatre heures de trajet furent les dernières longues heures mais pour quel résultat !
Une fois mis de frais, l’épée au côté et la plume au chapeau, je franchis le portail que vient de dépasser un carrosse de la Maison du Roi, salué par les Gardes françaises. Quel spectacle ! Les cours animées, traversées par les courtisans, messieurs en habit à la française, dames en robe et à hautes perruques, vêtus des tissus les plus précieux des manufatures royales, qui viennent de quitter la Chapelle après avoir assisté à la Messe et prennent l’air pendant que le Roi tient conseil; les chaises bleues qui transportent le plus précieusement du monde les dames de la suite de la Reine, les valets, frotteurs de parquets qui terminent leur services, les commis qui font la navette entre les ministères construits par feu le Bien Aimé dans la rue de la Surintendance et les Ailes de l'avant court, et fait remarquable, des paysans normands venus des terres de M. le duc d’Harcourt, venus admirer le Roi dans les splendeurs de son Palais !
Et ce palais, quelle merveille ! je ne me lasse pas de contempler ces façades de brique, d’ardoises et de pierre rehaussées de plomb doré. Je vois enfin ces bâtiments dont on m’a tant parlé : les Ailes qui de part et d’autre de l’avant cour abrite les ministres du Roi, les grilles dorées au chiffre du Roi qui mettent en valeur les écuries royales où logent les centaines de chevaux au service du Roi !
Je m’approche de la Grille de la cour Royale gardée par des Suisses. Parvenu à son seuil, je m’arrête et je contemple le spectacle qui s’offre à moi : les grilles dorées étincellent sous le soleil, vers le Levant comme vers le couchant, vers le Septentrion comme vers le Midi : les cours de la Chapelle, des Princes gardées par ces sentinelles métalliques, les rues des réservoirs et de la surintendance qui dévalent en pente douce la colline sur laquelle le Grand Roi agrandit le château de Louis le Juste…
L’abondance et la paix veillent sur l’entrée du Louvre. Je pénètre dans la Cour Royale. La dissymétrie des ailes est assez frappante : Gabriel a insisté pour réaliser le grand projet de Mansart. Certes il a pu élever une magnifique aile en pierre où désormais la Reine joue la comédie, mais le contraste avec l’aile du temps du grand Roi est saisissant. Midi sonne à l’horloge du pavillon de cette aile : le conseil se poursuit. Nul doute que le Roi achévera les travaux lorsque les finances le permettront. Mon regard ne se lasse pas d’admirer les bustes de marbre de la Cour, les statues, les balcons. Au centre, cachée par les volets mis clos, le cœur du château, la Chambre du Roi. Je m’y rendrai pour m’incliner devant le lit de Sa Majesté.
En attendant, je franchis le passage de bois qui mène à l’appartement de Madame Adélaïde et me rend dans les jardins...
A vous de poursuivre
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