Aux remarques très justes de Saladin, quant à une très grande différence entre les périodes, les régions, les peuples, il faut ajouter qu'il n'y a pas qu'un ailleurs pour l'islam. Notre européo-centrisme "naturel" ne doit pas nous faire oublier que Byzance, la Chine, l'Inde et le monde sudarabique existent... et sont au moins aussi intéressants pour l'islam que l'Europe, voire bien plus. Des marchands arabes musulmans sont présents en Chine et à Java dès les VIIIe-IXe s. ; ils forment l'unique flotte capable d'entretenir un commerce maritime au long cours. (cf. épave de Belitung). Les productions artistiques et scientifiques chinoises font l'objet d'une appropriation sous les abbasides : papier, céramique... ; mais cette appropriation ne cesse ensuite, en particulier en Iran. Les potiers persans au XVIIe font toujours du bleu et blanc en imitation de la Chine, recopiant les marques d'ateliers chinois).
Quelques autres exemples qui me viennent en tête sur l'instant, un peu en forme d'inventaire à la Prévert...
Au XIIe s., la carte d'al-Isdrisi est un exemple marquant de combinaisons de différentes cultures : un arabe, mandaté par Roger II, reprenant une science grecque, représentant le monde méditerranéen et l'Europe... La production géographique du monde islamique montre un intérêt pour des contrées lointaines.
Sous les Mamluks, l'architecture emprunte largement à l'architecture occidentale. Les sources d'inspiration sont disputées entre spécialistes : certains tiennent pour les monuments croisés du Levant, d'autres pour les monuments d'Italie du Sud.
Les Ottomans sont très tournés vers l'Europe, y envoient des ambassades, en reçoivent des ambassadeurs (temporaires et permanents)... Par contre, ils loupent complètement l'ouverture à l'Amérique, qui les affaiblit économiquement à partir du XVIIe.
En Iran, la peinture timuride et safavide représente des types physiques divers, depuis l' "Européen" jusqu'à l' "Africain", en passant par des types "mongols", "extrême-orientaux", etc. Exemple tiré du Grand
Shâh Nâmeh de Shah Tahmasp, Iran, 1re moitié XVIe :
Parler d'un monde replié sur lui-même est une erreur, à mon sens. Je prends des exemples dans le domaine artistique, que je connais bien, mais on pourrait en trouver également dans le domaine littéraire, en particulier dans les histoires universelles. L'HU de Rashid al-Din, écrite au début du XIVe, fait mention d'un très grand nombre de peuples, recopie des portraits de dynastes chinois, parle des peuples occidentaux, etc. Le coup d'arrêt au XIIIe siècle existe, mais il est à nuancer. La chute de Baghdad en 1258 a apporté de sérieux changements dans le monde islamique, mais n'a pas arrêté totalement la production intellectuelle, en particulier dans le domaine des sciences humaines (histoire, géographie, etc.).